Ce lundi 13 janvier, une bizarrerie institutionnelle est venue rajouter son grain de sel et renforcer le désordre politique le plus total dans lequel se trouve notre jeune et fragile “démocratie” depuis des mois. En effet, les députés de la chambre basse et la plupart des sénateurs sont arrivés au bout de leur mandat. Rien d’anormal diriez-vous, puisque les élus sortants seront remplacés par de nouveaux élus. Sauf que les élections qui devaient se tenir en octobre dernier n’ont pu avoir lieu. Et aujourd’hui, les Haïtiens se retrouvent avec un gouvernement éphémère d’un côté et un Parlement dysfonctionnel de l’autre. Reste Jovenel au milieu qui semble se délecter de cette aberration constitutionnelle qui lui est très favorable, puisqu’il détient maintenant les pleins pouvoirs. Alors que le peuple demande depuis des mois son départ, voilà que Jovenel renforce encore plus son autorité. Pas sûr que cela plaise du côté des protestataires dont la réaction sera très attendue durant les prochains jours.

On se doutait bien que Jovenel n’allait pas laisser une telle occasion lui passer sous le nez. Il a ainsi affirmé que c’était là une opportunité inespérée pour sortir le pays de la crise socio-politique qu’il traverse. Pour gouverner, il pourra compter dorénavant sur les décrets présidentiels. Il est tout de même ironique de constater que plus les haïtiens insistent pour que leur Président démissionne, plus les pouvoirs de celui-ci se renforcent comme par magie. Rappelons tout de même que le Chef de l’État ne dispose pas d’une base électorale solide, puisqu’il n’avait obtenu lors des élections de 2016 que 600 000 voix. Dans un pays de 11 millions d’habitants, cela fait tache. Or, aujourd’hui, en s’appropriant les pleins pouvoirs, la légitimité de Jovenel devient encore plus contestable qu’auparavant.

La communauté internationale s’inquiète quant à elle de la tournure que prennent les évènements. S’il est vrai que Jovenel ne fait que profiter d’un vide institutionnel créé par le non-renouvellement de la chambre des députés et des 2/3 du Sénat, sa manœuvre peut être interprétée comme une provocation de plus envers les citoyens qui exigent son départ depuis des mois. Loin d’apaiser les tensions, la nouvelle stature du Président de la République pourrait au contraire renforcer le mouvement de contestation dans le pays. Au-delà de l’instabilité politique que nous vivons aujourd’hui, les récents développements nous emmènent à nous poser la question suivante : et si c’était toute notre démocratie qui était à revoir ?

Il est anormal qu’un pays voit défiler 15 Présidents en seulement 33 ans. Cela fait une moyenne de 1 Président tous les 2 ans. Ce qui fait dire aux politologues et aux juristes spécialistes du droit constitutionnel qu’il est peut-être temps de repenser le fonctionnement de nos institutions dans leur ensemble. Il faut savoir que la constitution haïtienne actuelle, et qui fut approuvée par le parlement en 2012, a été calquée sur le modèle américain et français. Et c’est peut-être là que le bât blesse. Car Haïti a plus que jamais besoin de textes qui soient adaptés aux réalités locales.

Nous savons tous que l’haïtien est par nature généreux et solidaire. Aider son frère, son voisin ou son ami est un réflexe qui fait partie de nos coutumes et nos traditions. Or, si on n’y prend garde, lorsqu’on transpose ces qualités en politique, cela peut vite conduire à des dérapages. On se retrouve ainsi avec un ministre qui aide son cousin à décrocher un marché, ou encore un directeur qui embauche un analphabète juste parce-que c’est son beau-frère, tout cela au nom de la solidarité familiale. C’est pourquoi il est important d’instaurer des garde-fous qui permettront d’éviter ce genre de situations. Haïti n’est pas la France et Haïti n’est pas les États-Unis ! L’inspiration pour écrire notre constitution ne doit pas venir d’ailleurs, mais de notre propre histoire et de notre propre culture. L’héritage légué par nos aïeux est riche et varié. En y mettant les moyens et un peu de bonne volonté, il y’a de quoi y puiser tout ce dont nous avons besoin pour construire un futur meilleur.

Malheureusement, au lieu de trouver des solutions de fond, notre gouvernement a recours à des palliatifs sans effets concrets. Pas étonnant que nous fassions du surplace depuis de si nombreuses années. La forme institutionnelle du pouvoir tel qu’il est pratiqué aujourd’hui n’est plus adaptée aux exigences des Haïtiens. Or, notre régime politique actuel occupe une grande partie de ce “système” tant décrié par la population. Sur le papier, il peut paraître juste et équitable, mais dans les faits, il en est tout autre. Nos dirigeants en ont fait une lecture arbitraire et l’ont détourné à leurs propres profits. La rue ne s’y est pas trompée et réclame dorénavant un changement à la racine pour reconstruire Haïti sur des bases plus saines. Il faut une nouvelle dynamique, de nouveaux talents, de nouvelles forces vives pour reprendre en main le destin du pays. Nos élus s’accrochent autant qu’ils peuvent à leurs privilèges, mais ils doivent bien comprendre que personne en ce monde n’est irremplaçable.

Dessalines Ferdinand, LE FLORIDIEN

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