Lula au Brésil, José Mujica en Uruguay, Lopez Obrador au Mexique. Qu’est-ce qui réunit tous ces hommes? Ce sont tous des présidents issus de la gauche qui ont fait de la lutte contre les inégalités leur cheval de bataille. Leurs politiques reposent principalement sur la réduction des salaires et des émoluments des plus nantis, y compris dans les chambres législatives (députés, sénateurs), pour mieux réinvestir l’argent récolté ailleurs. C’est ainsi qu’ils arrivent à augmenter le salaire minimum des petites gens qui n’arrivent pas à joindre les 2 bouts afin de leur permettre de sortir un peu la tête de l’eau. Cela leur a valu une grande estime et un profond respect de la majorité de la population, chose dont peu de présidents peuvent s’enorgueillir aujourd’hui.

En Haïti, la situation est un peu plus “compliquée”. Ceux qui n’ont pas leur langue dans leur poche diront qu’elle est tout bonnement scandaleuse et indigne. En effet, il suffit de voir comment les élus des deux chambres prennent leurs aises en s’octroyant des avantages de toutes sortes pour s’en rendre compte. Considérons le cas d’un sénateur par exemple. Avant même qu’il ait eu le temps de chauffer son siège, on le reçoit avec un cadeau de bienvenue constitué de 500.000 Gourdes (7466 US$) et qui porte le doux nom de “frais d’installation”. Une fois que nos chers représentants sont bien installés – à ce prix-là, ils ont intérêt à l’être – commencent maintenant les choses sérieuses : les salaires, les primes et les avantages en tous genres. Et le moins que l’on puisse dire est qu’ils s’en sont donné à cœur joie pour se tailler des revenus sur mesure.

Jugez par vous-même. Un député est subventionné entre 25.000 $ et 35.000 $ (selon les sources) pour acquérir un véhicule de fonction, reçoit 220 $ en frais de carburant chaque mois, en plus des 1.000 $ pour changer pneus et batterie par année. Rajoutez à cela les frais de téléphone, les salaires des 3 collaborateurs qui avoisinent les 900 $ chacun, l’exonération de taxes, les salaires des chauffeurs et des agents de sécurité, les frais des activités culturelles, la location d’une résidence dans la capitale, les frais de la rentrée des classes, des fêtes patronales, des fêtes de Pâques, des fêtes de fin d’année, les frais de voyage à l’extérieur du pays ainsi que les déplacements à l’intérieur, et vous vous retrouvez à la fin de l’année avec un joli pactole qui multiplie votre salaire par 3 ou 4, voire plus. Pire, toutes ces données et informations collectées sont le fruit de recoupements entre différentes sources, car les premiers concernés, eux, n’aiment pas trop divulguer leurs
privilèges et encore moins les afficher au grand jour. Comme dit l’adage : vivons cachés, vivons heureux.

Et la population dans tout cela ? Elle a l’impression que paradoxalement, plus la situation générale se dégrade, plus les dotations de ses élus augmentent. Ce constat navrant fait dire à certains que les revenus de nos chers représentants dans les 2 chambres sont inversement proportionnels à la qualité de leur travail. Certaines organisations internationales ont expressément demandé aux responsables haïtiens de réduire leur train de vie qui est en total décalage avec les réalités économiques et sociales du pays. Elles n’ont pas manqué de pointer du doigt le faible rendement des élus qui votent peu de lois en comparaison avec les émoluments qu’ils reçoivent. Il est en effet inconcevable que des dirigeants qui demandent de l’aide extérieure d’un côté gaspillent autant d’argent de l’autre, parfois plus que dans certains pays développés. D’ailleurs, si on devait faire un classement des parlementaires les moins productifs à travers le monde, sans nul doute qu’Haïti terminerait sur le podium.

L’autre point noir qui donne au pouvoir législatif une bien mauvaise image auprès de l’opinion concerne l’opacité totale qui entoure son fonctionnement. N’eussent été les quelques scandales qui éclatent ça et là suite à des bisbilles entre différents élus, et qui permettent presque miraculeusement de distiller quelques informations pertinentes, le peuple haïtien ne dispose d’aucun moyen pour connaître avec exactitude comment est géré le budget du parlement bicaméral. Entre les magouilles et détournements en tous genres, autant dire que le mot “transparence” ne fait pas partie du lexique de l’Assemblée nationale. Le dernier exemple révélateur n’est autre que l’accrochage qui a eu lieu récemment entre Jospeh Lambert (Président du Sénat) et Ricard Pierre (sénateur du Su-est). Une querelle qui a débordé de manière inespérée sur la place publique et qui a enchanté les observateurs avertis qui scrutent avec un regard inquisiteur les manquements de nos institutions. On y apprend ainsi que le premier comptait louer, aux frais du contribuable bien entendu, une résidence officielle pour un montant qui dépasse allègrement les 7 millions de Gourdes par année. Ne supportant pas d’être dénoncé par un collègue qui veut le priver de disposer d’une luxueuse demeure, le Président de la chambre haute a à son tour répliqué en rapportant l’usage fait par Ricard Pierre d’un générateur électrique qui a été littéralement dérobé au Sénat. Depuis, le président du Sénat a été sommé de résilier le bail de location, et le sénateur Ricard Pierre de restituer le bien à qui de droit.

Ce déballage, aussi inattendu que désolant, a permis à l’opinion publique de mettre des noms et des chiffres sur les gaspillages honteux qui règnent au sein de notre Assemblée nationale. Ceux qui sont censés servir le peuple ne pensent qu’à s’empiffrer eux-mêmes. Dans certains pays comme la Suède, des responsables politiques de premier plan ont dû démissionner pour avoir acheté de simples barres de chocolat avec leur carte bancaire professionnelle. Si on devait appliquer la même rigueur en Haïti, il est fort à parier que la totalité de nos élus passera directement par la case prison.

LE FLORIDIEN, 30 JUILLET 2018

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