MIAMI, 29 Octobre — Pur produit de l’école nationale de police dont il est sorti diplômé en 1996, Godson Orélus a su faire évoluer sa carrière jusqu’à être nommé directeur général de la police nationale en 2012 durant la présidence de Michel Joseph Martelly. Aujourd’hui, l’étau se resserre autour d’un des hommes clés de l’ancien pouvoir puisque la justice le soupçonne de trafic d’armes à feu et de munitions. Un crime passible de nombreuses années derrière les barreaux. Le principal intéressé lui nie farouchement les faits, et veut imposer sa vision des choses, quitte à employer la force pour y arriver. Apparemment, l’ex-DG de l’institution policière ne croit pas en l’indépendance de la justice et soupçonne que les ficelles soient tirées par en haut. Une assertion qui pourrait lui coûter cher lors de son procès.

Difficile pour l’ancien premier flic du pays, qui pourchassait jadis les bandits avant de les mettre au cachot, de se retrouver lui-même aux arrêts. On reproche à Mr Godson Orélus d’être impliqué dans un trafic illégal d’armes à feu en provenance des États-Unis. Le principal accusé était dans le collimateur de la justice depuis un certain temps puisque le juge d’instruction (Dieunel Lumerant ) chargé de l’affaire l’avait déjà auditionné il y’a de cela un an pour qu’il vienne s’expliquer sur les indices qui le mettaient en cause.

Aujourd’hui, il semble y avoir suffisamment de preuves à charge pour que Mr Orelus soit placé en détention préventive avant son procès.

Il faut dire que c’est un véritable arsenal de guerre qui fut découvert lors de la perquisition qui eut lieu au parking de la douane de Saint-Marc au mois de septembre 2016. Un lot composé de 159 fusils de calibre 12 (dont 9 automatiques à double-canon), 5 carabines militaires M4, 1 pistolet 9 mm et quelque 30.000 munitions a été saisi. Immédiatement, les enquêteurs ont compris qu’un tel trafic ne pouvait avoir lieu sans l’aval de hauts responsables bien placés. Mr Grodon Orélus a, semble-t-il, mis à profit son riche carnet d’adresses qu’il a pris soin d’étoffer lorsqu’il était à la tête de la police pour commettre ce délit. La justice devra maintenant essayer de comprendre jusqu’à quel point Mr Orelus est impliqué dans cette affaire, qui sont ses affidés, quelles sont les ramifications du réseau, et surtout, savoir quelles quantités d’armes il a introduites dans le pays avant que cette bande criminelle ne soit démantelée.

À voir comment le clan de l’ancien DG a opposé une virulente résistance lors de l’interpellation du principal intéressé, il semble d’ores et déjà peu probable que ce dernier soit prédisposé à coopérer pleinement avec la justice. Les hommes de main de l’ex-numéro 1 de la PNH ont agressé et malmené les agents venus l’arrêter. Dans des vidéos mises en ligne, on peut même voir le mandat de dépôt déchiré par des gardes du corps qui ont refusé d’obtempérer aux injonctions des agents. Cela montre à quel point les anciens hauts cadres de l’État et leur entourage se sentent au-dessus des lois. C’est au tribunal maintenant de les ramener sur terre et d’en faire des justiciables comme les autres, ne serait-ce que pour permettre aux citoyens de retrouver confiance en leur système judiciaire qui a perdu toute crédibilité ces dernières décennies.

Inoculer le virus pour mieux vendre le vaccin

C’est après son remplacement par Michel-Ange Gédéon en 2016 que le réseau de Godson Orélus a été mis à nu. Cela laisse à penser que Godson a probablement profité de sa position au sein de la police nationale pour faire son petit trafic, car la mise en place d’une telle organisation nécessite du temps, des moyens conséquents et des hommes. Mr. Orelus a-t-il fait ça pour l’argent ou pour pérenniser son poste en se rendant indispensable ? Un peu des deux sans doute. Vendre des armes à des voyous pour tuer des citoyens innocents qu’on est censé protéger, cela ne peut être que l’œuvre d’un personnage machiavélique. C’est comme si un laboratoire pharmaceutique inoculait un virus dangereux de manière sournoise à la population afin de lui vendre plus tard encore plus de vaccins.

Les ramifications du réseau de Godson Orelus s’étendent jusqu’aux États-Unis, puisque c’est là que la bande criminelle s’approvisionnait en armes. Ainsi, un propriétaire d’une armurerie à Orlando, du nom de Junior Joseph, a fait l’objet depuis peu de poursuites avec son frère Jimy pour avoir exporté illégalement des armes vers Haïti. La quantité envoyée correspond d’ailleurs à celle interceptée au parking de la douane de Saint-Marc. Un autre fournisseur probable, Patrick Germain (qui a récemment plaidé coupable devant un tribunal américain) portait lui son attirail depuis l’Illinois en transitant par la Floride. S’il est encore trop tôt pour lier ce dernier à Godson Orelus il est difficile d’imaginer que l’ancien homme fort de la Police nationale d’Haïti (PNH) ait pu laisser un concurrent quelconque venir parasiter son ‘petit trafic’. Il avait en effet les coudées franches pour éliminer tout rival, et ce de manière tout à fait légale puisqu’il disposait d’une force de frappe que les autres n’avaient pas avec des éléments de police sous ses ordres qui quadrillaient l’ensemble du territoire.

Réelle indépendance judiciaire ou règlement de compte politique ?

Les Haïtiens sont tellement peu habitués à voir la justice agir avec indépendance et impartialité, qu’à chaque fois qu’un haut responsable est mis aux arrêts, la même question ressurgit : est-ce un règlement de compte entre politiciens, ou la justice fait-elle enfin son travail de manière souveraine ? Si l’implication de Godson fait de moins en moins de doute, qu’en est-il des autres hauts cadres de l’État ? Le Président Martelly était-il au courant ? Les ministres de l’Intérieur qui se sont succédé durant cette période ont-ils été mis au parfum ? Si oui, pourquoi n’ont-ils rien fait ? Dans un pays où le bouche-à-oreille et le téléphone arabe fonctionnent mieux que certaines applications comme Whatsapp, difficile d’imaginer que les Ronsard Saint-Cyr, David Bazile, Réginald Delva et consorts ne savaient rien des agissements de l’ancien DG.

Aujourd’hui, la justice a les moyens de répondre à toutes ces questions, mais a-t-elle réellement le pouvoir ? Si comme pensent certains, tout ceci n’est qu’un règlement de compte politique orchestré en sous-main, cela voudra dire que l’ordre d’incarcération du juge d’instruction Dieunel Luméran n’émane pas vraiment de lui, mais de forces obscures qui ont des desseins bien plus alambiqués pour notre pays. Toujours est-il, il semble qu’une guerre de tranchées se prépare autour de cette affaire. Plusieurs hauts gradés de la police nationale ont déjà rendu une “visite de courtoisie” au prévenu dans sa cellule. Initiative choquante puisque cela peut être interprété comme une forme d’ingérence alors que l’enquête n’en est qu’à ses débuts. En effet, ce déplacement ressemble fort à un soutien symbolique et un signe de solidarité avec l’ex-directeur général de la police. Or, tout haut cadre de l’État, dans un souci d’impartialité, a un devoir de réserve lorsqu’une action judiciaire est en cours. On ne peut être à la fois juge et partie.

Godson Orelus a certes, comme tout justiciable, droit à la présomption d’innocence. Mais laissons à la justice faire son travail en toute sérénité pour tirer au clair toute cette affaire. Aux dernières nouvelles, Godson a fait un malaise en prison. Apparemment, il a beaucoup de mal à s’y acclimater. Pour ça, on veut bien le croire.

D. Ferdinand/Le Floridien
MIAMI, 29 Octobre 2018

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