Cela n’a pas échappé aux observateurs qui y ont vu une défaite publique, voire même une forme d’humiliation. En effet, en l’espace de quelques jours, le convoi du Premier ministre a été éconduit sans ménagement par les gangs qui lui ont barré la route. Un comble pour un homme censé contrôler le pays et qui, dans les faits, ne contrôle rien du tout. On lui a ainsi barré la route une première fois lorsqu’il voulait rendre hommage à l’Empereur Jean-Jacques Dessalines au niveau du Pont-rouge, puis une deuxième fois en se rendant à un terminal pétrolier pour essayer de trouver une solution au blocage de l’approvisionnement en carburant.

Si dans ses discours, Ariel Henry se veut rassurant, dans les faits, on voit bien que les choses sont loin d’être aussi paisibles qu’il le prétend. On est arrivé à un point où il ne sert à rien de combattre frontalement les gangs, car ils sont devenus beaucoup plus puissants et mieux organisés que la police nationale. Plutôt que de vouloir s’engager dans une guerre perdue d’avance, certains avancent qu’il serait plus judicieux de négocier. Car Ariel Henry semble être le dernier à ne pas comprendre que cela fait un bon bout de temps que le rapport de force a changé de camp. Certes, se ‘rabaisser’ pour aller négocier avec des criminels serait un aveu d’échec. Mais le Premier ministre a-t-il encore le choix? Cela fait des années que le pouvoir est infiltré par les organisations criminelles. Aujourd’hui, le gouvernement n’a d’autre choix que de signer un pacte avec le diable pour espérer sortir le pays du blocage actuel.

Sans carburant, Haïti est comme un malade en arrêt cardiaque. Plus rien ne fonctionne. Ni hôpitaux, ni transport, ni téléphone. En tant que médecin, Ariel Henry sait très bien que lorsqu’un malade est en danger de mort, il faut le sauver, peu importe les moyens. Hier encore, lors d’un discours, le Premier ministre a indiqué que ‘’les gangs sont nos ennemis’’. Rajoutant que « S’ils n’arrêtent pas leurs actes répréhensibles, la loi s’appliquera à eux. La seule option pour les bandits et tous leurs parrains est l’emprisonnement ou la mort s’ils ne veulent pas changer de profession ». Tout le monde souscrit à ce type de discours qui se veut performatif, mais en réalité, nous savons que la police n’a pas les moyens de combattre un ennemi beaucoup plus fort que lui.

 

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Nous ne jetons pas ici le blâme sur Ariel Henry en tant que personne. La situation dans laquelle il se trouve n’est que la conséquence de décennies de laisser-aller et de manigances politiciennes qui ont fini par détruire notre nation. Si les gangs sont devenus si puissants aujourd’hui, c’est surtout parce que l’État leur a permis de se développer. Au lieu d’investir dans des usines, des écoles, des routes et des hôpitaux, nos dirigeants ont toujours préféré investir dans des milices qu’ils ont fortement armées pour qu’elles défendent leurs intérêts. Cette façon de faire remonte aux années 50, plus précisément au règne dictatorial de Duvalier père qui a créé la milice Tonton Macoute pour éviter un nouvel attentat après celui du 29 juillet 1958.

À partir de là, une certaine culture des gangs et des milices a commencé à s’installer dans notre pays. La suite de l’histoire, on la connaît tous. Chaque fois qu’il y a une crise politique majeure en Haïti, les milices armées s’en mêlent, avec souvent des morts qui se comptent par dizaines, voire par centaines. Aujourd’hui, les gangs ont remplacé les milices, mais le mode opératoire reste le même. Pour soigner leur image, les politiciens ‘sous-traitent’ avec les gangs en secret. Barbecue, mais aussi Arnel Joseph (tué lors d’une tentative d’évasion en février dernier), ont prouvé à maintes reprises qu’ils entretenaient des relations presque fraternelles avec de nombreux politiciens, qu’ils soient sénateurs, députés, ou même ministres.

Alors, le gouvernement haïtien serait-il devenu un gouvernement mafieux. Plusieurs faisceaux d’indices laissent à penser que c’est le cas. D’où le peu d’empressement de la communauté internationale à venir en aide à Haïti, car elle sait que toute aide serait détournée quasi systématiquement par nos dirigeants connus pour être de grands escrocs. Si Barbecue a demandé la démission d’Ariel Henry, c’est parce qu’il sait pertinemment que le politicien haïtien ne vaut pas mieux qu’un criminel de droit commun.

Encore une fois, Ariel Henry paie la note d’un système corrompu et à bout de souffle. Tout le monde est fatigué de ce pouvoir qui ne défend que ses intérêts et qui ne tient jamais parole. Un pouvoir qui fait tout pour continuer de profiter des richesses du pays, sans redistribution vers la population qui n’a jamais été aussi malheureuse. Or, une société malheureuse crée le malheur.

Nous ne nous faisons point d’illusions sur la capacité du Premier ministre actuel à changer quoi que ce soit. Le changement ne peut venir que de la base, c’est-à-dire du peuple. Or, ce dernier n’arrive toujours pas à s’exprimer, coincé entre la violence des bandes criminelles d’un côté, et l’incompétence de nos gouvernants de l’autre.

Ce qui est sûr, c’est que l’honnêteté et le patriotisme ne se trouvent pas là où on pense. Ce n’est pas dans les palais de la capitale que vous allez trouver les honnêtes citoyens, mais plutôt dans les quartiers populaires, parmi les petites gens qui se battent chaque jour pour travailler et nourrir leur famille dignement. Car si la pauvreté n’oblige pas à voler, la richesse elle ne l’empêche pas pour autant.

Stéphane Boudin

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