NEW YORK — L’assemblée générale des Nation-Unies 2018, qui s’est tenue pendant une semaine à New York à partir du 24 septembre, a vu cette année une affluence supérieure à la normale avec pas moins de 133 de chefs d’États et de gouvernements qui se sont réunis pour débattre des préoccupations internationales. Le climat, le développement, le commerce international et les conflits faisaient partie des principaux sujets abordés par la plupart des intervenants. Le Président Jovenel Moise n’a pas manqué l’occasion d’aller porter la voix d’Haïti dans cette illustre tribune. Il a pu exposer les inquiétudes majeures et les attentes de ses concitoyens, ainsi que les énormes défis à venir.

Accueil mouvementé, mais agenda bien rempli à New York

C’est devenu presque une habitude pour l’actuel chef de l’État d’Haïti. À chaque fois qu’il met un pied au pays de l’Oncle Sam, il est sûr d’être accueilli par une frange de la population en désaccord avec la politique qu’il mène. Cette énième visite à New York ne fait pas exception à la règle, puisqu’un groupe de manifestants a brandi des pancartes traitant certains membres de la délégation haïtienne d’être des voleurs et des escrocs.

Le cri de colère n’était d’ailleurs pas spécialement destiné à Moise personnellement, mais aux politiciens haïtiens dans leur ensemble, puisque l’ancien Président Martelly figurait parmi les personnalités conspuées même s’il n’est plus au pouvoir. Que ça soit devant le consulat général d’Haïti à New York, ou lors des déplacements des officiels Haïtiens, les protestants ont repris le flambeau de leurs frères et sœurs restés au pays afin de rappeler que leurs voix ne vont cesser de se faire entendre jusqu’à ce que toute la lumière soit faite sur le scandale PetroCaribe.

En parallèle, Moise a tout même réussi à rencontrer lors de son séjour des responsables politiques de haut niveau, notamment le Président Trump, la directrice générale du FMI Christine Lagarde ou encore le secrétaire général des Nations-Unies, Antonio Guterres (ONU), tous ayant des liens étroits avec Haïti sur plusieurs plans. Christine Lagarde tout d’abord, a eu des discussions franches avec le Président la République à propos du nouveau programme de référence (Staff Monitored Program) signé en février dernier. La directrice d’origine française a convenu avec le chef de l’État haïtien qu’il faudrait appliquer le programme de manière plus souple afin de ne pas heurter le pouvoir d’achat des populations les plus vulnérables. Le FMI met ainsi un peu d’eau dans son vin et semble enfin prendre en compte les considérations sociales dans son nouveau programme pour Haïti, le côté humain ayant toujours été le talon d’Achille des politiques d’aide et d’ajustement de cette grande institution financière.

Avec le Président des États-Unis, allié historique d’Haïti, le Président Moise s’est tenu à des amabilités diplomatiques soulignant les liens forts et étroits qui unissent les 2 pays. Il a également pu échanger avec le secrétaire général des Nations-Unis sur la situation post-MINUSTAH en Haïti. Le Président haïtien a notamment réitéré sa volonté d’éradiquer le choléra qui a déjà fait plus de 10.000 morts depuis son introduction en 2010 par des Casques bleus népalais.

Les Présidents changent, le discours reste le même

S’il y’a des interprètes de la langue française qui travaillent au siège des Nations-Unis depuis plus de 10 ans, ils doivent probablement se demander pourquoi chaque fois qu’un nouveau Président haïtien monte à la tribune, son discours ressemble étrangement à celui de ses prédécesseurs. Heureusement, ce reproche est aussi valable pour les Présidents d’autres nations, qu’elles soient considérées comme avancées ou pas. Si la forme change, le fond lui reste le même, avec un contenu qui devient rébarbatif au fil des assemblées.

En compilant les allocutions des 3 derniers chefs de l’État haïtien – Privert, Martelly et Préval – on remarque qu’elles ont toutes pour dénominateur commun la même structure argumentaire. On commence par faire un état des lieux de la situation du pays, qui oscille la plupart du temps entre désastreuse et catastrophique, selon les années, on fait ensuite l’éloge des actions du gouvernement entrant en exaltant sa lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance, puis on avance la facture que la communauté internationale doit régler pour aider le pays à sortir de son marasme moribond. Lors de la 64ème assemblée déjà, en 2009, feu le Président Préval demandait à la communauté internationale de mettre fin au paradigme de l’assistanat et de la charité, et de plutôt aider les Haïtiens à se reconstruire eux-mêmes. À la 70ème Assemblée quelques années plus tard, en 2015, Martelly a pris le relai pour dire à quel point sous son “administration, la démocratie s’est consolidée … et les droits de l’homme ont été promus et respectés”. Pourtant, quelques mois après ce discours dont le monde entier fut témoin, il va laisser un pays au bord du chaos, sans parler du recul des droits des femmes, la hausse exponentielle de l’insécurité et la banalisation de la corruption sous sa présidence. À la 71ème Assemblée générale en 2016, rebelote. C’est au tour de l’éphémère Président Privert de venir prêcher la bonne parole. Il égrène les défis qui attendent le pays, avant d’accuser sans langue de bois les Nations-Unis d’être responsables de la crise du choléra qui sévit dans le pays. Les institutions onusiennes doivent par conséquent, selon lui, assumer leur responsabilité en mettant la main à la poche afin de régler cette situation d’urgence sanitaire au plus vite. Au passage, il n’a pas manqué l’occasion de critiquer également l’aide internationale dont 40% des allocations finissent dans l’escarcelle des experts internationaux mandatés pour superviser la bonne gestion de ces fonds.

Moise n’y va pas par quatre chemins, il demande du cash

Dans la lignée de ses prédécesseurs, Moise commence par dresser un bilan mitigé des gouvernements précédents qui ont reçu 11 milliards de $ entre 2006 et 2016 sans qu’aucun projet structurant de grande envergure n’ait vu le jour. Puis il enchaîne en décortiquant devant l’Assemblée générale son plan pour sortir Haïti d’une crise globale qui ne fait que s’éterniser. Sans détour, il présente une facture chiffrée à la communauté internationale en lui demandant, une fois de plus, de faire confiance au gouvernement haïtien. Cette fois-ci, promis juré, le gouvernement en place va respecter tous ses engagements. Même si la parole donnée par un politicien haïtien aujourd’hui n’a plus beaucoup de valeur, que ça soit à l’échelle nationale ou internationale, Moise n’en démord pas et continue à croire en sa bonne étoile. Mais pour ce faire, il a besoin d’argent frais qui sera dépensé comme suit : pour le réseau électrique, il estime les besoins à 400 millions de $, pour l’irrigation agricole, 675 millions de $, pour une eau courante potable sur l’ensemble du pays, ça sera 300 millions de $, rajoutez à cela 450 millions de $ pour la construction de salles de classe, 20 millions pour une mise à niveau des dispensaires de santé (un montant qui semble dérisoire selon plusieurs experts), et 800 millions pour le réseau routier. Au total, et en comptabilisant les projets d’appoint, on dépasse allègrement les 3 milliards de dollars.

Bizarrement, la somme correspond plus ou moins au montant détourné de PetroCaribe et qui est lui estimé à 3,8 milliards de dollars. Alors, au lieu d’aller quêter une fois de plus l’aide étrangère, ne serait-il pas plus judicieux de constituer une équipe ad hoc pour aller chercher l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire dans les comptes secrets des paradis fiscaux où les responsables-escrocs haïtiens ont caché les richesses qu’ils ont détournées ? Démasquez et jugez toutes les bandes organisées qui ont dilapidé les biens du pays, Monsieur le Président, et vous verrez que vous allez restaurer un climat de confiance qui attirera tout naturellement les investissements étrangers. Vous n’aurez plus à aller les chercher, c’est eux-mêmes qui viendront vers vous.

DF/Le Floridien

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