Le crime organisé est devenu endémique depuis quelques années en Haïti, à tel point que les autorités ont le plus grand mal à y mettre fin. Aujourd’hui, aucune ville n’est épargnée. Les chefs de gang règnent en mettre et imposent leur loi aux populations locales. Les plus puissants, comme Barbecue, arrivent même à bloquer le ravitaillement en produits pétroliers, lorsque d’autres comme Yonyon, à la tête du célèbre gang 400 Mawozo, s’adonnent aux kidnappings et trafics en tout genre (à rappeler que Yonyon vient d’être transféré aux États-Unis où il a été inculpé pour le rapt d’un groupe de missionnaires américains qui ont par la suite été libérés).

Mais ce qui inquiète les observateurs depuis quelque temps, c’est que les bandes criminelles ont de plus en plus recours aux enfants pour garnir leurs effectifs. Naïfs et corvéables à merci, les enfants constituent en effet des recrues de choix pour les chefs de gang qui y voient un bon investissement pour assurer l’avenir. Bien entendu, le recrutement de mineurs constitue une violation des droits de l’enfant. Mais comme les gangs évoluent à la base en marge de la loi, cette énième entorse ne constitue pas une nouveauté pour eux.

Dans les médias, mais aussi et surtout sur les réseaux sociaux, il n’est pas rare de voir des adolescents, certains ayant à peine 12 ans, brandir des armes automatiques de gros calibre. Une vidéo en particulier a choqué les internautes, celle d’un enfant masqué qui ne connaît encore rien de la vie, et qui brandit fièrement son arme avec laquelle il dit vouloir tuer les membres d’un gang rival. Autant dire que ce pauvre gamin ne risque pas de retrouver les bancs de l’école de sitôt, et que son avenir s’en retrouve par conséquent gravement hypothéqué. Surtout, l’espérance de vie de ces bambins dépasse rarement les 25 ans, puisqu’ils se retrouvent souvent en première ligne lors des combats de rue, sacrifiés par leurs supérieurs comme de la chair à canon.

D’ailleurs, pour accentuer leur emprise sur ces enfants et mieux les manipuler, les chefs de gangs n’hésitent pas à leur faire consommer des drogues de toutes sortes. Ces drogues aident également les enfants à mieux affronter la peur lors de combats meurtriers dont ils en sortent rarement indemnes.

Face à cette situation, les Nation-Unies, à travers l’UNICEF, a tiré la sonnette d’alarme en indiquant que si rien n’était fait aujourd’hui, ces enfants allaient être irrécupérables et présenteraient un risque certain pour Haïti, mais aussi pour les pays alentours en cas de migration. Malheureusement, les alertes de l’agence onusienne ne semblent pas trouver un grand écho aux oreilles de la communauté internationale qui continue d’ignorer la crise que traverse Haïti.

D’un côté, les écoles ferment leurs portes à cause des violences, et de l’autre, l’école de la rue s’agrandit et recrute à tour de bras des enfants abandonnés à leur sort par la société, mais surtout par un État défaillant qui n’arrive pas à leur assurer un avenir décent. Le crime et la violence est en train de devenir la norme en Haïti. La culture gangsta gagne du terrain et semble s’imposer comme étant la seule voie à suivre pour s’en sortir. Qu’il est loin le temps où les enfants allaient avec leurs parents à l’église pour chercher un peu de réconfort spirituel. Aujourd’hui, seul un gros calibre bien chargé procure sécurité et réconfort.

Et l’éducation dans tout cela? Il semble clair que l’école a failli dans sa mission de former la génération future, une génération qui semble d’ores et déjà sacrifiée. Les jeunes haïtiens ne voient pas l’intérêt de décrocher un diplôme si c’est pour finir chômeur ou mal payé, alors que le crime semble rapporter beaucoup plus pour pas un moindre effort. Pourquoi s’évertuer à étudier pendant des années sans avoir l’assurance de décrocher un emploi, alors que les gangs promettent aux futures recrues un avenir plus radieux et des rémunérations alléchantes. Le département des ‘’ressources humaines’’ des organisations criminelles applique la même méthode de recrutement que chez les grandes compagnies classiques, à savoir un salaire attractif et la possibilité d’évolution de carrière (si vous ne faites pas tuer avant).

Quand à l’État, il ne semble pas avoir de solution pour endiguer ce nouveau phénomène qui continue à prendre de l’ampleur. À date, il n’y a pas de chiffres officiels pour évaluer le nombre de mineurs qui font partie de gangs. Certains parlent de quelques centaines d’enfants, quand d’autres estiment que leur nombre pourrait dépasser 2000 enfants. Quoi qu’il en soit, si rien n’est fait aujourd’hui pour sortir ces enfants des griffes des criminels, ils deviendront une véritable bombe à retardement pour notre pays. Et si par malheur, la situation en Haïti venait à se dégrader sur le plan politique encore davantage, ces enfants pourraient être utilisés pour accentuer le chaos et servir les desseins machiavéliques de certains manipulateurs (toujours les mêmes) qui cherchent à accentuer leur mainmise sur le pays.
Stéphane Boudin

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