Colombie, Mexique, Pérou… le nom de ces pays évoque des plages paradisiaques et une nature généreuse, mais ces pays sont également connus pour être de grands exportateurs de drogue, notamment la cocaïne. Si cette dernière remonte principalement par l’Amérique centrale pour atteindre le marché américain, les pays des Caraïbes deviennent à leur tour des pays de transit, de par leur positionnement géostratégique, mais aussi la vulnérabilité de certaines nations comme Haïti où sévit le chaos généralisé et où le gouvernement central ne contrôle pas grand-chose. Et c’est justement ce genre de pays dont raffolent les trafiquants qui peuvent manipuler leurs dirigeants à coup de pots-de-vin et de bakchichs sonnants et trébuchants.

On sait que les assassins de Jovenel Moïse cherchaient un document très important dans son bureau d’après les dires de son épouse, Martine. Or, d’après 4 hauts conseillers et fonctionnaires proches du Président, ces documents contiendraient les noms des politiciens et hommes d’affaires qui seraient impliqués dans le commerce de la drogue en Haïti. Pire, Jovenel Moïse avait l’intention de remettre ce document au gouvernement américain, ce qui lui a coûté sa vie. Manifestement, ce document n’épargnait personne, même pas les hauts dignitaires qui ont aidé Jovenel Moïse à accéder au pouvoir, ce qu’ils ont considéré comme une trahison de sa part.

Peut-on dire dès lors que Jovenel Moïse s’inquiétait du fait que son pays tombe entre les mains de trafiquants de drogue? Lorsqu’il parlait de combattre le ‘système’, pensait-il également aux cartels qui voulaient faire d’Haïti un pays de transit? Ses actions durant les mois qui ont précédé sa mort laissent penser que oui. En effet, Moïse a mené plusieurs opérations coup de poing pour anéantir, ou tout du moins réduire la montée fulgurante du trafic de drogue dans notre pays. Il a ainsi nettoyé le département des douanes où la corruption était présente à tous les étages. Il a nationalisé le port maritime devenu en quelques années le lieu de tous les trafics, que ce soit le trafic de drogues, mais aussi d’armes à feu. Il a également détruit une piste d’atterrissage utilisée par les trafiquants pour acheminer leurs cargaisons, et mené une politique volontariste pour traquer l’argent sale injecté dans l’économie locale.

Daniel Foote, l’envoyé spécial des États-Unis, a lui-même reconnu que le narcotrafic a certainement joué un rôle central dans l’assassinat de Jovenel Moïse. Depuis, Mr Foote est tombé en disgrâce pour avoir critiqué la politique honteusement non-volontariste de Biden vis-à-vis d’Haïti, ce qu’il considère comme une grossière erreur que les États-Unis risquent de payer cher dans un avenir proche.

Mais qui sont au juste ces trafiquants? Des étrangers ou des nationaux? Sont-ils membres de gangs, des hommes d’Affaires ou des politiciens? D’après les dires de plusieurs sources, c’est un peu tout ça. Et c’est justement ce qui fait la complexité de la chose. Les intérêts sont tellement imbriqués les uns les autres qu’on s’y perd rapidement. Attrapez un trafiquant et vous risquez de faire tomber 10 politiciens derrière, et autant d’hommes d’Affaires qui blanchissent l’argent de la drogue dans leurs entreprises.

C’est un secret de polichinelle que des trafiquants de drogue et d’Armes notoires siègent depuis longtemps au parlement haïtien. Est-ce là aussi une raison qui a poussé Jovenel Moïse à dissoudre les deux chambres et à tarder à les rouvrir? C’est possible, surtout lorsqu’on sait que par le passé, des officiers de police ont été surpris en train d’aider les trafiquants de drogue à charger leur marchandise à bord d’avion dans des pistes d’atterrissage clandestines. Lorsque l’on assiste à ce genre de scènes, on se dit que tout est possible dans notre pays et que plus rien ne peut nous étonner. Ainsi, un commissaire du département du Nord-Ouest avait même avancé que chaque trafiquant de drogue avait au moins un officier de police dans son équipe. Autant dire que l’État haïtien se transforme petit à petit en État voyou. Le pire, c’est que cela se passe sans que les États-Unis n’interviennent pour y mettre un terme, alors que c’est le marché américain qui est visé par les trafiquants de drogue.

Ainsi, la DEA semble peu active sur le terrain, se limitant à quelques actions sporadiques et un soutien logistique symbolique. Pire, au moins 2 Haïtiens soupçonnés d’être impliqués dans l’assassinat du Président sont d’anciens informateurs de la DEA. Même le Sénat américain trouve la nonchalance de la DEA inacceptable. Ainsi, comment se fait-il que le chef de la sécurité du palais présidentiel soit lié au trafic de drogue et que la DEA n’ait pas prévenu Jovenel Moïse?

Une chose est sûre, si jamais les cartels de drogue arrivent à avoir une mainmise sur notre Haïti, ce ne sont pas seulement les Haïtiens qui vont en pâtir, mais également l’ensemble des pays de la région, les États-Unis en premier. C’est donc un problème qui ne concerne pas uniquement Haïti, mais toutes les nations avoisinantes. Reste à voir comment celles-ci vont s’y prendre avant qu’il ne soit trop tard.

Stéphane Boudin

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