MIAMI – L’année 2019 s’annonce décidément encore plus compliquée que la précédente pour le Président Moïse. Alors qu’il a toutes les peines du monde à faire accepter le programme de son nouveau Premier ministre Jean-Michel Lapin qui a été recalé trois fois par le Parlement, le voilà confronté une nouvelle fois à la colère de la rue suite à la publication d’un rapport explosive de la Cour supérieure des comptes. Chaque jour qui passe révèle de nouveaux noms dans le scandale PetroCaribe. À ce rythme, c’est toute la classe politique qui risque de passer à la trappe.

Le rapport sulfureux qui incrimine Moïse

C’est un rapport de plus de 600 pages que la Cour supérieure des comptes a publié, mettant en lumière de nombreuses irrégularités qui ont débouché sur le scandale PetroCaribe. 600 pages qui ne laissent pas beaucoup de place au doute quant à l’affairisme de nos dirigeants. Disons-le franchement, Haïti est sous l’emprise d’une Mafia politique qui pille ses ressources de manière méthodique depuis de nombreuses années.

Les richesses du pays ont été mises en coupe réglée au profit de quelques hauts responsables peu scrupuleux qui ont amassé en peu de temps des fortunes colossales. Jamais inquiétés par la justice, ces larrons ne semblent avoir aucune limite et ne sont pas prêts de s’arrêter de sitôt. ‘’Voleur un jour, volera toujours’’. Ils se sont promis de saigner le pays à blanc en vidant les caisses de l’état jusqu’à la dernière gourde.

Le dernier nom qui est sorti de la boîte de Pandore PetroCaribe n’est autre que celui du Président de la République en personne, M. Jovenel Moise, Monsieur propre, celui-là même qui se vantait il n’y a pas si longtemps d’être le chantre de la droiture et de la probité. D’après ses dires, son cœur vertueux l’a tenu éloigné des magouilles qui vident les caisses du pays sans état d’âme. La Cour supérieure des comptes n’a pas pris pour argent comptant les belles paroles de Jovenel. Elle a donc tout de même décidé de jeter un coup d’œil sur ce cœur vertueux, et il y a découvert tout un ‘’stratagème de détournement de fonds’’ à grande échelle.

Le stratagème en question donne le tournis. Ceux qui veulent lire le rapport de la Cour des comptes feraient bien d’attacher leur ceinture, car ils risquent d’avoir le vertige dès les premières pages. Car malgré son air de jeune curé candide qui sort tout juste de sa paroisse pour prêcher la bonne parole et aider son prochain, Moïse est rusé comme un renard. Car il faut être sacrément astucieux pour détourner tout cet argent sans jamais se faire prendre et toujours réussir à passer entre les mailles du filet.

Moïse est un homme d’affaires averti qui, avant de devenir Président de la République, était à la tête de nombreuses entreprises. Jusqu’à là, rien d’anormal. Sauf que parmi ces entreprises, 2 d’entre elles, Betex et Agritrans, vont se faire remarquer à travers des marchés entachés d’irrégularités et de favoritisme. Et c’est là que le flair de la Cour des comptes va mettre à nu tout un système frauduleux. Comment se fait-il en effet que les deux sociétés soient payées pour réaliser les mêmes ouvrages, et ce en totale violation des lois de passation du marché public. Pire, comment l’état peut-il faire appel à une société spécialisée dans la production et l’export de bananes pour construire… une route. Heureusement qu’en Haïti, le ridicule ne tue pas, d’autant plus qu’au vu de la route en question, même ceux qui n’ont aucune connaissance dans le domaine des travaux publics vous diront que le projet sent la surfacturation à plein nez tant la route livrée est loin de justifier son prix.

La rue s’embrase à nouveau et exige le départ de Moise

Moïse était déjà sur la sellette depuis un bon moment, mais il avait réussi tant bien que mal à gagner un peu de temps en égrenant les belles promesses au fil des mois, même si plus personne n’y croyait. À la suite de la publication du dernier rapport de la Cour des comptes, le Président de la République a vite réagi en niant tout en bloc, espérant gagner une fois de plus quelques semaines, voire quelques mois de répit. Mais cette fois, ses paroles n’ont pas suffi à calmer la rue qui a manifesté son exaspération et sa profonde colère. L’homme aux 14 comptes bancaires doit trouver d’autres arguments pour convaincre, car le disque qu’il rabâche en boucle semble désormais rayé. Les jeunes ont été les premiers à descendre dans la rue pour crier leur ras-le-bol. Les premiers affrontements avec les forces de l’ordre ont déjà fait des morts, ce qui fait craindre un embrasement général dont personne ne peut prédire le dénouement. La situation sécuritaire, déjà précaire en temps normal, est devenue alarmante. Les capitales occidentales ont une nouvelle fois lancé des avertissements à leurs ressortissants présents sur place pour plus de vigilance. Les rares touristes qui planifiaient de se rendre en Haïti cet été ont pour la plupart changé d’avis vu l’incertitude qui plane sur le court terme. Certains Haïtiens envisagent déjà de quitter le pays, craignant pour leurs vies et celles de leurs enfants si la situation continue à évoluer dans le même sens.

Les prochains jours détermineront l’avenir du gouvernement

Jean-Michel Lapin est toujours aux prises avec le parlement qui ne lui donne toujours pas carte blanche pour exécuter son programme. Sans visibilité sur le court terme, on peut dire qu’Haïti est gouverné en mode automatique. Personne ne semble être aux commandes aujourd’hui. À un moment où le pays a besoin de stabilité politique pour relancer son économie et mettre en œuvre les réformes qui s’imposent, il prend plutôt le chemin inverse, celui de l’immobilisme et du doute. Les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon et les bailleurs de fonds commencent à perdre impatience. La communauté internationale a perdu espoir et ne sait plus comment s’y prendre pour venir en aide à une population prise dans un engrenage inextricable. Toutes les bonnes volontés du monde ne suffiront pas à sauver le pays si ce dernier continue à être gouverné par des malfrats sans vergogne.

Moise le magicien qui a berné à la fois la justice et le peuple semble à court d’idées. Celui qui avait plus d’un tour dans son sac a perdu la main face à une population remontée à bloc. Maintenant, il joue la montre en croisant les doigts pour que les jeunes finissent par se lasser et rentrer chez eux. “je vous regarde droit dans les yeux pour vous dire aujourd’hui : votre président, celui pour qui vous avez voté, n’est pas impliqué dans la corruption”. Le peuple aussi regarde le Président droit dans les yeux, et lui demande de démissionner, lui et toute la clique qui l’accompagne. Si la parole du Président est à mettre entre guillemets tant on a du mal à discerner dorénavant le vrai du faux dans ce que nos politiciens nous racontent, la parole du peuple, elle, est sincère et sans équivoque.

Le Floridien, 15 Juin 2019

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