Cela fait des années maintenant que les haïtiens ne comptent plus sur l’État pour quoique ce soit, des années que la population ne fait plus confiance à nos dirigeants qui ont pris soin de placer leurs familles et leurs fortunes à l’extérieur du pays, des années que le service public est synonyme de médiocrité, de corruption et de clientélisme. Aujourd’hui, les haïtiens ne peuvent compter que sur eux-mêmes, car l’État ne leur inspire plus confiance. Pire, d’après certains sondages, la parole de certains chefs de gang notoires a plus de valeur que celle de nos dirigeants qui ont perdu toute crédibilité. En somme, lorsqu’un Jimmy Barbecue parle, les haïtiens lui prêtent volontiers plus attention qu’ils ne le feraient pour un Ariel Henry qui peut discourir des heures durant sans vraiment réussir à convaincre. Mais peut-on en vouloir à cette population haïtienne qui a été trahie à maintes reprises par une classe politique opportuniste? Il n’y a qu’à voir dans quel état se trouve notre pays en ce moment pour se rendre compte combien nos dirigeants ne méritent pas une once de considération. Qu’ont-ils fait pour notre pays? Qu’ont-ils bâti? Que laissent-ils à nos enfants si ce n’est un pays en ruine, livré aux criminels et aux mafias.

Où sont les routes? Où sont les hôpitaux? Où sont les écoles? Où sont les projets touristiques censés employer nos jeunes désœuvrés? Où sont les milliers de logements sociaux promis au lendemain du tremblement de terre de 2010? Et qu’ils ne viennent pas nous dire que tout ceci est à cause d’un manque d’argent! Où sont passés les milliards de PetroCaribe? Comment se fait-il qu’un simple sénateur haïtien arrive à s’acheter une villa à plus de 4 millions de dollars à Montréal, ce que même le Premier ministre canadien ne peut s’offrir. Comment expliquer que nos politiciens trouvent l’argent pour envoyer leurs enfants dans les meilleures universités américaines et canadiennes, alors que l’écrasante majorité de la population vit avec moins de 2$ par jour. Les nantis qui sont encore en Haïti ne sont pas là par amour pour leur pays, mais juste pour le dépouiller de ses dernières richesses. Pourtant, lorsque vous les entendez parler à la télévision, versant des larmes de crocodiles pour exprimer leur compassion et leur solidarité avec le peuple haïtien, vous vous dites que nos dirigeants sont des hommes au grand cœur, alors que dans les faits, ce sont d’excellents comédiens à l’appétit glouton.

Face à cela, le peuple s’est résolu à ne compter que sur lui-même, que ce soit pour l’éducation, le transport, la santé ou la sécurité. Ainsi, lorsqu’un concitoyen tombe malade, son premier réflexe n’est pas d’aller à l’hôpital, mais plutôt de prier le bon Dieu miséricordieux pour l’épargner et le protéger. Par la suite, le guérisseur traditionnel est privilégié car plus abordable et plus accessible. Durant le Covid-19, la méfiance vis-à-vis de l’État a été telle que la population a refusé de se faire vacciner. Et encore, quand les vaccins étaient disponibles, car notre gouvernement a été le seul au monde à refuser les vaccins livrés par l’OMS, alors que toutes les nations de la planète étaient engagées dans une course contre la montre et faisaient des pieds et des mains pour recevoir des doses. Un amateurisme qui montre une fois de plus la réelle valeur de nos dirigeants lorsqu’il s’agit de gérer la chose publique.

Sur le plan de l’éducation, même chose, le tableau est catastrophique. Qu’elle est loin l’époque où l’école publique arrivait à instruire convenablement nos enfants qui pouvaient espérer devenir médecins, avocats ou architectes. Aujourd’hui, l’école publique n’est plus que l’ombre d’elle-même. Les enseignants manquent de motivation face aux moyens limités dont ils disposent et des salaires dérisoires qui ne sont d’ailleurs pas toujours payés à temps. De sorte que les parents préfèrent envoyer leurs enfants aux écoles privées. Encore faut-il avoir les moyens pour les envoyer dans une bonne école, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour la grande partie de la population qui se retrouve ainsi exclue de facto du système éducatif.

Sur le plan économique, là encore, c’est le système D qui prime. D pour débrouillardise, D pour Dépannage, et comme dirait un célèbre écrivain du coin, D pour … ‘se démerder’. L’État n’a plus la capacité d’embaucher, ça on le sait depuis longtemps. Mais l’État est également incapable d’instaurer un climat sain pour que les gens puissent faire du commerce et monter des projets par eux-mêmes. Si vous voulez ouvrir un magasin, il vous faut une multitude d’autorisations, beaucoup de courage, et surtout, de l’argent pour ‘ouvrir’ les portes des administrations qui autrement, resteraient fermées.

Résultat, aujourd’hui dans notre pays, l’écrasante majorité de la population travaille dans l’informel. Chaque personne disposant d’un petit budget va s’acheter un petit étale pour y vendre sa marchandise. Ainsi, les petits vendeurs pullulent en Haïti. Tout le monde vend tout et n’importe quoi pour essayer de survivre. Notre pays est devenu un grand marché à ciel ouvert. Il y a des pharmaciens ambulants qui se substituent aux pharmacies classiques et vendent (sans autorisation bien sûr) des comprimés à l’unité. Des vendeurs de carburant qui font office de stations-services clandestines et stockent leur marchandise dans des bidons de fortune, faisant fi des normes de sécurité qui régissent le secteur. Bref, une véritable économie sous-terraine est en train d’émerger pour pallier aux manquements de l’État qui a complètement perdu la main. À ce rythme, on peut très bien imaginer les gangs se substituer à la police nationale et proposer leurs ‘services’ de protection contre le paiement d’une taxe.

D’une certaine façon, les haïtiens sont en train de prouver qu’ils peuvent s’autogérer et que le gouvernement leur fait plus de mal que de bien. Dès lors, on peut dire qu’en l’état actuel des choses, Haïti est un pays qui s’autogouverne plus qu’il n’est gouverné. Et ça, c’est une première mondiale!

Stéphane Boudin

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