MIAMI – Dans un pays où la rumeur se propage à la vitesse de la lumière et peut causer de gros dégâts, tout semble indiquer que le gouvernement, à force de jouer avec le serpent, a fini par être mordu. Heureusement pour lui, la morsure fut superficielle puisque le poison n’a pas pu atteindre le cœur du système (Moise). Mais il s’en est fallu de peu ! Nous vous disions dans ce journal que le pouvoir politique en Haïti fera tout pour noyer le poisson en étouffant l’affaire des 7 mercenaires étrangers. Presque un mois après les faits, nos prédictions se sont révélées justes.

Tout avait pourtant bien commencé

On est le 17 février. Un barrage de police de la capitale contrôle 2 véhicules suspects. À l’intérieur se trouvent 7 mercenaires étrangers lourdement armés accompagnés d’un guide local. Tout ce beau monde est embarqué illico presto à la direction centrale de la police judiciaire pour une enquête plus approfondie. Les mercenaires se cloitrent dans un silence de plomb et ne balancent aucun nom. Les commanditaires de cette expédition hasardeuse peuvent pour l’instant dormir tranquille.

La police quant à elle s’est montrée irréprochable et a poursuivi son travail d’investigation pour essayer de démêler les tenants et les aboutissants de cette sombre histoire. Mais plus ils avancent dans leurs recherches, plus les enquêteurs commencent à avoir de sérieux doutes. Pour eux, ça a tout l’air d’être une affaire d’État. Et la suite des événements va malheureusement leur donner raison.

Les heures passent et tout va soudainement s’enchainer assez vite. Au début, les hommes politiques se bousculent pour exprimer leur indignation face à ce qu’ils considèrent comme une insidieuse incursion étrangère. Le Premier ministre Céant, qui d’après plusieurs sources est en froid avec Moise, va jusqu’à s’aventurer en terrain inconnu en insinuant qu’il serait lui-même la cible de ces mercenaires, alors que l’enquête n’en était qu’à ses débuts et ne permettait pas de tirer des conclusions si hâtives. La population, quant à elle, grande oubliée dans cette affaire, regarde incrédule les décideurs politiques s’exhiber dans les médias pour demander que justice soit faite. “Justice doit être rendue”, “il est temps de montrer qu’Haïti est un État de droit”, “les suspects devront répondre de leurs actes”… les déclarations réclamant le respect de la loi se suivent et se ressemblent comme une diarrhée chronique.

Quelques jours plus tard et à la stupéfaction générale, on apprend que les 7 mercenaires ont été escortés jusqu’à l’aéroport où ils ont patienté dans un salon VIP avant d’embarquer librement dans un vol vers leur pays. À leur arrivée aux États-Unis, ils ne seront d’ailleurs même pas inquiétés par la justice. À ce moment-là, plus personne ne parle. Le cirque est terminé. On remballe tout et on rentre à la maison. La justice haïtienne vient d’exploser en plein vol en subissant une humiliation historique dont elle aura beaucoup de mal à se remettre.

Pourquoi le gouvernement fait-il tout pour étouffer l’affaire ?

Le plus étonnant dans cette histoire, c’est la réaction du Président de la République et du Premier ministre qui disent ne pas être au courant de cette libération scandaleuse. On a du mal à croire que le ministre de la Justice, Jean Roody Aly, ait pris une décision aussi sensible seul, sans en référer à ses supérieurs. Et quand bien même il l’aurait fait, comment se fait-il que presque un mois plus tard, il soit toujours en poste ? Ni démission, ni mise à pied, ni compte à rendre, Mr Aly continue de gérer le département de la justice comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Est-ce donc ça l’État de droit et la justice indépendante dont ils nous rabâchaient les oreilles quelques jours plus tôt ?

Il ne fait aujourd’hui aucun doute que le Président et son Premier ministre étaient au courant de cette sordide affaire depuis le départ. L’administration américaine elle-même n’y est pas allée par quatre chemins en admettant que le rapatriement des 7 mercenaires a été fait en accord avec les plus hautes instances de l’État haïtien. Difficile d’être plus clair ! Ce qui nous ramène à cette effarante conclusion : en plus de mentir à sa population, la Présidence et la Primature collaborent avec l’étranger contre leur propre pays.

Si le gouvernement fait tout aujourd’hui pour étouffer l’affaire, c’est qu’il n’a aucun intérêt à ce que les investigations aillent plus loin. Car si des têtes devaient tomber, ça serait à n’en point douter l’hécatombe au sein de l’exécutif : Le Chef de l’État, son Premier ministre, le secrétaire d’État à la sécurité publique, le ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice… tous ont d’une manière ou d’une autre manqué à leurs obligations pour s’être impliqué directement ou indirectement dans cette affaire.

L’État haïtien est-il tombé dans son propre piège ?

Le gouvernement Moïse semble avoir creusé un gros trou pour y enfouir les différents scandales qui empoisonnent son mandat, notamment l’affaire PetroCaribe qui n’en finit pas de revenir sur le devant de la scène. Sauf qu’à cause de son amateurisme, et à force de creuser, le trou était devenu si grand que le gouvernement lui-même a eu toutes les peines du monde d’en sortir, n’ayant pas prévu d’échelle de secours. Voilà pour la morale de l’histoire !

Toute cette affaire rocambolesque est tellement bancale qu’on a du mal à croire qu’il s’agisse d’autre chose que d’une diversion destinée à duper le peuple et lui faire oublier les vrais problèmes du pays. Déjà, le simple fait d’envoyer des mercenaires blancs dans un pays majoritairement noir ne peut qu’émaner d’esprits amateurs (comme notre gouvernement en regorge), car les 7 mercenaires en question ne pouvaient faire un pas sans qu’ils ne soient repérés par les badauds sans emploi qui pullulent à chaque coin de rue. Sans doute les commanditaires ont regardé trop de films à la télévision et ont dû à un certain moment confondre fiction et réalité.

L’amateurisme n’était pas seulement palpable lors de l’exécution de cette “mission”, mais surtout après. À voir toute la pagaille qui a agité les hautes sphères de l’État pour gérer un dossier qui semblait leur glisser entre les mains, on se dit qu’avec de tels incapables, il n’est pas étonnant que notre pays soit dans la situation où il se trouve aujourd’hui. Nos dirigeants se sont aventurés dans une histoire qui les dépassait, puisque tout ce cinéma était voué à l’échec à l’avance. Comment pouvaient-ils être à ce point crédules pour penser que le peuple était prêt à avaler une telle couleuvre ? À travers cette mésaventure, ils ont créé un monstre qu’ils ont eu du mal à contrôler par la suite. En somme, la créature a échappé à son créateur.

D. Ferdinand/ Le Floridien, 14 mars 2019

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