Il n’y a pas de mots assez forts qui pourront exprimer l’indignation et la colère que ressentent beaucoup de citoyens face à la déportation récente d’Haïtiens sans-papiers vers leur pays d’origine. Au début du mois, 61 immigrants qui n’ont pu régulariser leur situation ont été expulsés par l’ICE (Immigration and Customs Enforcement). La société civile ainsi que certains législateurs américains ont exprimé leur stupéfaction et ne comprennent pas comment le gouvernement a pu permettre la déportation d’Haïtiens en pleine crise Covid-19. Il est de notoriété que le système de santé en Haïti est défaillant et que le moment a été mal choisi pour renvoyer des migrants à leur pays d’origine. Cela représente un risque non seulement pour les migrants en question, mais également pour les agents mandatés à effectuer cette tâche ingrate. Autant dire que l’administration Trump a une fois de plus manqué de tact à un moment où la solidarité et l’humanisme doivent primer sur des considérations pseudo-sécuritaires.

Sur le plan sanitaire, l’action menée par les autorités américaines est condamnable. Tout d’abord, les personnes expulsées étaient confinées dans des centres de détention où la promiscuité empêchait toute distanciation sociale. Les risques d’attraper le virus ou de le transmettre étaient donc grands. Chose que les responsables du département de l’immigration ne pouvaient ignorer. Le ministre des affaires étrangères haïtien fraîchement nommé a bien essayé de partager ses inquiétudes avec le département d’État américain, mais ce dernier est resté sourd à ses nombreuses sollicitations. Pire, le Président Jovenel qui aurait pu arguer que l’espace aérien national est fermé à tout vol n’a rien fait en ce sens. Il a donc implicitement approuvé le renvoi de ses concitoyens en rouvrant exceptionnellement le ciel haïtien. Cela montre à quel point la diplomatie du gouvernement haïtien est amorphe et plie à la moindre pression de l’oncle Sam.

Le seul soutien envers les expulsés Haïtiens est donc venu des associations de défense de droit de l’homme et de quelques élus proches de la communauté haïtienne. La représentante de Floride Frederica Wilson a ainsi été une des rares personnalités politiques à afficher publiquement sa désapprobation face à ce qu’elle a qualifié d’action inadmissible : “Haïti n’a pas d’infrastructures de santé publique pour empêcher la propagation du virus” disait-elle en substance “il est inadmissible de rapatrier des migrants qui peuvent être des porteurs involontaires du virus”. La pression exercée par la société civile et certains élus a tout de même réussi à empêcher la déportation d’un haïtien qui aurait pu être en contact avec le Covid-19. Une bien maigre consolation, surtout que rien ne prouve que les autres détenus n’étaient pas eux aussi à l’abri de toute contamination.

Dans tous les cas, l’image de l’administration Trump est encore une fois ternie quant à la manière employée pour gérer le cas des clandestins. Déjà l’année dernière, un tollé avait été provoqué lorsque le gouvernement a décidé de séparer des enfants de leurs parents migrants, ou encore de les mettre en détention pour une durée illimitée. Les menaces de Trump de ne pas proroger le programme TPS (termporary protected status) sont venues rajouter une couche. Lorsque l’on voit la situation que traverse Haïti en ce moment sur le plan humanitaire, l’exclure du TPS est inimaginable.

Quant au gouvernement de Jovenel, il pourrait montrer au moins un semblant d’orgueil et mieux défendre l’intérêt de ses enfants. Il devrait prendre exemple sur les dirigeants du Guatemala qui ont décidé de suspendre unilatéralement tous les vols d’expulsion provenant des États-Unis afin de ne pas exposer la population locale à de nouveaux cas de coronavirus. La position du Guatemala a tenu 2 jours face à la pression des États-Unis qui ont promis en retour de renforcer les mesures sanitaires lors des expulsions. Mais le Guatemala a montré, au moins sur la forme, qu’il n’entend pas se laisser faire, même face aux plus puissants.

Enfin, notons également que la communauté haïtienne vivant aux États-Unis ne s’est pas montrée particulièrement trop véhémente pour empêcher l’expulsion des migrants haïtiens, mis à part quelques voix comme l’activiste Marleine Bastien de ‘Family Action Network Movement (FANM), Steve Forester de ‘Institute for Justice and Democracy Haiti (IJDH)’, qui se sont élevées pour dénoncer cette action inhumaine de l’administration de Donald Trump. Probablement que tout le monde est encore sonné par cette nouvelle pandémie qui a pris tout le monde de court. Reste à savoir si l’administration Trump va continuer à renvoyer les clandestins afin de plaire à l’électorat radical, ou si elle va instaurer un moratoire le temps que la pandémie du Coronavirus s’estompe, surtout en Haïti. Avec le caractère impétueux du Président américain et sa nature imprévisible, personne ne peut s’avancer pour dire ce qu’il en sera dans les prochaines semaines.

Stéphane Boudin

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