Sweet Micky et ses liaisons dangereuses

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Alors qu’il n’est plus Président de la République depuis de nombreuses années, le sulfureux Sweet Micky (de son vrai nom Michel Joseph Martelly) continue de défrayer la chronique judiciaire et d’alimenter la rubrique des faits divers dans les journaux. Il y a quelques jours, on a ainsi appris que le gouvernement américain avait lui aussi décidé d’imposer des sanctions contre l’ancien Chef de l’État, notamment pour son implication potentielle dans le trafic de drogue, la corruption, mais aussi pour ses liens présumés avec des gangs basés en Haïti. Des charges assez lourdes qui pourraient valoir à Michel Martelly des poursuites judiciaires, d’autant plus qu’il n’est plus protégé par son immunité présidentielle.

Des accusations sérieuses contre Michel Martelly

Les déboires de l’ancien Président haïtien avec la justice ne datent pas d’hier. Cela fait des années maintenant que Tet Kalé est sous pression. En plus d’être dans la ligne de mire de plusieurs enquêtes menées pour éclaircir son passé trouble. Il est également surveillé par la société civile, notamment les mouvements féministes qui ne le lâchent pas non plus d’une semelle, lui reprochant entre autres de tenir dans certaines de ses chansons des propos misogynes et dégradants sur les femmes. Ces dernières ont fini par avoir une première revanche en mars 2019, lorsqu’elles ont réussi à interdire son spectacle et à le tenir éloigné de Montréal. Le principal intéressé, qui 3 ans auparavant était reçu dans les salons feutrés des palais présidentiels des différentes capitales du monde, était dorénavant persona non grata. Humilié par ce refoulement et cherchant à sauver la face, Martelly a fini par justifier l’annulation de son concert en invoquant un faux-problème de visa de 2 de ses musiciens censés l’accompagner.

Qu’à cela ne tienne. Quelques années plus tard, plus précisément en 2022, le gouvernement Canadien annonçait officiellement la prise de nouvelles sanctions contre d’anciens dirigeants haïtiens, Michel Martelly en tête. Ces derniers voyaient ainsi leurs avoirs gelés pour une durée indéterminée. Les autorités canadiennes soupçonnent en effet l’ancien Chef de l’État de financer des gangs en Haïti, et qui sont la principale source d’instabilité et d’insécurité aujourd’hui au pays. Martelly ne pouvait se réfugier derrière ses musiciens cette fois-ci, étant donné que les autorités canadiennes l’ont explicitement désigné comme responsable.

La déchéance de Michel Martelly ne date pas d’hier. Aussi bien pendant son mandat présidentiel qu’après, il n’a cessé de trainer des casseroles. Saut que cette fois avec les nouvelles sanctions prises par le gouvernement américain, on a incontestablement franchi un nouveau cap. Le département du Trésor américain a ainsi gelé tous les actifs appartenant à M. Martelly, ou ce qu’il en reste. En effet, se sachant étroitement surveillé, Martelly a sans doute placé ses biens sous le nom de ses proches pour préparer sa retraite. Au-delà de la confiscation de ses avoirs, l’autre coup dur pour Martelly a sans doute été l’interdiction de fouler le sol américain. Avant son élection, Martelly résidait à Miami, en Floride. Une fois quitté le pouvoir en 2016, il avait l’habitude de passer son temps entre la République dominicaine et Miami. Martelly devrait désormais renoncer à mettre les pieds sur la terre de l’Oncle Sam.

Mais que reproche-t-on exactement à Martelly pour que le gouvernement américain décide tout d’un coup de bloquer ses avoirs ? Les accusations, listées par le porte-parole du Département du Trésor américain, semblent assez graves : trafic d’influence en vue de faciliter l’introduction de cocaïne vers les États-Unis, liens avec des gangs et des bandes organisées qui sèment le chaos en Haïti et qui sont responsables d’enlèvements et de crimes violents, et enfin corruption.

Le timing de ces accusations surprend, puisqu’elles arrivent quelques semaines à peine après la nomination de Garry Conille à la tête du pays. D’ailleurs, Conille et Martelly se connaissent assez bien, puisque le Premier était le Chef de gouvernement du deuxième. Mais pourquoi avoir attendu jusqu’à aujourd’hui pour accuser Michel Martelly, alors que ses agissements sont connus depuis des années. Pourquoi les Américains lâchent-ils leur protégé qu’il ont pourtant ‘coopté’ en 2011 pour prendre le pouvoir. Tout simplement parceque Martelly ne convient pas au ‘’casting gouvernemental’’ que Washington veut constituer pour les années à venir. Pire, Martelly est considéré, à tort ou à raison, comme une menace potentielle qu’il convient d’écarter au plus vite. Cette façon de faire des Américains n’est pas nouvelle. La liste des dirigeants corrompus qui ont été soutenus puis lâchés par les États-Unis sont légion : Noriega au Panama, Mobutu au Zaïre (RDC), Batista à Cuba, etc. C’est le drame des Républiques bananières.

Pour revenir aux sanctions contre Martelly, les actions du gouvernement américain soulignent la conviction que ce dernier, loin d’être un observateur passif, a joué un rôle actif dans l’état de chaos actuel en Haïti. Bradley T. Smith, sous-secrétaire américain par intérim au terrorisme et au renseignement financier, a souligné le « rôle significatif et déstabilisant » de M. Martelly dans la crise actuelle. Il s’agit d’un acte d’accusation accablant pour un homme qui, pendant sa présidence de 2011 à 2016, était déjà critiqué pour sa gestion calamiteuse du pays. D’ailleurs, c’est sous son mandat que le plongeant d’Haïti s’est accéléré vers le néant.

Mais le plus étonnant dans tout cela, c’est que Sweet Micky est rarement inquiété directement par la justice, alors que plusieurs indices pointent sur sa responsabilité dans plusieurs affaires de corruption, notamment Petrocaribe. À part le gel de ses avoirs, aucun procès ni aucune incarcération n’ont été requis contre lui. Est-ce parce qu’il bénéficie d’une immunité diplomatique que lui aurait peut-être accordée son ancien ami Jovenel Moïse pour le protéger? La question mérite d’être posée.

Quand la politique flirte avec le crime organisé

Les accusations formulées contre Martelly, bien que choquantes, ne sont pas une surprise pour les Haïtiens. Le paysage politique de notre pays est depuis longtemps entaché par la corruption, le clientélisme, les malversations et les détournements. Pire, la collusion entre les miliciens et les politiciens a créé au fil du temps un climat malsain qui nous a menés là où nous nous trouvons. On paie aujourd’hui au prix fort les méthodes criminelles de nos dirigeants. Les films comme ‘Scarface’ ou ’Le Parrain’ ne sont pas une fiction en Haïti, mais bien une réalité. Un politicien peut très bien vous donner une accolade fraternelle le matin et organiser votre assassinat le soir même s’il estime que vous dérangez ses plans.

Les liens entre les politiciens et les criminels sont profonds et remontent à l’époque du régime Duvalier, où les dirigeants s’appuyaient ouvertement sur les gangs et les milices pour garder le contrôle. Qu’ils soient surnommés « tontons macoutes», « zenglendo », ou « chimè», ces groupes mafieux sont connus pour leurs interventions brutales et leurs méthodes impitoyables. Alors qu’ils sont utilisés par les différents gouvernements pour faire taire toute opposition politique, ils prennent un malin plaisir à terroriser une population démunie. Aujourd’hui, les noms et les visages ont peut-être changé, mais les tactiques restent les mêmes. Martelly, Henry et d’autres sont considérés par beaucoup comme poursuivant cet héritage de corruption et de violence, s’enrichissant aux dépens du peuple haïtien.

Si l’on prend le cas de Martelly, de nombreux rapports émanant des gouvernements américain et canadien, ainsi que des Nations Unies, indiquent clairement que Martelly soutient financièrement des gangs armés en Haïti, notamment des gangs ‘de la Base 5 segond, Village de Dieu, Ti Bwa et Gran Ravin’’. Comme on dit, il y a pas de fumée sans feu, et ces accusations ne viennent pas de nulle part. D’un autre côté, il serait hypocrite de tout mettre sur le dos de Martelly quant au sait que c’est tout le système politique haïtien qui est basé sur ces magouilles. Si Martelly doit tomber, alors c’est toute la classe politique qui doit le suivre. Personne ne peut venir aujourd’hui et dire qu’il a les mains propres après avoir baigné dans un tel marécage. Cela vaut aussi pour les journalistes, les décideurs et les différents intervenants de la société civile qui savaient, mais n’osaient rien dire. Comme on dit, le silence est complice!

Si la situation est devenue intenable en 2024, c’est aussi parce que les trafics qui nourrissent les gangs ont évolué avec le temps. Armes, drogues, enlèvements, les réseaux criminels ont élargi leurs activités afin de maximiser leurs revenus. Cela les a rendus beaucoup plus puissants qu’ils ne l’étaient auparavant, au point d’avoir des velléités politiques et de vouloir prendre le pouvoir, comme le laisse entrevoir Barbecue qui s’est vu pousser des ailes et lorgne le poste de Chef de l’État avec ambition. Car après tout, les voyous qui gouvernent notre pays ne sont pas plus vertueux que ceux qui règnent dans les rues.

Un Martelly peut en cacher un autre

À l’instar des rapports accusant Martelly, de nombreuses enquêtes indépendantes font état de l’implication d’autres hommes politiques dans le trafic de drogue, le blanchiment d’argent et même les violations des droits de l’homme. Il s’agit d’un problème systémique, les réseaux criminels étant imbriqués dans le pouvoir politique, ce qui crée un environnement où la responsabilité est pratiquement inexistante. Ce mélange toxique de politique et de criminalité a fait glisser Haïti dans un état de crise perpétuelle, sans voie claire vers la stabilité. Pour ainsi dire, Haïti est en train de devenir un État mafieux où il n’y a qu’une seule loi qui prévaut, celle du crime.

Aujourd’hui, on voit débarquer les policiers Kenyans pour rétablir l’ordre dans notre pays, mais est-ce suffisant ? Ne serait-il pas plus judicieux de s’attaquer aux têtes pensantes qui manipulent ces gangs à distance ? Car sans financement ni soutien politique, les groupes criminels auront plus de mal à survivre. Ils pourront certes continuer à racketter la population, mais cette dernière a atteint un tel niveau de précarité qu’il n’y a plus grand-chose à lui prendre, à part sa dignité.
Si les récentes sanctions contre Martelly sont un pas dans la bonne direction, mais elles ne suffisent pas à elles seules. Pour qu’Haïti sorte de son état actuel d’insécurité et d’instabilité, un nettoyage en profondeur de la sphère politique est essentiel.

Il faudra donc un effort concerté pour démanteler les liens entre les politiciens et les réseaux criminels. Il ne s’agit pas seulement de cibler des individus comme Martelly, mais aussi de s’attaquer au système plus large qui permet à une telle corruption de prospérer. La pression internationale, combinée à des réformes nationales, pourrait jouer un rôle essentiel dans ce processus.

Le peuple haïtien doit également jouer un rôle actif dans la demande de changement. Les organisations de la société civile, les mouvements populaires et les médias ont tous un rôle à jouer pour demander des comptes à leurs dirigeants. Ce n’est que par un effort collectif que le cycle de la corruption pourra être brisé.

Comme l’a si bien dit Martelly dans sa chanson I don’t care en un demi-aveux involontaire : ‘’ Peyi a le pays nous appartient. Voilà le problème de ce pays’’.

Saïd Ba et Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 29 août 2024

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