Par Stéphane Boudin
On vit une drôle d’époque où les fakes news ont autant de poids, parfois plus que les discours des officiels. Mais lorsque ces mêmes fakes news sont colportés par des politiciens de premier plan comme Trump, l’effet est amplifié. La communauté haïtienne en a fait l’amère expérience dernièrement, lorsque l’ancien Président, qui brigue un nouveau mandat face à Kamala Harris, a repris à son compte des mensonges scandaleux qui ont terni à tout jamais son image auprès de l’électorat haïtien, même de ceux qui avaient voté pour lui en 2016 et en 2020. Roland, un restaurateur de Miami et ancien soutien de Trump, résume bien le sentiment qui prédomine au sein de la communauté haïtienne : “Il nous accuse de manger des chiens ? On va lui cuisiner une bonne leçon de respect et de civisme et lui servir une défaite bien méritée”.
Mais comment en est-on arrivé là? Comment certains candidats ont-ils pu descendre aussi bas, sombrant dans une politique de caniveau, alors que les défis qui attendent le pays sont nombreux? Il faut dire que depuis un certain temps, on constate un décalage grandissant entre les gouvernants et les gouvernés. Et cela est en grande partie dû aux réseaux sociaux qui véhiculent de fausses informations sans filtre, avec des conséquences désastreuses, souvent incontrôlables.
Or, il se trouve que les opinions partagées sur ces réseaux sociaux et reprises par certains politiciens sont loin de représenter tous les Américains. C’est ce que vient de prouver dernièrement un sondage mené à l’échelle nationale par un consortium de chercheurs universitaires (CHIP50), en collaboration avec nos confrères du journal The Haitian Times. Le moins que l’on puisse dire est que les résultats de cette étude sont édifiants. Ils révèlent en effet qu’une majorité d’Américains sont favorables à une augmentation de l’aide envers Haïti, mais aussi à une plus grande ouverture migratoire en faveur des Haïtiens. Ces tendances sont en totale contradiction avec les discours populistes que l’on entend régulièrement de la part de certains politiciens (qu’ils soient démocrates ou républicains, que l’on soit bien clairs), et qui préfèrent instrumentaliser la peur et la désinformation à des fins électorales. Ce décalage entre l’establishment et son électorat met en lumière la fracture idéologique grandissante entre les dirigeants et le peuple américain dans son ensemble.
Un sondage qui surprend
L’étude du CHIP50 tombe à pic, puisqu’elle vient balayer différentes barrières de préjugés fondées sur des rhétoriques haineuses. L’humanité a fini par émerger, telle une rose qui éclot au milieu des cendres, rappelant que la solidarité et la compassion ont encore leur place dans ce monde. Cette étude témoigne également d’une prise de conscience grandissante parmi les citoyens américains de la situation difficile que traverse Haïti et la nécessité d’une intervention plus vigoureuse pour aider à sa stabilisation. Le peuple américain est pragmatique. Il a vite compris qu’un Haïti stable et prospère est dans l’intérêt de tout le monde.
Idem lorsqu’il s’agit de la question migratoire. Les Américains sont globalement favorables à l’idée d’accueillir des migrants haïtiens et de leur offrir des opportunités d’intégration, car ils savent très bien que de toute façon, leur pays a besoin de main-d’œuvre et de forces vives pour assurer son futur. Alors quoi de mieux que d’accueillir un peuple voisin qui les connaît et avec qui il partage une longue histoire commune? Une réflexion sage qui ferait hérisser les cheveux de Trump qui dépeint l’immigration comme une menace pour le pays, alors que lui-même est petit-fils de migrant, comme d’ailleurs l’écrasante majorité des enfants de cette nation multiculturelle.
Il devient de plus en plus clair que les discours racistes et opportunistes basés sur le rejet de l’étranger ne sont là que pour mobiliser un électorat désespéré à la recherche d’une politique de rupture, quitte à franchir certaines lignes rouges.
Le comportement de Trump lors du débat du 10 septembre doit nous pousser à la vigilance. Ses allégations indignes, qui ne méritent même pas d’être reprises ici, démontrent l’extrême facilité qu’ont les politiciens aujourd’hui à se livrer à la désinformation pour influencer l’opinion publique. Demain, ça sera autour des Jamaïcains d’être traités d’assassins, ou les Portoricains de pestiférés (l’animateur texan Kill Tony n’a-t-il pas traité Porto Rico ‘’d’île flottante d’ordures’’ lors du dernier meeting de Trump au Madison Square Garden?).
Le recours à la peur et aux stéréotypes raciaux dans le discours politique n’est pas nouveau. Depuis des décennies, les immigrants, en particulier ceux issus de communautés marginalisées comme les Haïtiens, ont été utilisés comme des boucs émissaires pour détourner l’attention des électeurs des véritables enjeux économiques et sociaux. Mais la majorité des Américains ne sont pas dupes de cette stratégie, et ils risquent de le montrer le 5 novembre prochain.
Il est possible de changer le cours des choses si les décideurs politiques prennent la peine d’écouter véritablement leurs concitoyens. Les résultats sont clairs : les Américains veulent plus de justice et d’humanité dans les politiques envers Haïti. Reste à savoir si leurs dirigeants sauront saisir cette opportunité pour agir en conséquence.
Vivement que la prochaine administration, qu’elle soit démocrate ou républicaine, adopte des mesures plus ambitieuses pour aider Haïti à sortir de sa crise actuelle, mais aussi pour offrir de nouvelles opportunités aux Haïtiens désireux de migrer légalement. Une approche basée sur la solidarité et l’entraide, plutôt que sur la division et la peur, permettrait de construire un avenir plus stable et plus prospère pour les deux pays.