Haïti vit depuis des mois déjà une crise politique, sociale et économique sans précédent. Les organisations internationales craignent même l’émergence d’une crise humanitaire à court terme si aucune solution n’est trouvée pour mettre fin au blocage du pays, ‘peyi lock’. Si nous, les enfants d’Haïti vivant en Floride, nous suivons l’actualité de notre pays sur une base régulière, il n’en va pas de même pour le reste de la population américaine. Ce constat peut également être transposé à la majorité des pays du monde, principalement ceux ayant des liens historiques ou économiques avec Haïti comme les États-Unis donc, mais aussi le Canada, la France ou encore l’Allemagne. Seuls les médias de la République Dominicaine suivent avec une plus grande attention ce qui se passe chez son voisin insulaire.

Pourtant, lorsque l’on voit à quel point un pays entier est en train d’agoniser à cause de la voracité d’une minorité, il y’a de quoi faire la couverture des médias écrits et la une des journaux télévisés. Malheureusement, à part quelques médias publics comme RFI (France), BBC (Royaume-Unie) ou encore Radio-Canada qui reviennent sur l’actualité haïtienne de temps à autre, force est de constater qu’Haïti est tombé dans le grand oubli de la communauté internationale. Et il y’a plusieurs raisons qui expliquent ce désintérêt.

Tout d’abord, c’est triste à dire mais c’est ainsi, les médias cherchent en premier lieu les sujets vendeurs, ou ‘bankable’ comme on dirait dans le jargon de l’industrie de l’entertainment. Les seules exceptions sont les conflits armés et les catastrophes naturelles de grande ampleur qui suscitent l’intérêt de manière spontanée. Durant le tremblement de terre de 2010 qui avait fait plus de 200 000 morts, la mobilisation médiatique mondiale fut immédiate, globale, engagée et intense. On a parlé d’Haïti dans les quatre coins de la planète, ce qui avait permis la mise en place d’un élan de solidarité international pour organiser les secours et apporter les premières aides d’urgence.

La situation actuelle d’Haïti par contre est toute autre. C’est une crise d’usure qui s’étale dans le temps et dans l’espace sans qu’un dénouement clair ne soit visible à court terme. Or les médias ont horreur de l’inertie. Ils veulent voir sur le terrain des évolutions, du mouvement, un enchaînement des événements pour que le grand public ne tombe pas dans une certaine lassitude. En Bolivie par exemple, le Président Morales a fini par quitter le pays pour se réfugier au Mexique. En Haïti, rien ne bouge!! C’est le blocage total. Moïse est dans une logique jusqu’au-boutiste, “après moi, le chaos”.

Si les médias se désintéressent du cas haïtien, c’est aussi parce qu’il intervient dans un climat social mondial particulièrement instable. Rarement on aura vu autant de pays confrontés à des protestations populaires contre le pouvoir en place. Iran, Colombie, Hong-Kong, Chili, Venezuela, France, Algérie, Liban, Bolivie, la fièvre des contestations gagne chaque jour du terrain. Forcément, un pays fera de l’ombre à l’autre au niveau de la couverture médiatique, dépendamment du nombre de morts et des dégâts matériels. C’est morbide, mais c’est ainsi !

L’intérêt médiatique pour Haïti est proportionnellement égal à son poids économique dans la sous-région et dans le monde. Tant que la crise en Haïti n’impacte pas le Down Jones et les autres places boursières, il n’y a pas de risque que cela fasse les manchettes. Haïti ne dispose pas non plus de ressources naturelles stratégiques qui pourraient inquiéter l’approvisionnement des grandes puissances. Cela explique que même les médias étatiques des différents pays traitent le sujet au strict minimum. Souvent, ils se contentent de reprendre les dépêches des agences de presse, sans plus.

En France, ce n’est que la semaine dernière qu’on a vu (enfin!) les chaines de télévision et les journaux s’intéresser à Haïti. Et pour cause. Un couple français venait d’y être assassiné. Alors qu’ils se rendaient à Port-au-Prince dans le cadre d’une procédure d’adoption, un homme et sa femme originaires d’Ardèche ont été victimes d’un vol à main armée qui a mal tourné. Les malheureux venaient pourtant de débarquer de l’avion quelques heures auparavant. Émus par cette histoire, les médias français en ont profité pour se pencher un peu plus sérieusement sur la situation compliquée que traverse le pays de Jean-Jacques Dessalines. Les Français ont pu apercevoir des barricades avec des pneus brûlés, des jets de pierres, des tirs de gaz lacrymogène, des casseurs cagoulés qui pillent des magasins, des voitures brûlées… Étrangement, cela leur a rappelé leur propre mouvement de protestation, celui des gilets jaunes qui suit le même modus operandi, bien qu’il ait lieu seulement les samedis et mobilise moins les foules. Au final, les classes populaires mènent aujourd’hui un combat identique, celui pour un meilleur partage des richesses et la réduction des inégalités qui ne cessent de se creuser au fil des années.

Dessalines Ferdinand / Le Floridien

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