Wednesday, October 16, 2024

Quelle démocratie pour notre pays

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(Miami)- Alors que la situation actuelle dans notre pays continue de se détériorer, l’heure est venue de réfléchir profondément à la forme de démocratie que nous souhaitons pour l’avenir. Les différentes tentatives pour assainir durablement notre système politique se sont toutes soldées par des échecs retentissants. Nous ne pouvons plus nous permettre de reproduire les erreurs du passé. Haïti a besoin d’un modèle de gouvernance qui reflète notre réalité, notre histoire, et nos besoins, loin des modèles importés des grandes puissances comme les États-Unis ou la France, inadaptés à notre contexte.

La Constitution : notre talon d’Achille

Depuis l’adoption de la Constitution de 1987, Haïti peine à trouver une stabilité politique durable. Cette Constitution, rédigée dans un contexte post-dictature, visait principalement à prévenir le retour à un régime autoritaire. Cependant, ses mécanismes ont montré leurs limites face à l’évolution des défis auxquels notre pays est confronté. La Constitution actuelle est basée sur un système semi-présidentiel où le pouvoir exécutif est partagé entre un président et un Premier ministre, et où le parlement bicaméral – composé d’une Chambre des députés et d’un Sénat – est censé jouer le rôle de contre-pouvoir.

Ce modèle, qui semble équilibré et ‘sain’ sur le papier, s’est avéré peu fonctionnel dans notre contexte. Au lieu de nous unir, la constitution actuelle a plutôt favorisé la fragmentation du pouvoir, entraînant des blocages institutionnels, des luttes intestines entre le Parlement et l’Exécutif, et une instabilité perpétuelle. Le Sénat, en particulier, est souvent critiqué pour son inefficacité et son coût exorbitant pour un pays déjà appauvri. Il est devenu clair que le cadre institutionnel actuel est devenu un obstacle au développement de la démocratie haïtienne plutôt qu’un instrument de sa consolidation.

En plus de la fragilité institutionnelle, la Constitution de 1987 contient des ambiguïtés qui permettent aux acteurs politiques de manipuler les règles à leur avantage. Le manque de mécanismes clairs pour résoudre les conflits politiques contribue à une gouvernance chaotique, où l’État peine à répondre aux besoins de base de la population. De plus, l’absence de moyens efficaces pour demander des comptes aux responsables politiques n’a fait que renforcer la corruption et l’inefficacité du système. Certains, comme l’ex-Président Jovenel, ont bien essayé de modifier cette constitution considérée comme source de blocage. Sauf que les alternatives proposées n’étaient pas meilleures. Nos dirigeants, soyons honnêtes, ne sont pas exactement des modèles de vertu. Donnez-leur des “super-pouvoirs” et qu’est-ce qu’ils en feront ? Probablement tout sauf ce qu’ils étaient censés faire. Parce que soyons clairs, avec plus de pouvoir vient plus de… tentations ! Et qui parmi nos valeureux élus résisterait à l’envie de rester au sommet jusqu’à ce que mort s’ensuive? Quand on voit comment ils se battent déjà pour des miettes de pouvoir, imaginez ce que ça donnerait avec la totalité entre les mains.

Pourquoi une nouvelle Constitution haïtienne est nécessaire

Face à cette réalité, il devient évident qu’il nous faudra réviser, voire réécrire notre Constitution pour qu’elle réponde véritablement aux aspirations du peuple haïtien. Imiter les modèles politiques de pays étrangers, comme les États-Unis ou la France, ne nous a pas été bénéfique dans le passé. Ces nations ont leurs propres histoires, réalités économiques et sociales, et leur démocratie s’est construite à partir de ces contextes spécifiques. Haïti, de son côté, possède une histoire unique, marquée par la lutte pour la liberté et l’indépendance, mais aussi par des décennies de crises politiques et sociales.

Une constitution empruntée à d’autres pays ne pourra jamais refléter nos particularités culturelles et sociales. Copier des systèmes étrangers signifie ignorer nos réalités quotidiennes auxquelles nous sommes confrontés. Par exemple, les États-Unis et la France ont des systèmes judiciaires, économiques et politiques bien rôdés et financés par des ressources que nous n’avons pas. Importer leur modèle signifie également importer un cadre bureaucratique lourd et coûteux, alors que notre priorité doit être l’efficacité, la proximité avec les citoyens, et la capacité de résoudre les problèmes immédiats. Et ce d’autant plus que nos administrations sont loin d’être des modèles d’efficacité.

Par ailleurs, les systèmes de pays comme le Canada, la France ou les États-Unis, reposent sur une culture démocratique solidement ancrée, une stabilité politique, et des structures sociales qui facilitent la participation des citoyens aux processus politiques. En Haïti, nous avons un chemin différent à parcourir. La démocratie que nous devons construire doit s’adapter à notre réalité : une nation où la majorité de la population vit en situation de pauvreté, où l’accès à l’éducation est limité, et où la corruption a pris racine dans presque tous les aspects de la gouvernance. L’autre point important à considérer est la collusion naturelle entre les milices armées et les politiciens dans notre pays. Ce mariage dangereux a souvent été source d’instabilité et de violence en Haïti. Et nous continuons à en payer le prix, puisque les gangs d’aujourd’hui ont été soutenus, parfois même créés par des politiciens qui voulaient les utiliser pour se faire élire, puis pour se maintenir au pouvoir.
Il est donc impératif de se débarrasser de cette culture politique source de déstabilisation, de violence et de chaos. Il devient urgent de concevoir un cadre constitutionnel qui repose sur la transparence, la reddition de comptes, et surtout, qui soit en phase avec notre histoire et nos aspirations.

À quoi pourrait ressembler la nouvelle Constitution haïtienne

Si nous voulons vraiment sortir de l’impasse politique dans laquelle nous nous trouvons, il est temps d’envisager une Constitution adaptée à nos besoins, mais surtout à l’attente des Haïtiens qui en ont assez d’être dirigés par une classe politique qui ne les représente pas. Il ne s’agit pas simplement de réformer l’existant, mais de repenser en profondeur la structure même de notre régime politique.

Premièrement, le rôle du Sénat doit être réexaminé. Actuellement, cette institution coûte cher au pays sans produire de résultats tangibles. Dans un pays comme Haïti, où les ressources sont limitées, il est difficile de justifier l’existence d’une chambre haute qui siphonne les finances publiques sans contribuer de manière significative à l’amélioration des conditions de vie des citoyens. La suppression pure et simple du Sénat pourrait être envisagée, ou du moins une refonte majeure de son fonctionnement, en réduisant ses effectifs ou en limitant ses pouvoirs.

Deuxièmement, tous les constitutionnalistes s’accordent pour dire qu’il est important de renforcer le rôle du Président, tout en veillant à ce qu’il soit redevable de ses actions. Actuellement, le Président de la République a tendance à blâmer le Parlement, en particulier le Sénat, pour les blocages et les échecs. Si nous voulons un leader capable de prendre des décisions rapides et efficaces, nous devons aussi mettre en place des mécanismes de contrôle stricts. Le Président doit rendre des comptes non seulement au Parlement, mais aussi directement au peuple. Cela pourrait se traduire par la mise en place de référendums (comme en Suisse) ou d’outils de contrôle citoyen permettant aux Haïtiens de s’exprimer directement sur les grandes décisions politiques.

Une autre option serait de repenser la durée du mandat présidentiel et les modalités de renouvellement. Plutôt que de prolonger les mandats ou de permettre des réélections multiples, une période fixe plus courte, combinée à une obligation de rendre des comptes à mi-mandat, pourrait être envisagée. Cela permettrait d’éviter la concentration du pouvoir tout en garantissant une continuité nécessaire pour mettre en œuvre des réformes.

Enfin, il est essentiel de créer un cadre institutionnel où les citoyens eux-mêmes jouent un rôle central. Il ne suffit pas de créer des institutions si celles-ci ne permettent pas une participation active de la population. La décentralisation pourrait être une piste à explorer. Au lieu de concentrer tout le pouvoir à Port-au-Prince, les collectivités locales pourraient jouer un rôle plus important dans la gestion des affaires courantes. Cela permettrait de rapprocher les décideurs des préoccupations des citoyens, tout en stimulant une démocratie plus participative et plus ancrée dans les réalités locales.

La nouvelle Constitution haïtienne doit indéniablement refléter les aspirations d’un peuple qui cherche avant tout la paix, la stabilité et le développement. Les Haïtiens ne veulent plus de gouvernements inefficaces et corrompus ni d’institutions bureaucratiques qui ne servent qu’à enrichir une élite politique déconnectée. Nous avons besoin d’un système qui permette à chaque citoyen de se sentir représenté, qui offre des mécanismes de contrôle efficaces et transparents, et qui assure une véritable justice sociale. Le chemin est encore long certes, mais il est temps pour nous de prendre en main notre destinée et de créer une démocratie véritablement haïtienne, une démocratie qui fonctionne pour le bien de tous les Haïtiens, et pas seulement pour quelques nantis.

Stéphane Boudin
Le Floridien, 15 octobre 2024

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