Après moult atermoiements bureaucratiques, ‘Toto’ Constant a finalement été déporté par l’administration américaine vers Haïti le 23 juin dernier. Il a été placé dans un vol spécial avec 23 autres migrants haïtiens eux aussi sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Les réactions suite au retour de ‘Toto’ Constant en Haïti sont partagées. Beaucoup redoutent que le passé tumultueux de l’ex-chef paramilitaire ne vienne renforcer le chaos qui règne déjà en Haïti. Pour le moment, les autorités haïtiennes ont placé ‘Toto’ Constant en prison en attendant de voir comment gérer son cas.

Toto Constant, un chef paramilitaire au passé trouble

Le nom de ‘Toto’ Constant est associé aux périodes les plus sombres de l’histoire récente d’Haïti. Aujourd’hui âgé de 63 ans, l’ancien chef paramilitaire avait en effet terrorisé les Haïtiens pendant des années à travers l’escadron de la mort qu’il a avait fondé, le FRAPH (Front Révolutionnaire Armé pour le Progès d’Haïti). Cette milice a vu le jour en 1993, soit deux ans après le coup d’État de 1991.

afin de pourchasser et liquider les partisans du Président en exil Jean-Bertrand Aristide qui a été destitué après avoir passé seulement huit mois au pouvoir. ‘Toto’ Constant a été financé par de hauts responsables de la junte militaire qui a fomenté le coup d’État, mais aussi par la CIA qui le payait secrètement 500 dollars par mois en tant qu’informateur. C’est un certain colonel Patrick Collins de l’agence américaine de renseignement de défense (DIA) qui aurait poussé ‘Toto’ Constant à créer le FRAPH pour contrer les velléités des partisans d’Aristide.

‘Toto’ Constant est accusé par différentes organisations des droits de l’homme d’avoir tué, violé et torturé un grand nombre d’Haïtiens. Pas moins de 3000 habitants des bidonvilles qui soutenaient Aristide auraient été terrorisés et massacrés par ses hommes. D’après certains témoignages, Constant gardait dans son bureau des photos de victimes mutilées par son groupe, ce dernier ayant poussé la cruauté à son paroxysme en allant jusqu’à scalper des têtes. Cela montre le degré d’animosité du personnage et de ses affidés. Certaines sources non confirmées affirment également que le FRAPH pourrait être derrière l’assassinat du ministre de la Justice Guy Malary en 1993. Un de plus! Mais avec l’arrivée de Clinton au pouvoir, le vent a tourné pour ‘Toto’ Constant puisque le gouvernement américain a décidé d’arrêter de le soutenir, traitant les membres du FRAPH de voyous armés. De plus, une force multinationale fut mise en place pour déloger les militaires et leurs milices, rétablir le calme et remettre Aristide en selle.

Cette volte-face inattendue des États-Unis s’explique en partie par la cruauté et la brutalité constatée sur place et dont ils sont en grande partie responsables, même s’ils ne l’ont jamais reconnu publiquement. Il faut dire que l’administration américaine voulait au départ freiner coûte que coûte l’ascension d’Aristide soupçonné de populisme gauchiste. Un réflexe hérité de la guerre froide qui n’avait pas totalement disparu. Malheureusement, le remède s’est révélé pire que le mal, puisque les Américains ont collaboré à la création d’un monstre qui a complètement échappé à leur contrôle. Avec le retour d’Aristide en 1994, ‘Toto’ Constant a pris la fuite vers la République dominicaine avant de s’établir aux États-Unis, la veille de Noël.

Un exil aux États-Unis mouvementé

Une fois aux États-Unis, ‘Toto’ Constant fait profil bas et s’installe dans le Queens à New York, le temps de voir comment va évoluer sa situation. Un arrêté d’expulsion a été émis à son encontre en 1995, mais il a par la suite été autorisé à rester en raison de l’instabilité qui régnait en Haïti. Il faut dire aussi que Constant a usé de chantage pour ne pas être déporté, menaçant de divulguer les secrets sur sa relation avec la CIA. Quelques années plus tard, soit en 2001, Toto Constant a été reconnu coupable par contumace pour son rôle dans le massacre de Raboteau, le condamnant à la prison à vie et aux travaux forcés. Rappelons que cet événement atroce a eu lieu le 22 avril 1994 dans le quartier éponyme. Ce jour-là, un escadron du FRAPH soutenu par des sympathisants civils ont pourchassé jusqu’à dans les égouts et dans la mer les habitants pro-Aristide pour les tuer. Un épisode noir de qui hante encore la mémoire des habitants de ce quartier.

Quant à ‘Toto’ Constant, il n’a pas fait de vagues dans son nouveau pays d’accueil jusqu’en 2006, année où il a du faire face à des accusations de fraude. Le tribunal du comté de Long Island l’a en effet confronté pour des soupçons de participation à un stratagème de fraude hypothécaire contre Sun Trust Bank et Fremont Investment and Loan pour un préjudice estimé à plus d’1,7 million de dollars. En octobre 2008, la sentence est tombée. La Cour suprême du comté de Kings a condamné Constant à purger une peine d’au moins 12 ans de prison, une peine qu’il pourra effectuer aux États-Unis avant d’être déporté hors du territoire américain. Et cette fois, menacer de révéler ses secrets sur la CIA n’y changera rien puisque les documents concernant sa liaison avec l’agence de renseignement américaine ont été en grande partie déclassifiés.

Des Haïtiens partagés sur le renvoi de Toto Constant au pays

Nous voilà donc en 2020, soit 12 ans plus tard. ‘Toto’ Constant sort de la prison aux États-Unis pour se retrouver dans une autre prison en Haïti. À sa descente de l’avion qui le ramenait à Port-au-Prince, la police l’attendait de pied ferme. Dehors, il n’y avait ni manifestants hostiles ni sympathisants pour le soutenir comme on pouvait le craindre. Sa venue s’est déroulée dans l’indifférence la plus totale ou presque. Il faut dire que les Haïtiens ont d’autres chats à fouetter en ce moment. Tout juste son avocat a-t-il pris la parole pour dénoncer une détention illégale selon ses dires. D’après quelques indiscrétions, une fois dans sa cellule, lorsqu’il a été demandé à ‘Toto’ Constant s’il avait besoin de quelque chose, il a demandé qu’on lui ramène du poisson gros sel (plat populaire local), un déodorant, de l’eau et un insecticide.

Sur le plan politique, les réactions face au retour de ‘Toto’ Constant ont été là aussi plutôt timides, que ça soit du côté des États-Unis ou d’Haïti. La Représentante démocrate de Californie, Maxine Waters a dénoncé une expulsion irresponsable face au manque de visibilité sur le plan juridique. Elle a rappelé que la condamnation par contumace ne fournissait aucune garantie, donnant l’exemple de Jean-Robert Gabriel qui malgré une condamnation par contumace, est devenu haut fonctionnaire de l’armée haïtienne en 2018. Pour Marleine Bastien, directrice exécutive du mouvement haïtien à but non lucratif Family Action Network basé à Miami, l’expulsion de ‘Toto’ Constant est malvenue et risque d’amplifier le chaos déjà existant en Haïti. Elle a souligné que Constant avait encore des soutiens au pouvoir, alors que dans le même temps, les juges sont en grève en ce moment en Haïti. En Haïti justement, certaines voix mettent en garde contre tout laxisme. Ainsi, l’Office de Protection du Citoyen (OPC) enjoint les autorités judiciaires d’Haïti à ne pas se soustraire à leurs responsabilités, affirmant que les exactions commises par ‘Toto’ Constant peuvent être considérés comme un crime contre l’humanité. La balle est maintenant dans le camp des autorités judiciaires haïtiennes qui doivent montrer si elles sont vraiment indépendantes et compétentes.

DF/LE FLORIDIEN, 30 juin 2020

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