Séisme de 2010 : des blessures toujours ouvertes

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ll y a quinze ans jour pour jour, notre pays subissait l’un des séismes les plus dévastateurs de son histoire. Une date gravée dans la mémoire collective : 12 janvier 2010. Ce jour-là, des milliers de vies ont été brisées, des familles décimées, et tout un pays a vacillé sous la violence de la terre. Au-delà des chiffres officiels, qui n’ont jamais vraiment pu être établis avec précision, c’est toute une nation qui s’est retrouvée à genoux, sous le regard ému, quoiqu’éphémère, d’une solidarité internationale aussi spectaculaire qu’inégale. Et aujourd’hui encore, en 2025, les séquelles de cette tragédie continuent de façonner le quotidien de nos compatriotes.

Depuis ce terrible mardi de janvier 2010, notre pays porte les marques, à la fois tangibles et impalpables, d’un drame qui a ébranlé le pays jusque dans ses fondements. Ce ne sont pas seulement les bâtiments écroulés, les routes fissurées et les quartiers rasés qui nous rappellent cette tragédie ; ce sont aussi les familles décimées, les cicatrices psychologiques, les traumatismes non guéris. Quinze ans se sont écoulés, mais la douleur reste vive dans nos cœurs.

Dès les premiers jours qui ont suivi le séisme, l’aide humanitaire a déferlé de partout. Les convois arrivaient, les avions se posaient à l’aéroport Toussaint Louverture, des organisations internationales plantaient leur drapeau sur des sites de fortune… L’effervescence médiatique était à son comble, et le monde entier avait les yeux rivés sur Haïti. Certes, on ne pouvait pas espérer tout réparer en quelques semaines, mais le constat qui s’impose aujourd’hui est que ce suivi a grandement fait défaut. Trop d’initiatives se sont arrêtées net une fois les caméras parties.

Pendant ces quinze années, des milliers de familles ont dû rebâtir leur vie avec les moyens du bord. Certaines ont tenté de reconstruire leur maison sur le même terrain que celui où tout s’était effondré. D’autres ont fui la capitale et les zones sinistrées, partant s’installer en province ou dans d’autres pays, à la recherche d’un avenir plus sûr. Mais à mesure que le temps passait, la solidarité internationale s’est érodée. Les financements ont diminué, les ONG ont fermé leurs bases, les gouvernements étrangers ont détourné leur attention vers d’autres crises. Pendant ce temps, les Haïtiens étaient toujours confrontés aux mêmes défis : manque de logements, infrastructures défaillantes, accès aux services de santé et d’éducation plus que limité. À cela s’est ajoutée la montée en puissance de la criminalité et des gangs.

Et puis, il y a cette fatigue, ce ras-le-bol généralisé, teinté d’une colère sourde contre la corruption et l’impéritie de certains de nos décideurs. Car si Haïti n’a pas su mettre à profit la manne financière arrivée en 2010, c’est en grande partie à cause d’une gouvernance instable et trop souvent intéressée. Les fonds d’urgence débloqués à l’époque se sont dissous dans des projets mal gérés, dans des contrats douteux, et surtout, dans des poches particulières.

Quand crise économique et insécurité s’installent

Au-delà des décombres matériels, c’est toute l’économie haïtienne qui a reçu un coup fatal. Avant même 2010, la situation n’était déjà pas reluisante : un taux de chômage élevé, une dépendance chronique à l’égard de l’aide internationale et une industrie locale en berne. Le séisme a accéléré cette dégradation, avec la destruction de nombreuses entreprises, la paralysie de l’administration publique et la fuite de capitaux vers des cieux plus stables. Aujourd’hui, en 2025, on constate que la crise économique, enclenchée il y a quinze ans, ne s’est jamais vraiment résorbée.

On peut dire sans risque de se tromper que l’économie haïtienne aujourd’hui se limite à l’économie informelle. Des commerces de rue improvisés, des petits trafics de subsistance, une débrouillardise quotidienne pour tenter de joindre les deux bouts.. et c’est tout. Ces activités, légales ou non, pallient l’incapacité de l’État à offrir des débouchés et des emplois dignes. Le souci, c’est que cette informalité a aussi nourri l’insécurité ambiante. Car qui dit économie parallèle dit aussi possibilités de rackets et de conflits, surtout dans les quartiers populaires, où les gangs s’imposent souvent comme des « autorités » locales, dictant leur loi au détriment des institutions officielles.

On ferme boutique plus tôt ; on ne sort plus le soir ; on se méfie de tout le monde. Certaines zones de la ville sont même devenues quasi inaccessibles, tant la présence des gangs y est enracinée. Entre la misère et la peur, beaucoup d’Haïtiens aspirent à quitter le pays, suscitant un phénomène d’exode, que ce soit vers la République Dominicaine voisine ou vers l’Amérique du Nord.

Le pire, c’est que l’aide internationale, qui aurait pu aider à résorber cette spirale infernale, n’a pas su s’adapter aux réalités du terrain. Nombreux sont les projets qui n’ont pas dépassé le stade de la théorie, faute de suivi ou de concertation avec les communautés locales. Résultat : une colère grandissante chez les Haïtiens, qui voient dans cette désorganisation le symbole même d’une promesse non tenue.

Nos compatriotes n’ont connu ces dernières années que des gouvernements intérimaires successifs, des élections reportées, bref, de l’instabilité à la tête de l’État… Comme si le séisme de 2010, au-delà de détruire des maisons, avait aussi fracturé la confiance populaire dans le pouvoir.

Le logement, la résilience et l’avenir incertain

Si certains ‘rares’ quartiers ont bénéficié de programmes de reconstruction plus ou moins cohérents, la grande majorité, situés en périphérie ou dans des zones moins médiatisées, restent aujourd’hui encore composés d’abris de fortune ou de maisons partiellement réparées. Au-delà de la simple question des briques et du ciment, ce qui fait défaut, c’est une vision globale d’urbanisme et de protection antisismique. Les normes ne sont souvent pas respectées, par manque de moyens, de volonté politique ou de contrôle administratif. On se retrouve avec des constructions montées à la hâte, fragiles, où vivent parfois plusieurs générations d’une même famille, dans une promiscuité inquiétante.

Pire, l’exode rural, loin de se tarir, s’est amplifié suite au séisme, faisant gonfler les bidonvilles de Port-au-Prince et des grandes agglomérations du pays. Entre la rareté des emplois en province, l’absence d’infrastructures et l’espoir (souvent déçu) d’une vie meilleure en ville, la capitale s’est transformée en un gigantesque puzzle où cohabitent quartiers résidentiels barricadés et zones de non-droit. Au final, comme on pouvait s’y attendre dans pareils circonstances, la pression immobilière s’est intensifiée, les loyers ont augmenté, et la concurrence pour trouver un toit décent est devenue féroce. Ceux qui n’ont pas les moyens se contentent d’un espace exigu, au détriment de leur bien-être et de leur sécurité. Les haïtiens de la diaspora en savent quelque chose, eux qui se voient proposer des prix ahurissants lorsqu’ils cherchent à louer pour eux-mêmes ou pour leurs proches dans des quartiers sûrs.

Avec toutes ces incertitudes, l’avenir demeure plus que jamais incertain. Les promesses de rénovations et de relance économique formulées en 2010 sont restées lettre morte, faute d’institutions stables et transparentes. Les petits progrès observés çà et là ne suffisent pas à faire taire le sentiment de désillusion, voire d’abandon. On se demande si, un jour, notre pays pourra véritablement tourner la page du séisme. Au détour d’une conversation, on entend souvent : « Nous sommes toujours en 2010, nous n’en sommes jamais vraiment sortis. » Dans les rues, on constate que peu de choses ont réellement changé, si ce n’est la multiplication de drames quotidiens : conflits armés, pénurie de carburant, misère ambiante..

Pourtant, certains espèrent encore. Ils plaident pour une refonte en profondeur de l’urbanisme, pour une décentralisation qui permettrait aux régions de se développer et de désengorger la capitale, pour un assainissement des finances publiques et, surtout, pour un combat résolu contre la corruption. Ils proposent aussi de faire appel aux forces vives du pays : diaspora, entrepreneurs locaux, partenaires à l’étranger. Ces derniers peuvent être utilisés comme leviers pour accélérer la reconstruction de notre nation sur des bases plus solides, au sens propre (antisismique) comme figuré. On voit bien que, si l’on n’agit pas maintenant, on risque de commémorer encore bien d’autres anniversaires du séisme sans avoir tiré les leçons du passé.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 12 janvier 2025

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