Scandale de corruption : le manque de leadership de Jean Monestime mis à nue

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Il aurait bien aimé s’en passer, mais la justice en a décidé autrement. Jean Monestime, qui occupe le poste de Commissionnaire (District 2) du comté de Miami-Dade depuis 2010, voulait en effet que son dernier mandat se passe de manière tranquille, loin des scandales et des affaires. Malheureusement pour lui, des personnes qui sont en lien direct avec son bureau de North Miami viennent d’être arrêtées pour leur implication présumée dans des activités de détournement de fonds publics. On ne parle pas ici de quelques milliers de dollars, mais de 640 000$… minimum. Minimum, car l’enquête ne fait que commencer et pourrait bien révéler d’autres surprises.

Les fraudeurs ont cru que Miami-Dade, c’était Haïti

“Il est décevant de voir qu’il y a encore des individus qui pensent qu’ils peuvent s’en tirer en volant l’argent public”. Cette petite phrase de la procureure du comté de Miami-Dade en dit long sur la naïveté des prévenus qui pensaient pouvoir piquer dans la caisse sans se faire prendre. D’après le rapport préliminaire de l’enquête de 54 pages dont dispose Le Floridien, entre 2015 et 2021, le trio a empoché illégalement une grosse somme d’argent qui dépasse allègrement les 640 000$. Les larrons sont au nombre de trois : Mac-Kinley Lauriston, Evelt Jeudy et Nadine Chery. Mais la liste des noms pourrait vite s’allonger étant donné que l’enquête n’en est qu’à ses débuts.

Le premier à être passé à la trappe est Evelt Jeudy, 59 ans. Il fait face à 45 chefs d’accusation pour des crimes de premier, second et troisième degré. Pour faire court, Evelt est accusé de racket, de vol d’identité, d’abus de confiance, d’indemnisation illégale, etc… la liste est longue. Tellement longue que même le principal accusé ne s’en souvient pas.

Le deuxième à être interpellé par la police est Mac-Kinley Lauriston. Il est lui aussi proche de Monestime puisqu’il a occupé le poste d’assistant du commissionnaire de Miami-Dade (District 2) de novembre 2010 à Mars 2015. Monsieur Lauriston a ensuite été réembauché au mois de novembre de la même année, cette fois-ci en tant que chef de cabinet. Le 8 septembre 2018, Lauriston avait pris un congé sabbatique pour s’engager dans la course électorale pour le poste de Maire de la ville de North Miami. Toutefois il conservait pendant toute la période de campagne électorale son statut d’employé du comté de Miami-Dade. Après sa défaite électorale, Lauriston a officiellement quitté son job le 1er mai 2020. Dans cette affaire de détournement, Mac-Kinley a fait encore plus fort qu’Evelt puisqu’il fait face à 55 chefs d’accusation. Il a été ‘cueilli’ par la police à sa descente d’avion, alors qu’il revenait d’un voyage en Haïti le dimanche 1er mai. Conduit au centre correctionnel de Turner Guilford Knight, il a réussi à payer la caution (fixée initialement à 154,000$, mais réduite par la suite à 50,000$) le mardi 3 mai 2022 à la demande de son avocat. Mac-Kinley pourra ainsi gouter à nouveau au parfum de la liberté en attendant son procès. Evelt Jeudy, lui aussi, a été libéré sous caution (fixée initialement à 148,000$, mais réduite par la suite à 51,000$) le mercredi 4 mai 2022. Dans les deux cas non sans une ordonnance restrictive.

La dernière à tomber dans l’escarcelle de la justice est Nadine Chery. Méconnue du grand public, Nadine Chery était directrice d’une succursale de la banque Wells Fargo localisée à Pembroke Pines, comté de Broward. Son rôle à elle consistait à ouvrir des comptes chèques au profit de personnes fictives. C’est sur ces comptes que l’argent public détourné devait transiter. Pour cela, Nadine fait face à une douzaine de chefs d’accusation.

C’est l’animateur de radio Jean Antoine Faveur, admirateur de Monestime, qui a fini par balancer Evelt Jeudy et Mc-Kinley Lauriston aux agents de “Miami-Dade County of the Inspector General Office’ après un long interrogatoire. Se sentant pris au piège au point de plus trouver le sommeil pendant plusieurs nuits, Faveur a décidé d’envoyer un texto vers 4hr du matin à un des enquêteurs pour lui faire part de sa décision de tout raconter.

Au nombre des entreprises utilisées par les racketteurs pour voler le gouvernement du comté de Miami-Dade, citons : YOUTH EDUCATION THROUGH SPORTS, INC. dirigé par Mario Apollon ; LITTLE HAITI OPTIMIST FOUNDATION, INC. ayant pour Présidente Marie Louissaint ; HAITIAN SENIOR STARS SOLIDARITY GROUP, INC., à sa tête Jean Antoine Faveur comme Président, avec d’autres memebres (Claudette Andre, Mita L Morisseau, Conrade Prophete, et Jenny Botex); HAITIAN CULINARY ALLIANCE USA INCORPORATED dirigée par Jean Elie Joseph, Jacqueline Exceus, et Emmanuella Alcius ; 5 Diamonds Inc./Blue Diamond Party Rentals dirigée par Nadine Chery.

Selon des documents disponibles sur le site de ‘State of Florida, Division of Corporations’, le nom de Mac-Kinley Lauriston figure dans pas moins d’une dizaine d’entreprises et d’organisations à but non lucratif (actives et inactives), dont Fidelis Consulting, LLC, Lauriston & Associates, LLC, Gisele Telfort Lauriston, Family Foundation Inc..

Toujours selon le rapport préliminaire de 54 pages détaillant cette sale affaire et basé en partie sur les témoignages de Mario Apollon, président de l’organisation ‘YOUTH EDUCATION THROUGH SPORTS, INC’, Nadine Chéry est décrite comme étant le bras droit de Lauriston. Apollon a également déclaré aux enquêteurs que d’après ses observations, Nadine et Mc-Kinley entretiendraient une certaine relation amoureuse. Aussi, des sources dignes de foi indiquent que plusieurs personnalités de la communauté haïtienne bien connues (des hommes et femmes d’affaires pour la plupart) seraient dans la ligne de mire des enquêteurs et pourraient bientôt être arrêtés pour leur implication dans ce même dossier.

Quant à Evelt Jeudy, son nom figure lui aussi dans les documents d’une douzaine d’entreprises et d’organisations à but non lucratif (actives et inactives). Ces entités incluent League of Haitian American Voters, Inc. et Supreme Int’l Janitorial and Moving Services, Inc. Jeudy dirige cette dernière entreprise avec son bon ami Jean Antoine Faveur. De même, Jeudy serait aussi le parrain du fils d’une certaine Emmanuella Regis. Selon les aveux faits par Jean Antoine Faveur aux enquêteurs du “Miami-Dade County of the Inspector General Office’, les identités d’Emmanuella Regis et sa fille Sheldine Jean Baptiste ont été volées pour être utilisées aux fins de restituer frauduleusement des entreprises et organisations à but non lucratif pour obtenir illégalement des subventions du comté de Miami-Dade et des propriétés.

Apollon sommé de s’expliquer devant la justice

Durant l’enquête du “Miami-Dade County of the Inspector General Office’ sur les détournements de fonds orchestrés par des proches de Monestime, un autre nom est souvent ressorti, celui d’Apollon. Prié de s’expliquer sur les subventions louches qu’il a reçues du bureau du commissionnaire Monestime, il a dû montrer ses relevés bancaires pour clarifier l’origine des fonds et comment tout ce stratagème a été monté. Apollon a reconnu connaître le trio mis en cause dans l’affaire de détournement, à savoir Lauriston , Jeudy et Chery. Au fil des ans, il a utilisé les subventions de la ville de North Miami, du Children’s Trust et du Miami-Dade County pour financer son programme. Nadine pour sa part l’a approché pour faire profiter son entreprise ‘5 Diamonds’ des avantages fiscaux de l’organisation caritative d’Appollon.

Après avoir reçu tous ces fonds, Apollon devait faire des chèques de rétro-commission au nom de personnes qu’il ne connaissait pas. C’était là la condition exigée par ses ‘donateurs’ s’il voulait continuer à bénéficier des généreuses subventions que lui accorde le bureau du commissionnaire du District 2. Ainsi, entre 2016 et 2018, sur un montant total de 37.392$ reçu, Apollon a du ‘retourner’ un total de 26,848$ payés en 14 chèques. Parmi les ‘heureux’ bénéficiaires figurent les noms de Michel Arisma (Summer Pgm Ad $2,000.00), Harold Emmanuel (Summer Pgm Ad $2000.00), Nadine Chery (Professional and Consulting $3,000.00), Elie Jean (Professional Services $500.00) et Mathias Honore (Professional services & Loan $3,200.00). Bien entendu, tous ces paiements n’avaient aucune justification et ne servaient qu’à enrichir illégalement les personnes derrière cette combine.

Monestime voit son image fortement écornée

505_MonestimeFBDès le début de cette affaire, les enquêteurs ont pris soin de dédouaner le commissionnaire Jean Monestime. Celui-ci s’est d’ailleurs empressé de déclarer aux enquêteurs que Lauriston (son ancien chef de cabinet), et lui seul, avait l’autorité au sein de son bureau pour faire bénéficier les subventions à des proches. Autrement dit, différentes manigances se tramaient dans le bureau du District-2 sans que Monestime n’ait rien vu, ni entendu. La Procureure Fernandez Rundle a été claire à ce sujet : “Il n’y a aucune preuve que le commissionaire Monestime était au courant de ces activités par des membres de son personnel. Certains pourraient en fait dire qu’ils ont également trahi sa confiance, et il semble qu’ils l’ont trahie.” Malgré ces affirmations, les médias ainsi que le grand public ne sont pas totalement convaincus. En effet, Monestime n’est pas tombé de la dernière pluie et est beaucoup moins naïf qu’il veut bien le laisser croire. Il aime d’ailleurs se définir comme un ‘self-made man’ qui a bâti sa fortune et sa carrière politique à partir de zéro. Mais lorsqu’on recueille les témoignages des gens qui l’ont côtoyé, on s’aperçoit qu’on a plutôt affaire à un homme roublard, voire manipulateur.

Ce qui est sûr, et bien qu’il ne soit pas impliqué sur le plan pénal, cette affaire va tout de même laisser des traces et entacher son image sur le plan politique, lui qui vise un siège à la chambre des Représentants au Congrès américain. Plusieurs membres de la communauté haïtienne croient dur comme fer que ce natif de Saint-Louis du Nord (département du Nord-Ouest) n’est pas si innocent. En effet, comment se fait-il qu’il n’ait rien vu venir, alors que les détournements ont duré presque 6 ans, de novembre 2015 à avril 2021. À travers ce scandale, c’est le leadership de Monestime qui risque d’être remis en question. Pas sûr qu’il puisse en sortir indemne si jamais il veut se présenter à de prochaines élections. Certains disent déjà qu’après ce malheureux épisode, les chances pour que Monestime soit élu sont très minces.

Monestime avait le devoir de mieux surveiller ses collaborateurs, de détecter les ‘signaux faibles’ qui auraient pu lui mettre la puce à l’oreille, comme par exemple le fait que son ancien ‘Chief of staff’, Lauriston, se paie des études à la Florida International University (FIU) avant de demander de se faire rembourser avec l’argent du contribuable.

Quelle leçon retenir de cette affaire de détournement?

Ce scandale a fortement secoué non seulement le comté de Miami-Dade, mais aussi et surtout la communauté haïtienne puisque tous les protagonistes de cette sale affaire sont originaires d’Haïti. À travers leurs agissements honteux, ils ont sali l’image des haïtiano-Américains qui se lèvent chaque jour tôt le matin pour aller travailler et gagner leur vie honnêtement. Ces racketeurs ont non seulement volé l’argent public, mais ils ont également abusé de la confiance de toute une communauté qui a cru en eux.

Car il faut bien savoir que lorsqu’un des nôtres commet un impair, ce n’est pas seulement lui qui en paie le prix lorsqu’il se fait attraper, mais l’ensemble de la communauté à laquelle il appartient. C’est injuste certes, mais cela a toujours été ainsi. Mac-Kinley Lauriston, Evelt Jeudy et Nadine Chery ne sont pas les premiers à salir l’image de la Communauté haïtienne du comté de Miami-Dade. Il faut aussi croire qu’ils ne seront pas les derniers. Car, d’après nos sources, les agents de ‘Miami-Dade County of the Inspector General Office’ continuent d’auditionner plus d’une dizaine de personnes, et d’autres noms sont ciblés par l’enquête qui ne fait que commencer.

Dès lors, lorsqu’il y aura des élections au niveau du comté, ou encore au niveau de l’État de Floride, comment voulez-vous que les électeurs votent pour un candidat d’origine haïtienne? Comment leur prouver que Jean n’est pas Fernand? La confiance est un édifice qui est très difficile à construire, mais tellement facile à démolir. Et c’est exactement ce que nous vivons aujourd’hui.

L’autre leçon à retenir de cet épisode est d’ordre politique. Les membres de notre communauté qui accèdent à des postes de responsabilité doivent une bonne fois pour toutes comprendre que les États-Unis, ce n’est pas Haïti. Les petites manigances pour détourner l’argent finissent tôt ou tard par se savoir. Et au final, le prix qu’ils payent est bien plus élevé que l’argent qu’ils détournent. En somme, le crime ne paie pas, et il serait illusoire de croire le contraire.

L’enquête sur cette affaire de détournement ne fait que commencer et la justice a promis que d’autres têtes allaient tomber. Bien qu’elle en soit une victime indirecte, la communauté haïtienne se doit de s’éloigner de ces personnes qui salissent son image et qui ne la représentent guère. Quant à Monestime, espérons qu’il aura compris après ce malheureux épisode qu’un bon politicien, c’est avant tout un politicien qui sait s’entourer.

Des ‘innocents’ impliqués

En plus de la communauté haïtienne qui a vu son image entachée lors de cette affaire, on déplore également d’autres victimes collatérales qui ont été impliquées malgré elles. Dans la majorité des cas, leur identité a été volée ou utilisée sans leur consentement. Citons entre autres : Johane Cothière, Regina Serrano, Me. Erigène Belony, Mita Morisseau, Stephane Durand, Adeline Pierre-Louis, Jacqueline Exceus, Nancy Adrien, Sheldine Jean Baptiste, et Emmanuella Régis. Les noms de Melonie Burke, Fabiola Jean Baptiste, Dr. Smith Joseph sont aussi mentionnés dans le document produit par les enquêteurs du “Miami-Dade County of the Inspector General Office’.

Dans un prochain article, nous analyserons en détail les transactions frauduleuses commises par le trio d’inculpés, particulièrement à travers l’organisation à but non lucratif Haitian Senior Stars Solidarity Group Inc. (HSSSG) que dirigeait au départ Jean Antoine Faveur et l’entreprise Corporate Solutions Network (CSN) dirigée par Nadine Chery, deux des entités les plus utilisées par les accusés pour voler l’argent des contribuables. Un vrai scandale de corruption et une première dans les annales de notre comté dont on se serait bien passé!

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 12 mai 2022
ferdinand@assisweb.com

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