Le Président haïtien Jovenel Moise a réussi l’exploit de créer une pagaille politique inédite depuis qu’il est arrivé au pouvoir il y’a 3 ans et demi de cela. Aujourd’hui, le peuple haïtien n’a aucune visibilité à court terme sur le sort du pays. Bien malin est celui qui peut dire quand auront lieu les prochaines élections législatives ou présidentielles tant le flou dans lequel nous baignons depuis quelque temps est devenu total.

Le génie de Jovenel, c’est qu’il arrive à profiter de chaque crise pour renforcer son pouvoir. Ainsi, à l’issue de la crise socio-économique qui a duré pendant de longs mois et a jeté des milliers d’Haïtiens sur le pavé pour protester contre la détérioration de leurs conditions de vie, Jovenel a réussi à museler les velléités de l’opposition et à contrecarrer les revendications légitimes de la société civile. Au final, on se retrouve à la case départ. Non seulement il n’a pas quitté le pouvoir, mais il l’a même renforcé en exploitant la moindre faille de notre constitution. Aujourd’hui, il a les coudées franches puisqu’il ne gouverne que par décret. Le Parlement et le Sénat ont été écartés en toute “légalité”.

Maintenant qu’il a liquidé l’opposition politique, il profite de la crise sanitaire liée au Covid-19 pour passer au plan B : celui de prolonger son pouvoir. Car entre temps, des voix ont commencé à se lever pour remettre en question la date à laquelle le mandat de Jovenel prend fin. Certains constitutionnalistes estiment en effet que le mandat de Jovenel a débuté le 7 février de l’année de son élection, soit en 2016. Après un rapide calcul arithmétique, on arrive donc à la conclusion que celui-ci doit quitter le pouvoir le 7 février 2021, soit au début de l’année prochaine. Bien entendu, le principal intéressé ne voit pas les choses de la même manière. Pour lui, son intronisation a eu lieu le 7 février 2017, quand bien même les élections ont commencé en octobre 2015. Il doit donc, toujours selon sa version, remettre son poste en jeu le 7 février 2022 et pas avant. Pour écarter toute ambiguïté, Jovenel a indiqué, lors d’un discours officiel tenu le 18 mai 2020, que sa présidence était arrivée à 3 ans, 3 mois et 11 jours. Une façon directe de répondre à ceux qui veulent le faire sortir plus tôt de sa prestigieuse et confortable fonction à laquelle il commence manifestement à s’habituer.

Bien entendu, les élus des deux chambres ont vu rouge lorsqu’ils ont eu vent des intentions du Président de prolonger son mandat d’un an. Surtout que ces mêmes élus ont été poussés vers la porte de sortie en application de cette même constitution qui permet à Jovenel aujourd’hui de se maintenir au pouvoir. Y’aurait-il donc 2 constitutions dans le pays? Une pour le Président et une autre pour le reste des Haïtiens? En tout cas, Jovenel est devenu maître dans l’instauration de désordre et de la confusion. On ne serait pas étonnés d’ailleurs qu’il amende la constitution pour y mettre des textes taillés sur mesure afin de s’accaparer encore plus de pouvoirs. Guichard Doré, le conseiller politique du Chef de l’État, a révélé à la mi-juin qu’un amendement de la constitution était bel et bien dans les projets du Président. Selon lui, c’est une “opportunité historique à ne pas rater”. Et on veut bien le croire, puisqu’on vit une période où l’opposition politique et civile est enchaînée comme jamais. Jovenel a donc un boulevard devant lui pour reformuler la constitution à sa guise et jouer avec les textes comme bon lui semble. Qui l’en empêchera?

Malheureusement, et on ne le dira jamais assez, Haïti n’a jamais eu une constitution digne de ce nom. On n’a eu de cesse de copier ce qui se faisait ailleurs, notamment en France et aux États-Unis, alors que notre histoire et les besoins de notre population n’ont rien à voir avec ces pays dont on s’inspire machinalement sans même réfléchir. Le début et la fin de mandat de nos élus se transforment souvent en une véritable pagaille institutionnelle. Il est tout même inconcevable qu’on en soit réduit aujourd’hui à polémiquer sur la date à laquelle notre Chef de l’État doit quitter le pouvoir.

Jovenel en tout cas profite à merveille de ce désordre général auquel il a lui-même contribué pour tisser sa toile d’araignée en jouant sur le terrain constitutionnel. Il pourra ainsi poursuivre son plan machiavélique tout en muselant les voix discordantes de façon tout à fait légale. Lorsqu’il parle de consolider les institutions, de rééquilibrer les pouvoirs de l’État ou de délimiter les compétences des autorités, tout le monde comprend bien que son but ultime est de concentrer encore plus de pouvoirs entre ses mains. Jovenel devrait tout de même savoir qu’en jouant ainsi avec le feu, il finira tôt ou tard par se brûler. Il devrait prendre exemple sur ses prédécesseurs qui ont fait passer leurs propres intérêts avant celui des Haïtiens, et qui ont terminé leur mandat dans le déshonneur!

Stéphane Boudin

 

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