Le coronavirus a bouleversé la vie de milliards de gens à travers le monde depuis son apparition. La communauté haïtienne de Floride est elle aussi frappée de plein fouet et n’échappe malheureusement pas aux effets négatifs de cette pandémie, que ça soit sur le plan sanitaire, économique ou social. Alors que le nombre de personnes contaminées et de décès ne cesse d’augmenter au fil des jours dans notre État, les mesures prises par les autorités publiques sont jugées par beaucoup comme étant bien en deçà de la gravité de la situation. Les prochains mois risquent d’être particulièrement difficiles.

À l’heure où nous mettons sous presse, on dénombre pas moins de 21620 cas confirmés de Coronavirus en Floride et 570 décès. Le comté de Miami-Dade est celui qui paie le plus lourd tribut avec 7711 cas recensés et 143 morts. Notons par ailleurs que le nombre de cas double en moyenne tous les 10 jours. Cela donne une idée de ce qui nous attend au cours des prochaines semaines, surtout lorsque l’on sait que les autorités de Floride, le gouverneur DeSantis à leur tête, ont été critiquées pour leur lenteur dans la gestion de la crise, faisant preuve d’un laxisme inadmissible.

Depuis que les premiers cas de Covid-19 sont apparus sur notre territoire, on a noté un certain désordre au sein des différentes chaines de commandement, avec un manque de coordination évident entre le fédéral, les États, les comtés et les villes. Le Président Trump est en grande partie responsable de cette pagaille dans la mesure où il n’a cessé d’enchaîner les déclarations contradictoires et les spéculations. La dernière en date est sa volonté de voir le sport professionnel reprendre dans les plus brefs délais, même si c’est à huis clos et malgré les réserves affichées par les dirigeants des grandes ligues majeures (NBA, NFL, LMB, NHL…). Le gouverneur conservateur de Floride, Ron DeSantis, a emboité le pas au locataire de la maison blanche en déclarant récemment le catch comme un “service essentiel”. Une décision saugrenue qui a provoqué pas mal de railleries.

Heureusement sur le terrain, les choses s’organisent petit à petit dans le bon sens. En plus du confinement, le port d’un masque est dorénavant obligatoire dans les lieux publics comme les supermarchés. Les autorités ont également pris des mesures pour faciliter la distanciation sociale, comme le fait de permettre à ceux qui utilisent des coupons alimentaires de se faire livrer à domicile, ou encore la mise en place de tests drive-thru gratuits qui ont engendré de longues files d’attente de voitures dès les premiers jours. Ceux et celles qui sont vulnérables et ne peuvent se déplacer, comme les personnes âgées ou les handicapées, peuvent bénéficier de tests à domicile sur rendez-vous. L’enseignement à distance implémenté fonctionne assez bien et évitera aux élèves d’avoir une année blanche.

Malgré cela, deux facteurs inquiètent les autorités sanitaires. Tout d’abord, il y’a la forte proportion de retraités dans le Sunshine State. On estime qu’un cinquième de la population de Floride a plus de 65 ans. Selon l’OMS, le taux de mortalité chez les seniors est particulièrement élevé, surtout chez les plus de 80 ans où il avoisine les 20%. Or, la Floride compte pas moins de 1 million d’habitants dans cette tranche d’âge là. Cela risque de mettre sous tension les services de réanimation qui ne pourront absorber tous les malades si jamais on venait à subir une vague identique à celle qui secoue New York en ce moment. Rappelons que certains facteurs de comorbidité, comme le diabète, l’obésité ou l’hypertension démultiplient les chances d’aggravation des symptômes liés au Covid-19.

L’autre élément qui inquiète les experts est l’imminence de la saison des ouragans. Celle-ci commence officiellement le 1er juin et sera particulièrement redoutée cette année, car il sera difficile de déplacer la population dans des conditions optimales de distanciation sociale. Les Haïtiens de Floride sont donc priés de prendre en considération cette donnée, notamment lorsqu’il s’agira de faire des stocks de provisions pour affronter les caprices de dame nature.

La pandémie affecte le porte-monnaie des Haïtiens de Floride

Alors qu’il y’a quelque semaines à peine, le taux de chômage en Floride atteignait un taux historiquement bas qui avoisinait les 2,8% et faisait beaucoup d’envieux, aujourd’hui avec l’arrivée du Covid-19, nous connaissons une situation diamétralement opposée. La communauté haïtienne est très affectée par ce bouleversement soudain du marché de l’emploi. Les cols bleus et les emplois précaires sont les catégories les plus durement touchées. Il faut dire que l’économie de Floride a subi un arrêt brutal auquel personne n’était préparé. Tout est au point mort en ce moment : du tourisme de croisière à la restauration en passant par les petits commerces ou encore les parcs d’attraction… Un grand nombre de travailleurs se retrouvent ainsi sans revenus du jour au lendemain. Beaucoup de ménages haïtiens vivent dans l’incertitude la plus totale, puisque leurs économies s’amenuisent dangereusement au fil des semaines. Si la situation perdure, les classes les plus défavorisées ne pourront bientôt plus payer leur loyer, la nourriture, ou encore les soins de santé si par malheur le virus venait à frapper à leur porte.

Rien que pour le comté de Miami-Dade, les analystes prédisent un manque à gagner budgétaire de 300 millions de dollars. Si beaucoup espèrent un rapide retour à la normale comme ce fut le cas après les attentats du 11 septembre 2001 et la crise financière de 2008, d’autres redoutent un impact systémique équivalent à celui de la grande récession de 1929 qui est considérée encore aujourd’hui comme un des plus grands traumatismes économiques des temps modernes. Le maire du comté de Miami-Dade, Carlos Gimenez, a déclaré qu’il travaillait déjà sur l’après-confinement et la reprise des activités économiques. Or, les projections des différents experts sanitaires estiment que le pic de la pandémie en Floride ne sera pas atteint avant 3 semaines, soit aux alentours du 6 mai. De l’aveu même de Mr Gimenez, le déconfinement ne peut se faire sans une coordination étroite avec les scientifiques et les épidémiologistes, au risque de voir ressurgir une deuxième vague encore plus dévastatrice.

Les Haïtiens de Floride n’ont d’autre choix que de s’armer de patience. On sait que beaucoup de nos frères et sœurs qui possèdent des petits commerces ne pourront pas tenir longtemps sans une assistance urgente de l’État. Les charges de fonctionnement sont toujours présentes alors que de l’autre côté, il n’y a plus d’entrée d’argent. C’est triste à dire, mais il est fort probable qu’un certain nombre d’entre eux finissent par mettre la clé sous la porte à l’issue de cette pandémie. Quant aux salariés, leur salut ne viendra qu’avec une prompte reprise économique, lorsque les entreprises se remettront à nouveau à embaucher en masse. En attendant, tous les regards sont tournés vers une éventuelle aide du gouvernement fédéral.

Les Haïtiens de Floride plus vulnérables si la crise devait durer

Le tissu économique de Miami-Dade repose principalement sur les petites et moyennes entreprises (PME) qui constituent sa colonne vertébrale. La grande majorité des entrepreneurs haïtiens font partie de cette catégorie. Boutiques de prêt-à-porter, restaurants, salons de coiffure, épiceries.. Little Haïti gruge de ces petits commerces qui font tourner l’économie locale. Aujourd’hui, l’activité de la majorité d’entre-deux est à l’arrêt. Pour leur venir en aide, l’État fédéral, à travers la réserve fédérale et le Département du Trésor, a promis de débloquer des fonds conséquents, le “Stimulus Package”. Malheureusement, il n’est pas certain que les commerçants haïtiens puissent en bénéficier.

En effet, toute aide sera sûrement conditionnée par la tenue d’une comptabilité claire et ordonnée. Or, une grande partie des petits commerces gérés par les haïtiens fonctionnent d’une manière opaque qui frise parfois avec l’informel. Beaucoup prennent du cash et n’ont pas la culture d’enregistrer ou de comptabiliser leurs transactions. Pour espérer profiter de l’aide gouvernementale, il faut au minimum présenter un dossier financier qui soit solide et bien ficelé (antécédents de crédit, historique des transactions…). Ce n’est que de cette manière que l’État pourra accorder un prêt à faible taux d’intérêt destiné à éviter la faillite.
Cela fait des années que les micro-entreprises des Haïtiens sont sensibilisées quant à l’utilité d’avoir une comptabilité saine. Aujourd’hui, ceux qui n’ont pas suivi ce conseil le regrettent amèrement. Même les entrepreneurs qui sont à jour ne sont pas sûrs d’obtenir des prêts à temps. Les banques de leur côté se montrent frileuses comme rarement auparavant. Cela met en relief l’incertitude qui plane sur l’économie du pays à court terme. Du côté des salariés haïtiens qui ont perdu leur poste, là encore, la situation n’est pas rose. Le site web mis à leur disposition pour réclamer les indemnités de chômage a été submergé par les demandes. Résultat, un crash des serveurs qui a poussé les autorités à revenir au bon vieux formulaire en papier. S’en est suivi un attroupement au niveau des bibliothèques pour remplir et poster ces formulaires, au mépris des consignes de distanciation sociale. Nous vivons actuellement une période terrifiante qu’on avait pour habitude de voir dans les films de fiction. Aujourd’hui, la fiction est devenue une triste réalité.

LE FLORIDIEN, 15 avril 2020

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