Cela fait presque 4 mois que le défunt Président de la République, Jovenel Moïse, a été assassiné chez lui dans des circonstances qui demeurent jusqu’à aujourd’hui obscures. Des mercenaires colombiens avaient alors fait irruption dans sa résidence privée au quartier Pèlerin 5, exécutant le Chef de l’État avec plusieurs balles, non sans lui avoir fait endurer d’atroces souffrances.

L’attaque contre Jovenel Moïse, au cours de laquelle son épouse Martine a miraculeusement survécu, a provoqué une onde de choc à l’échelle mondiale. Le lendemain, tous les pays de la planète ont été unanimes pour condamner cet attentat barbare contre le symbole de la nation haïtienne. Même les haïtiens qui étaient opposés au Président n’ont pu cacher leur désarroi face à ce qu’ils considèrent comme une violation de l’intégrité de notre pays. Car, qu’on soit ou non d’accord avec la politique de Jovenel Moïse, il reste le Président de tous les haïtiens, quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses. Dans un état de droit, on se doit de respecter certains principes, autrement, il ne sert à rien d’organiser des élections présidentielles ou législatives.

Aujourd’hui donc, de nombreux points d’interrogation subsistent sur cet assassinat. Certes, les exécutants, à savoir les mercenaires colombiens, ont tous été arrêtés ou tués lors de la chasse à l’homme qui a suivi l’assaut du 7 juillet. Mais qu’en est-il des véritables commanditaires qui ont financé et ordonné cette attaque? C’est là toute la question à la quelle la justice peine à trouver une réponse. Et pour cause, aucun juge ne veut vraiment risquer sa vie pour mettre la main sur les véritables coupables. Ce qui prouve que les ramifications du ‘’système’’ derrière l’assassinat du Président sont tellement profondes au sein de l’État haïtien que personne n’ose s’y frotter. Mais lorsqu’on évoque le ‘système’, de quoi parle-t-on exactement?

Pour avoir un début de réponse, il faut remonter le temps et dépoussiérer les archives. Il y’a deux ans, le Chef de l’État déclarait ainsi : «Il est important que le peuple haïtien, comme en 1804, arrive à identifier son vrai ennemi, c’est-à-dire ce système qui est un système qui a toujours les capacités de se régénérer». Et de renchérir : «on ne peut pas laisser ce système se régénérer, ce système d’exclusion qui fait que seul un petit groupe de personnes peut bénéficier de privilèges et la masse croupit dans la boue».
En somme, Jovenel Moïse faisait allusion aux puissants hommes d’affaires qui ont mainmise sur l’économie du pays. Dernièrement, son épouse Martine n’a pas hésité elle aussi à pointer du doigt les oligarques qui, selon elle, sont les seuls à disposer de moyens financiers et logistiques pour planifier et exécuter une telle attaque. Sans les nommer, Martine fait clairement allusion à des personnalités comme Boulos ou Vorbe connus pour avoir une grande influence dans le pays, notamment à travers leur puissante force de frappe financière.

Par ailleurs, lorsqu’on analyse le déroulement de l’attaque du 7 juillet, il est évident que les forces de sécurité censées protéger le pays étaient de mèche. En effet, il est inconcevable qu’aucun garde n’ait reçu le moindre projectile, et que les seules victimes de l’attaque soient le Président et son épouse. Ainsi, au lendemain de l’attaque, les regards se sont tout de suite dirigés vers Dimitri Hérard, chef de sécurité du Président, ainsi que Jean Laguel Civil, coordinateur de la sécurité présidentielle. Où étaient-ils ce soir là, pourquoi ont-ils mis aussi longtemps à venir à la rescousse de Jovenel Moïse qui les avait pourtant appelés par téléphone en personne? Autant de questions qui restent sans réponse, mais qui laissent planer de nombreux doutes sur leur implication! Au mieux, on peut dire que ces deux personnages clés n’ont pas rempli leur devoir, celui de protéger le Président de la République.

Dernièrement, c’est l’ancien envoyé spécial des États-Unis en Haïti qui est venu accentuer la confusion autour d’une enquête déjà mal partie en faisant de nouvelles déclarations. En effet, selon Daniel Foote, l’actuel Premier ministre Ariel Henry doit lui aussi clarifier quelques éléments troublants qui le concernent. Ainsi, des relevés téléphoniques indiquent clairement qu’Ariel Henry aurait eu plusieurs conversations avec l’un des principaux suspects juste avant et après l’assassinat.

Ce qui est sûr, c’est que l’enquête sur l’assassinat de Jovenel Moïse n’est pas prête d’avancer si on reste sur cette dynamique judiciaire pour le moins attentiste. Les convocations ne sont jamais respectées, les juges ne disposent pas de pouvoir dans les faits pour faire appliquer la loi, et les différents groupes de pression semblent plus que jamais avoir le contrôle sur l’ensemble de la chaîne judiciaire. Les gens du ‘système’ disposent pour ainsi dire de deux moyens de pression pour empêcher la justice de faire son travail : l’argent et les balles. Comme disait le célèbre narcotrafiquant colombien Pablo Escobar, ‘Plata o plomo’. En clair, ceux qui collaborent avec le ‘système’ se verront récompensés par des pot-de-vin qui dépassent souvent leur salaire. Pour les autres, c’est à dire ceux qui essaient de jouer aux héros, ils devront faire face à la deuxième option, beaucoup moins agréable à vivre.

Aujourd’hui, les juges chargés d’enquêter sur l’assassinat de Jovenel Moïse, à l’instar du juge Mathieu Chanlatte, préfèrent démissionner vu la complexité du dossier et les dangers qui les guettent. Et même quant un juge décide de jouer le jeu, il n’est pas à l’abri d’un congédiement expéditif, comme ce fut le cas du juge Bed-Ford Claude qui a ‘osé’ convoquer le Premier ministre pour éclaircir certains points le concernant. Comme on dit : ‘’une extrême justice est souvent une injure’’. Ariel Henry a semble-t-il pris cette maxime à la lettre.

Stéphane Boudin

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