Lorsque l’année 2020 s’est terminée, on pensait qu’Haïti avait touché le fond et que la nouvelle année ne pouvait pas être pire. Malheureusement, on s’est tous trompés dans nos pronostics, puisque 2021 fut à bien des égards une année cauchemardesque : tremblement de terre, assassinat de Jovenel Moïse, crise migratoire, kidnappings, violences, ouragan Grace, distribution de carburant bloquée par les gangs… la liste est longue.

Face à cela, notre pays se retrouve livré à lui-même puisque le gouvernement haïtien a abdiqué depuis fort longtemps, se contentant d’expédier les affaires courantes en exerçant le pouvoir de manière ‘cosmétique’.

Élections annulées et Président assassiné

La première moitié de 2021 fut comme la précédente, rythmée par les violences quotidiennes liées aux gangs, mais aussi par les perpétuelles querelles au sein de la classe politique.

Pour essayer de calmer les esprits et gagner un peu de temps, Jovenel Moïse avait alors proposé l’organisation d’un référendum constitutionnel pour redonner plus de pouvoir à l’exécutif, notamment au Chef de l’État, afin qu’il puisse mener à bien ses réformes. Il a également promis l’organisation d’élections législatives et présidentielles dans les plus brefs délais, des promesses qu’il a dû repousser par deux fois face au manque de moyens, mais surtout face à la situation sécuritaire particulièrement mauvaise liée à la prolifération des gangs dans presque toutes les grandes agglomérations que compte notre pays.

Autant dire que la côte de popularité de Jovenel Moïse était quasi nulle, poussant un grand nombre d’opposants à douter de sa légitimité, surtout que son mandat aurait dû prendre fin en février 2021. Malgré ces querelles politiques interminables, on était loin de se douter du coup que concoctait en coulisse le ‘système’ pour garder sa mainmise sur le pays. En effet, la nuit du 7 juillet, une tragédie digne d’un mélodrame hollywoodien allait avoir lieu dans les collines de Pétion-ville, là où se situe la résidence privée du Chef de l’État.

Vers 1h00 du matin, un groupe de mercenaires colombiens, déterminés et armés jusqu’aux dents, débarquent avec l’objectif affiché de tuer le Président et toute sa famille. Étonnamment, la garde rapprochée du Président n’a pas bougé le petit doigt ce soir-là, ce qui laisse à pense qu’elle a été complice, ou tout du moins infiltrée. Le Président est alors sauvagement assassiné (l’autopsie et les déclarations de son épouse parlent même de tortures barbares), alors que sa femme Martine est grièvement blessée et transportée d’urgence vers un hôpital de Miami.

Au lendemain de l’attaque, une chasse-à-l’homme est organisée par la police nationale pour mettre la main sur les mercenaires colombiens. Un certain nombre est tué, le reste est capturé et placé aux mains de la justice pour interrogatoire. Sauf que des mois après cet assassinat, on n’arrive toujours pas à remonter la filière pour savoir qui sont les véritables commanditaires de cette attaque. Un certain Emmanuel Sanon, haïtien résidant en Floride et possédant des activités peu claires, est désigné comme le principal instigateur de l’assassinat. Sauf qu’on s’aperçoit bien vite que lui-même n’est qu’un pion d’un réseau beaucoup plus alambiqué. Pire, les juges ne se bousculent pas pour prendre le dossier en main, considérant l’entreprise comme trop risquée. On se croirait dans un mauvais film de la mafia où la pègre fait régner la terreur partout où elle passe.

Tremblement de terre… encore un !

Après le tremblement de terre politique suite à l’assassinat de Jovenel Moïse, Haïti allait connaître un mois plus tard un autre tremblement de terre, tectonique cette fois-ci. Avec une magnitude de 7,2 sur l’échelle de Richter, les démons de 2010 et les souvenirs traumatisants du séisme dévastateur qui a ravagé notre pays cette année-là ont tout d’un coup refait surface. Ce 14 août donc, la terre a une nouvelle fois tremblé à 08h29 du matin. Son épicentre étant situé à 10 km de profondeur au niveau de Petit-trou-de-Nippes, le séisme a été particulièrement destructeur puisque les dégâts ont été constatés à des dizaines de kilomètres à la ronde.

Les secousses furent telles qu’une alerte au tsunami a été déclenchée avant d’être levée quelques heures plus tard. Par contre, sur le terrain, les dégâts sont immenses. Les écoles, les hôpitaux, les églises, les postes de polices, les locaux administratifs, et bien sûr les maisons ont tous été affectés. Aucune construction n’est sortie indemne de ces mouvements tectoniques qui trouvent leur origine dans la faille Enriquillo-Platain Garden. Les bâtiments qui ne sont pas tombés en ruines ont été sérieusement endommagés, ce qui revient au même puisqu’ils deviennent inexploitables à moins de lourds travaux de réhabilitation.

Sur le plan humain, là encore, les chiffres sont catastrophiques. En effet, on déplore pas moins de 2248 morts selon les sources officielles. Certains estiment que ces chiffres sont sous-évalués et que le nombre de victimes est beaucoup plus important. Quant aux blessés, leur nombre dépasse les 12 000. Et comme on peut l’imaginer, le peu d’hôpitaux qui ont résisté au tremblement de terre ont vite été débordés. À tel point qu’un grand nombre de patients ont été soignés dehors dans la cour de l’hôpital, parfois même dans le parking. Quelques personnalités ont perdu la vie au cours de cette énième catastrophe naturelle, comme l’ancien sénateur et ex-maire des Cayes, Gabriel Fortuné, mort enseveli sous les décombres de son hôtel.

Au total, les autorités ont recensé environ 50.000 maisons et constructions détruites. Les habitants des régions rurales ont été encore plus impactés à cause de leur isolement et de la lenteur des secours pour les atteindre. Et comme si dame nature avait décidé de s’acharner sur la population de cette région, l’ouragan Grace est venu compliquer un peu plus les choses en ralentissant le travail des secours, alors que dans ce genre de situations, chaque minute compte.

Haïti plus que jamais au fond du trou

Les haïtiens ont souffert le martyr cette année. À tel point que la majorité songe à quitter le pays par tous les moyens. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la prolifération des gangs violents qui rendent le quotidien des haïtiens invivable. Entre kidnappings d’un côté et les violences meurtrières de l’autre, on se croirait dans un pays en guerre. Pire, la population n’arrive plus à se déplacer librement puisque même le ravitaillement des stations-services en carburant est perturbé par les gangs qui contrôlent le pays à la place du gouvernement central.

On se souvient encore comment le Premier ministre nouvellement nommé, Ariel Henry, a dû détaler comme un lapin avec son escorte à l’arrivée de Jimmy Cherizier ‘Barbecue’ au Pont-Rouge pour commémorer l’anniversaire de l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines. Ce qui fait dire à de nombreux observateurs qu’en Haïti, il y a de fortes chances à ce que le prochain Chef de l’État s’impose par les armes et non par les urnes. Toujours est-il, l’année de 2022 risque d’être un remake de 2021 si la communauté internationale ne s’implique pas davantage pour pacifier notre pays et l’aider à sortir de ce cycle infernal.

Car si Haïti plonge dans le chaos total, ça n’aura pas un impact que sur les haïtiens, mais sur l’ensemble des pays de la région, à commencer par les Etats-Unis. Joe Biden et consorts semblent ne pas encore avoir bien pris la mesure du problème. Le jour où ils le feront enfin, il sera peut-être déjà trop tard.

Dessalines Ferdinand
LE FLORIDIEN, 30 décembre 2021

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