Le Président Jovenel Moïse est plus que jamais décidé d’imposer son projet de réforme constitutionnelle à travers l’organisation d’un référendum le 27 juin prochain. Il s’agit là du premier référendum organisé en Haïti depuis 1987. Le problème réside dans le coup de force de Jovenel Moïse pour mener à bien son plan, profitant du fait que le pays ne dispose ni de Conseil constitutionnel, ni de conseil électoral permanent, ni de parlement opérationnel. Autant dire que les nouveaux textes que veut proposer Jovenel Moïse à la population ont été élaborés sans aucune concertation avec la société civile ou avec l’opposition qui doivent tout de même avoir leur mot à dire, puisque la nouvelle constitution les concerne également.

Si la réforme constitutionnelle avait été portée par un Président consensuel et populaire, la pilule aurait été beaucoup plus facile à avaler. Or Jovenel Moïse dispose d’une légitimité pour le moins minime, pour ne pas dire quasi-nulle. Déjà lors de son élection, il n’a recueilli que 10% des voix de l’ensemble du corps électoral, puisque le taux d’abstention avait été particulièrement élevé lors du scrutin présidentiel de 2016. Depuis, la popularité de Jovenel Moïse n’a fait que péricliter au fil des années. Rarement on a vu un Président aussi impopulaire durant son mandat. À tel point que toute initiative émanant de Jovenel Moïse provoque une sorte d’allergie épidermique chez la population qui ne veut qu’une chose, qu’il quitte le pouvoir. Beaucoup pensent aussi que la volonté du Président de changer la constitution n’est qu’une diversion pour tromper la vigilance du peuple qui exige depuis des années que les responsables du scandale PetroCaribe soient traduits devant la justice. Il est en effet anormal que jusqu’à date, et malgré les rapports de la Cour des comptes qui ont montré l’implication d’un grand nombre de responsables politiques, notamment de Jovenel Moïse, aucun n’ait été inquiété par la justice. Pour toutes ces raisons, la nouvelle constitution proposée provoque la méfiance des haïtiens qui n’y voient qu’un tour de passe-passe du Chef de l’État pour se soustraire à ses obligations.

Mais que propose au juste cette nouvelle constitution? Tout d’abord, l’abolition du Sénat et la création d’une législature monocamérale afin de faciliter l’adoption des textes et minimiser les différents blocages que connaissent nos institutions législatives. De même, il est prévu la suppression du poste de Premier ministre qui pourrait être remplacé par un Vice-président, à l’image de ce qui se fait aux États-Unis. Ainsi, Haïti passerait d’un système semi-présidentiel à un système présidentiel complet. Le Chef de l’État disposera alors des pleins pouvoirs pour faire passer les réformes pour lesquelles il a été élu, sans risque de voir ses décisions bloquées au niveau du parlement comme c’était le cas auparavant.

De même, il est prévu de modifier le système électoral des élections présidentielles qui passeront d’un système à deux tours à un scrutin majoritaire à un tour. Aussi, le Président de la République pourra exercer pendant deux mandats consécutifs avec une durée de cinq ans pour chaque mandat. Et pour rendre la nouvelle constitution encore plus attrayante aux yeux de la communauté internationale et mieux la “vendre” à ses alliés étrangers, Jovenel Moïse a apporté quelques modifications qui semblent être dans l’air du temps, comme celui d’accorder plus de place aux femmes dans les postes à responsabilité, d’encourager l’implication des jeunes dans la chose publique, ou encore de redonner à la diaspora son mot à dire dans les décisions importantes, sachant que les haïtiens de l’étranger jouent un rôle important dans l’économie du pays alors que leur voix est réduite au silence sur la scène politique, etc..

Comme prévu, la réforme constitutionnelle proposée par Jovenel Moïse n’a pas reçu un écho favorable au sein de la population. L’opposition ainsi que la société civile ont rejeté en bloc le projet présidentiel. Pour eux, la rédaction des nouveaux textes doit se faire en concertation avec toutes les forces vives du pays et de manière plus inclusive. Il est hors de question qu’un président, de surcroit illégitime à leurs yeux étant donné que son mandat a pris fin le 7 février dernier, vienne dicter sa loi. De plus, ce n’est pas au Président de la République de changer la constitution, et toute initiative en ce sens serait tout simplement.. anti-constitutionnelle.

Pour toutes ces raisons, les experts craignent que le prochain référendum ne soit l’étincelle qui viendrait faire exploser la poudrière qu’est devenu Haïti. En effet, entre la crise politique d’un côté, la crise socio-économique de l’autre, et une insécurité endémique, les Haïtiens n’ont plus rien à perdre. Beaucoup estiment que toutes les conditions sont réunies pour l’avènement d’une véritable révolution populaire qui balaierait tout sur son passage, à commencer par cette classe politique opportuniste qui a paupérisé notre nation. Il y a un peu plus de 200 ans, Haïti devenait la première nation noire à obtenir son indépendance après une lutte acharnée contre le colonisateur français. Aujourd’hui, les descendants de Jean-Jacques Dessalines aspirent eux aussi à “libérer” leur pays d’un nouveau type de colonisateurs, celui des dirigeants corrompus.

Stéphane Boudin

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