Tous les Haïtiens savent que l’indépendance a été acquise au prix d’énormes sacrifices de nos ancêtres qui se sont battus courageusement pour expulser le colonisateur français ainsi que les esclavagistes hors de nos frontières. Mais ce que beaucoup d’entre nous ignorent, c’est que l’occupant a réussi à faire valoir une dette imaginaire pour ‘’compenser les pertes’’ subies. Si cela peut paraître complètement ahurissant aujourd’hui, à l’époque, c’était chose courante que le colonisateur abuse de sa toute puissante et dicte ses volontés aux peuples considérés comme ‘’primitifs’’. L’homme blanc agissait souvent de manière féroce et ne lâchait pas si facilement son bifteck. Expulsé d’un territoire, il trouvait toujours un moyen pour récupérer ce qu’il considère comme son dû. Aussi, la barbarie du côlon français est largement documentée dans les livres d’histoire et personne n’y trouvera rien à redire. Haïti fait d’ailleurs partie des nations martyres qui ont le plus souffert des cruautés perpétrées durant la colonisation.

Ironiquement, 2 siècles plus tard, les choses n’ont pas tellement changé. Alors qu’auparavant, les occidentaux prétextaient nous apporter la civilisation et la philosophie des lumières pour nous sauver de l’obscurité dans laquelle on vivait selon eux, aujourd’hui, les grandes puissances s’immiscent dans les affaires de pays souverains du tiers monde au nom de la démocratie, de la liberté et des droits de l’homme. En somme, la méthode a changé, mais l’objectif reste le même, celui de soumettre les nations jugées comme faibles pour mieux les piller de leurs ressources.

Mais revenons à notre sujet principal, celui de la dette contractée par Haïti pour ‘dédommager’ l’État français ainsi que les côlons. À titre de comparaison, c’est comme si un voleur entrait chez vous par effraction, volait vos bijoux, et qu’après, il venait vous demander de lui payer des dommages et intérêts. Si ce sujet refait surface aujourd’hui, c’est parce que des journalistes du célèbre journal le New York Times ont mené une enquête pour savoir de quel montant on parle ici exactement, et si cette dette a entravé le développement d’Haïti durant ses deux siècles d’indépendance.

Tout d’abord, parlons chiffres. La France, bien entendu, essaie de minimiser la somme reçue. Tout au plus, elle parle de l’équivalent de 500 millions de dollars aujourd’hui, qui selon elle, ont été largement restitués à travers des aides au développement. En somme, la France nous dit, circulez, il n’y a rien à voir.

Les experts indépendants ont un tout autre avis. D’après eux, le chiffre réel tournerait autour de 20 milliards de dollars… voire beaucoup plus. Une somme énorme qui a en plus été empruntée auprès de banques françaises comme la CIC qui a participé au financement de la tour Eiffel. Pour faire court, le monument le plus célèbre de la France a été en partie payé par le contribuable haïtien. Pendant plus d’un siècle, Haïti devra donc payer à la France une compensation injuste avec des taux d’intérêt faramineux. C’est ce qu’on appellera la double-dette.

Et lorsque Haïti se retrouve au bord de la banqueroute et n’arrive plus à honorer sa dette, la France revient à la charge en menaçant d’intervenir militairement, comme lorsque le roi Charles X envoya une flotte pour mettre à exécution ses menaces. Les Haïtiens, qui ne voulaient plus revivre les horreurs de la guerre, n’eurent d’autre choix que d’accepter. Pour la petite anecdote, en 1904, lorsque Haïti fêtait le centenaire de son indépendance, le Président français de l’époque a refusé d’assister à la cérémonie pour montrer sa colère face au retard de paiement d’Haïti.

Pour notre plus grand malheur, Haïti a hérité à travers son histoire moderne de dirigeants corrompus qui défendaient seulement leurs intérêts, mais aussi de grands groupes bancaires comme Citigroup qui ont mis à sac les caisses de l’État haïtien, récupérant parfois jusqu’à 20% des revenus de notre pays.

Ce pillage à grande échelle, qui a également eu lieu dans d’autres contrées colonisées comme l’Afrique, personne n’en parle vraiment. Pourtant, à cause de cela, des pays comme Haïti n’ont jamais pu véritablement prendre leur envol et se développer. Autrement, comment expliquer que la Banque Nationale d’Haïti ait été dirigée par des actionnaires français, allemands et américains? Lorsque l’influence de la France commença à diminuer, c’est les Américains qui ont pris le relais, avec la suite que l’on connaît.

Il est important que cette partie sombre de notre histoire ne tombe pas dans l’oubli, et que la génération actuelle sache que notre cher et beau pays a été honteusement et injustement spolié pendant des siècles par les puissances étrangères. Aujourd’hui, le gouvernement haïtien ne cesse de demander l’aide de la communauté internationale pour sortir le pays de la crise. Mais ne devrait-il pas plutôt demander de se faire rembourser les milliards qui ont été volés, et dont continuent à profiter les descendants d’anciens propriétaires français? Seul hic, quand bien même on arrive à récupérer cet argent, nos politiciens corrompus risquent de le détourner à leur profit au lieu de le redistribuer à la population. Mais ça, c’est un autre problème.

Stéphane Boudin

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