La démocratie américaine est malade. Malade de ce racisme séculaire et profond dont elle a du mal à se débarrasser. Un racisme dont est victime la communauté noire dans son ensemble et auquel les haïtiano-américains n’échappent pas. La vague de contestation qui gagne le pays aujourd’hui suite à la mort de George Floyd nous rappelle à quel point beaucoup reste à faire dans le domaine de l’égalité et de la justice. La diaspora haïtienne, principalement celle établie en Floride, est fortement impliquée dans cette longue lutte contre la discrimination raciale. Les Haïtiens établis aux États-Unis sont venus à la recherche d’un monde meilleur pour leurs enfants, et non d’un monde qui vous juge à la couleur de votre peau !

Discriminations persistantes contre les noirs

Dans l’histoire moderne des États-Unis, les émeutes raciales surviennent comme des poussées de fièvre épisodiques. Il y’a eu les émeutes de Watts en 1965, Miami en mai 1980, Los Angeles en 1990, Cincinnati en 2000, Baltimore en 2015 pour ne citer que ceux-là. Et bien souvent, la communauté haïtienne s’est retrouvée embarquée, qu’elle le veuille ou non, dans le mouvement afro-américain des droits civiques puisqu’elle est elle aussi concernée par les discriminations raciales à différents niveaux. Lorsqu’on parle de racisme envers les noirs, la brutalité policière est la forme qui frappe le plus les esprits, et pour cause, les forces de l’ordre représentent l’État qui se doit d’être irréprochable et exemplaire. Or, on continue de voir ça et là des comportements qui sont inadmissibles en 2020. Il y’a d’ailleurs certaines statistiques qui ne trompent pas. Un noir aujourd’hui a plus de chance de se faire tuer par un agent de police que de gagner à un jeu de grattage au loto.

Les États-Unis sont un pays métissé qui s’est construit par l’immigration. Les Haïtiens ont eux aussi contribué à bâtir ce pays et continuent à le prouver chaque jour. Personne ne peut donc prétendre aujourd’hui être plus américain qu’un autre. Les discriminations contre les noirs d’origine haïtienne sont donc intolérables et n’ont plus leur place dans un pays qui se veut le chantre de la démocratie et des droits de l’homme. Comme d’habitude, pour faire face à ce racisme structurel, les Haïtiens se sont unis comme un seul homme pour le dénoncer de manière pacifique. Ils ont ainsi été nombreux à se joindre aux différentes manifestations pour demander à ce que justice soit rendue à George Floyd, mort étouffé par un policier blanc.

Farah Larrieux, militante engagée dans les droits civiques, et plus particulièrement dans la défense des immigrés haïtiens et personnes bénéficiant du TPS (temporary program status), a profité de cette crise sociale pour nous rappeler dernièrement lors d’une entrevue tout le chemin qui reste à parcourir pour que les noirs retrouvent pleinement leurs droits. Les Haïtiens sont victimes d’un système raciste qui prévaut encore à différentes échelles, que ça soit sur le plan éducatif, de la santé, du travail, ou encore du système économique qui laisse de côté la communauté noire en général. Les crédits par exemple sont plus facilement refusés aux noirs. Mieux, lorsqu’il y’a une crise économique, les noirs sont toujours les premiers impactés, et au contraire, lorsque le pays connaît la pleine croissance, la communauté noire est la dernière à en bénéficier. Cela démontre également qu’inégalités et racismes vont de pair.

Un racisme institutionnel bien enraciné

Le racisme anti-noir aux États-Unis ne date malheureusement pas d’hier. Il trouve son origine dans l’esclavage et la ségrégation qui ont prévalu pendant des siècles dans ce pays. Aujourd’hui, les noirs continuent à subir le racisme, mais de manière plus sournoise. C’est un racisme systémique qui formate votre quotidien et empoisonne votre vie. À tel point que certains finissent par trouver cela normal. Les Afro-Américains subissent des discriminations dans presque tous les domaines, et une analyse poussée permet de s’en rendre compte.

Au niveau de la santé par exemple, on estime que 60 000 Américains noirs ou latinos meurent chaque année faute d’avoir les moyens pour payer leurs soins. Si les États-Unis prétendent être le pays le plus riche au monde, il est certainement aussi l’un des plus inégalitaires. La pandémie de Covid-19 est venue mettre à nu ces disparités puisque la communauté noire est la plus touchée par ce virus. En cause, la pauvreté responsable de plusieurs comorbidités comme l’obésité, le diabète ou l’hypertension. La surexposition des noirs au Covid-19 est aussi due au fait qu’ils occupent plus d’emplois précaires qui ne peuvent être effectués par le télétravail, comme le ménage, le transport ou la manutention dans les supermarchés. Dans le Michigan par exemple, bien que les noirs ne représentent que 14% de la population, ce pourcentage monte à 40% lorsqu’on comptabilise le nombre de décès liés au Covid-19. Ces chiffres stupéfiants nous interpellent forcément ! Au-delà des emplois précaires, les Afro-Américains qualifiés pour des postes à haute responsabilité doivent travailler deux fois plus dur pour prouver leurs compétences. Cette tendance est certes à la baisse, mais continue de prévaloir dans de nombreux secteurs.

Les discriminations subies par les Haïtiens au niveau judiciaire sont là aussi légion. Nombre de jeunes haïtiens croupissent en prison pour de petits délits faute d’avoir les ressources financières pour engager un bon avocat qui puisse les défendre. Mieux, pour le même délit, un jeune blanc a plus de chance de se voir infliger une sentence minime qu’un jeune noir. Par ailleurs, l’élection de Trump n’est pas étrangère à la recrudescence de racisme ces dernières années, puisque le Président tient souvent des discours clivants qui divisent plus qu’autre chose. Et face aux protestations, au lieu de voir la réalité en face et tenir des discours apaisants, Trump a préféré faire appel à la répression par la force. On se croirait de retour 50 années en arrière. C’est aussi au cours de son mandat qu’on a assisté à un durcissement du système d’immigration, avec notamment l’abrogation de la loi TPS qui a ouvert la voie au renvoi de nombreux Haïtiens sans-papiers à leur pays d’origine.

La politique étrangère américaine vis-à-vis d’Haïti est elle aussi parfois empreinte de racisme. Trump n’a-t-il pas lui-même dit il y’a peu qu’Haïti et certains pays africains étaient des pays de merde ? D’ailleurs, quand on remonte l’histoire, on s’aperçoit que les États-Unis se sont souvent comportés de manière hypocrite, voire hostile vis-à-vis Haïti. À commencer par George Washington, 1er Président américain, qui ne supportait pas l’idée qu’un peuple noir s’émancipe à ses portes, craignant une contagion qui pousse les noirs des États-Unis à faire de même. Il a ainsi envoyé armes et munitions aux exploitants français pour qu’ils matent toute rébellion. Malgré cela, les Haïtiens ont réussi à gagner leur indépendance, créant la première république noire du Nouveau Monde. Comme si la pilule était dure à avale, ça a pris 60 ans avant que les États-Unis ne reconnaissent Haïti comme un État indépendant. Frederick Douglass, abolitionniste connu pour son éloquence et son verbe travaillé, avait dit en substance que ‘’les États-Unis n’ont pas pardonné à Haïti d’être noir’’. Depuis, les États-Unis n’ont cessé de traité Haïti comme leur chasse gardée. Durant la guerre froide, ils ont soutenu le régime brutal des Duvaliers, et quand les haïtiens essayaient de fuir cette dictature imposée, l’oncle Sam ne leur accordait pas l’asile, dépensant des millions de dollars pour les refouler. Ceux qui ont tout de même réussi à s’installer en Floride, à New York ou à Boston ont tout de même dû subir les premiers préjugés qui traitaient les Haïtiens d’ignorants, de criminels et de personnes non qualifiées. Certains les avaient même tenus responsables dans la propagation du SIDA !

Actions des Haïtiens pour mettre fin au racisme

Il ne faut pas que les succès de personnalités haïtiano américaines comme les Wyclef Jean, Reggie Fils-aimé (Président Nintendo USA), Vladimir Duthiers (journaliste CBS), Jean-Claude La Marre (acteur, écrivain, producteur), et Pierre Garcon viennent faire de l’ombre aux discriminations que continuent de subir un grand nombre d’haïtiens aux États-Unis. Bien entendu, ces personnalités d’origine haïtienne sont certes des exemples à suivre, mais ils ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt lorsqu’il s’agit de combattre le racisme et de dénoncer les discriminations.

La communauté haïtienne doit continuer de s’unir et mieux s’organiser pour faire face à ce fléau qui n’a que trop duré. Comme on dit, l’union fait la force ! Les récentes manifestations qui ont eu lieu partout à travers le pays, et auxquelles se sont joint de nombreux Haïtiens, prouvent qu’un soulèvement de masse permet de faire bouger les lignes. Autrement, laisser faire et ne rien dire, c’est comme accepter ces actes de racisme et reconnaître que c’est quelque chose de normal alors que ça ne l’est pas. Ce n’est pas dans la culture haïtienne de se taire face aux injustices, et notre communauté vient de le prouver une fois de plus à travers sa forte mobilisation pour que justice soit rendue à George Floyd. Il convient également de mieux sensibiliser les Haïtiens sur leurs droits. Ils doivent avoir le réflexe par exemple de s’enregistrer lors des recensements pour qu’ils puissent mieux défendre leurs intérêts lors des réformes sociales.

Enfin, il convient de rappeler combien le vote lors des élections est une arme redoutable qu’il ne faut pas négliger. Pour preuve, durant le mandat d’Obama, la pauvreté au sein de la communauté noire a baissé de 6%, alors qu’elle n’a fait que stagner durant le mandat Trump. Il est donc essentiel d’aller voter et de s’impliquer autant que possible dans la chose politique. Il ne faut pas hésiter à analyser l’agenda des candidats et regarder de près leurs programmes pour élire ceux qui pourront vraiment défendre nos droits. Tant que le racisme existera dans ce pays, la communauté haïtienne ne baissera pas les bras et luttera de toutes ces forces pour en venir à bout. La résilience et la tolérance font partie de la culture haïtienne, des qualités qui peuvent être utilisées par ce pays pour se réconcilier une bonne fois pour toutes avec ses minorités. Car la diversité n’est pas un handicap, mais plutôt une richesse qui fait la grandeur d’une nation.

Photo credit Sun-Sentinel

DF/ LE FLORIDIEN
13 Juin 2020

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