MIAMI (Le Floridien) — Talon Burton, Vlade Jankovic, Michael Estera, Dustin Daniel, Christopher Osman, Christopher Mc Kinley, Kent Kroeker. Ces noms ne vous disent probablement rien, et pourtant, les personnes qui les portent ont été au centre d’une histoire hallucinante qui a tenu en haleine le pays entier pendant plus d’une semaine. En ce temps de crise, on s’attendait à tout, sauf à voir débarquer 7 mercenaires téméraires aux projets obscurs. Grâce à l’action héroïque des agents de la Police nationale d’Haïti (PNH), ces “touristes” d’un nouveau genre ont eu l’occasion de bénéficier d’une visite guidée… dans les locaux de la direction centrale de la police judiciaire.

La PNH a-t-elle évité un carnage ?

Dimanche 16 février, 3h de l’après-midi, un barrage de police (Check Point) au niveau de la rue des Césars (centreville de Port-au-Prince) remarque le passage d’un convoi de 2 véhicules avec des étrangers à bord. Le groupe est composé de 5 Américains et de 2 Serbes résidants aux États-Unis.

Tous ces affidés de forte corpulence étaient accompagnés par un haïtien qui faisait probablement office de guide local. En temps normal, les barrages policiers en Haïti ne font pas d’excès de zèle vis-à-vis des étrangers et les laissent partir sans les retenir trop longtemps. Mais pas ce jour-là. Le flaire bien aiguisé de nos fins limiers les a poussés à mettre sur le côté les 2 véhicules pour un contrôle plus approfondi. En faisant le tour des voitures, les policiers se sont rendu compte qu’elles ne disposaient pas des plaques d’immatriculation réglementaires. Lorsque les forces de l’ordre ont demandé aux occupants des 2 véhicules suspectes de décliner leurs identités, ces derniers ont refusé de coopérer, arguant qu’ils étaient là pour une “mission gouvernementale” et qu’ils n’avaient pas à répondre aux injonctions des policiers. Mieux, ils ont proféré des menaces à peine voilées : “mon patron va appeler ton patron et tu vas voir”.

Nullement intimidés, les policiers procèdent manu militari à l’arrestation de tout ce joli monde pour l’emmener au poste. C’est là qu’ils découvrent un arsenal de guerre impressionnant composé de 6 armes de guerre, 6 pistolets, des chargeurs, des munitions, des gilets pare-balles, 2 drones d’espionnage et du matériel de télécommunication dernier cri comme des téléphones satellites.

Sommés de s’expliquer sur l’origine de ces armes, les raisons de leur possession et les commanditaires derrière cette expédition militaire clandestine, les détenus se sont murés dans un profond silence. La police judiciaire a donc pris le relais pour cuisiner les mercenaires et leur faire cracher le morceau. Ils ont d’ailleurs tous derrière eux une carrière chez les marines en tant qu’officiers, comme leur gabarit le laisse deviner. Il n’en fallait pas plus pour alimenter les spéculations les plus folles durant les jours qui ont suivi cette arrestation rocambolesque.

Nous n’avons pas été relâchés, en fait sauvés

De retour aux États-Unis, Chris Osman, l’un des mercenaires arrêtés, puis exfiltrés d’Haïti, s’exprime sur son compte Instagram. Selon ses dires, les sept hommes étaient en mission pour une personnalité connectée au Président Jovenel Moïse, ils ont servi de pions dans une lutte entre Jomo et Céant (le président et son Premier ministre Jean-Henry Céant)!!!

“Mes jours à travailler en dehors des États-Unis sont officiellement terminés parce que mon visage a été affiché dans les médias à travers le monde. L’équipe était en Haïti pour fournir un travail de sécurité pour des gens directement connectés à l’actuel Président. Nous avons été utilisés comme des pions dans une bataille publique entre lui et l’actuel Premier Ministre d’Haïti”, a écrit Chris OSMAN qui en a profité pour dénoncer la mauvaise condition de détention en Haïti.

“Les prisons sont une expérience que je ne souhaite à personne”, arguant qu’ils n’ont pas été relâchés, mais en réalité été sauvés. L’ex-soldat de la Marine américaine a notamment salué au nom de son équipe les hommes qui, dit-il, ont risqué leurs vies. “Vous les gars aurez de très beaux cadeaux!!! Nous vous devons la vie”, a-t-il révélé sur son compte Instagram.

Mercenaires infiltrés en Haïti : PNH 1 – Justice 0

Une fois n’est pas coutume, il est temps de tirer notre chapeau à la police nationale haïtienne (PNH) qui a effectué un travail exceptionnel lors de cette affaire sans précédent dans les annales de notre pays. Sans jamais se départir de leur calme, de leur professionnalisme et de leur engagement à protéger et servir le peuple, nos agents ont su maitriser avec courage une situation qui aurait pu mal finir. Ils ont été aidés en cela par l’arrogance et le sentiment de supériorité de ces mercenaires étrangers qui se croyaient dans l’Haïti d’il y’a 20 ans. Un comportement qui a piqué au vif l’orgueil de nos gardiens de la paix qui ont su remettre à leur place ces malfrats sans pour autant perdre leur flegme.

On ne peut malheureusement pas en dire autant de nos politiciens et de nos magistrats qui semblent n’avoir aucune fierté et sont prêts à vendre leur propre pays au plus offrant. Car aussi invraisemblable que cela puisse paraître, les 7 mercenaires ont pu repartir libres de toute charge seulement 3 jours après leur arrestation. Ils ont été rapatriés à bord d’un vol commercial sous la pression du gouvernement américain. Washington a indiqué pour se justifier qu’elle n’a aucune confiance en la justice haïtienne et que les suspects risquaient par conséquent de ne pas bénéficier d’un procès équitable. Ce qui quelque part n’est pas complètement faux.

Voilà donc comment notre justice s’est retrouvée une fois de plus bafouée, piétinée et humiliée par une puissance étrangère, sans que personne ne trouve rien à y redire. On a aussi pu se rendre compte de toute la cacophonie dans laquelle baignait le gouvernement qui semble évoluer dans une 7ème dimension. Au départ, tout le monde condamnait cette intrusion maléfique qui avait pour seul but de déstabiliser le pays. Mais à la surprise générale, quelques jours à peine après leur arrestation, les mercenaires ont été libérés sans même que la moindre charge ne soit retenue contre eux. Dès lors, la gêne et le désarroi étaient perceptibles dans les plus hautes sphères de l’État, nos dirigeants ne sachant plus à quel saint se vouer. Ainsi, le Président Moise et son Premier ministre Ceant n’étaient bizarrement pas au courant de cette libération, tandis que le ministre de la Communication qui auparavant criait à qui voulait l’entendre que justice devait être faite a subitement ravalé sa langue. Personne ne savait plus quoi faire de cette patate chaude et la passait à son voisin. En fin de compte, c’est le ministre de la Justice qui a dû l’avaler, admettant du bout des lèvres avoir autorisé le départ des mercenaires hors du pays. Même Ceant, qui clamait à chaud être la cible de cette opération commando, atténue aujourd’hui ses accusations et parle de “simples hypothèses”. Toute cette histoire a fini par mettre à nue l’amateurisme affligeant de nos dirigeants et a laissé un goût amer à l’ensemble de nos concitoyens. Et dire que pendant quelques jours, on a tous cru au miracle, pensant que nos politiciens étaient devenus des gens intègres.

À qui profite le crime ?

Cette histoire rocambolesque a marqué les esprits et alimenté les rumeurs les plus farfelues. Certains disent que tout cela est un coup monté par le gouvernement pour distraire le peuple et lui faire oublier ses revendications. Au vu du timing, cette hypothèse de diversion semble fort probable. La célérité avec laquelle les mercenaires ont été libérés n’écarte pas non plus la possibilité d’une implication du gouvernement américain qui aurait ainsi voulu donner un coup de main à son allié en apportant une touche “Hollywodienne” à cette aventure bancale. Les historiens diront d’ailleurs que c’est un bis repetita de la Baie des Cochons en version miniature.

La deuxième théorie, renforcée dernièrement par la sortie d’un membre (Chris Osman) du commando sur son compte Instagram, veut que ça soit le clan Moise qui soit derrière cette expédition hasardeuse dans le but de museler le Premier ministre Ceant. Mais cette hypothèse est difficilement défendable et ne convainc pas grand monde.

L’empressement avec lequel Ceant s’est placé en victime sans attendre que les résultats de l’enquête de la police judiciaire ne soient dévoilés, le fait que ce même Ceant revienne sur ses propos une semaine après pour parler de simple hypothèse, la rapidité avec laquelle les mercenaires ont été libérés, le blanchiment tout aussi rapide de l’haïtien accompagnant le groupe, les différentes volte-face dans les déclarations du gouvernement, les tergiversations des ministres sur la position à adopter envers les suspects, la pression de Washington pour rapatrier les mercenaires qui n’ont pas été inquiétés par la justice américaine, tous ces indices troublants tendent à indiquer que le crime ne profite qu’à une seule partie : le gouvernement haïtien !

D. Ferdinand/Le Floridien
Le Floridien, 27 février 2019

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