L’État haïtien est en faillite. Aucune administration, sauf rare exception, ne marche correctement. À la longue liste de ces administrations défaillantes, on peut ajouter notre diplomatie qui brille par son absence sur la scène internationale. En effet, la voix d’ Haïti dans le monde ne pèse pas très lourd, alors que notre riche passé en tant que première nation noire indépendante pouvait faire de nous le porte-drapeau des pays laissés pour compte qui veulent s’émanciper de l’hégémonie des grandes puissances telles que les États-Unis ou l’Europe. Malheureusement, nos dirigeants ont plongé Haïti dans l’abîme et la désolation, le faisant passer d’un pays émergent à un pays mis sous assistance respiratoire.

Nos diplomates passent le plus clair de leur temps dans les fêtes mondaines et les réceptions et ne se préoccupent que peu de faire entendre la voix de notre pays. De sorte que lorsque notre gouvernement demande de l’aide lors des catastrophes naturelles ou humanitaires, son message est vite étouffé par un manque de crédibilité sur la scène internationale cultivé pendant des décennies. Que faire dès lors pour remplacer cette diplomatie muette qui n’est que le reflet d’un gouvernement central fantomatique? C’est là qu’a germé l’idée de profiter de la richesse culturelle d’Haïti, notamment sur le plan musical, pour s’imposer à nouveau sur la scène mondiale. Cette idée n’est pas nouvelle et a déjà fait ses preuves dans d’autres pays.

Le meilleur exemple nous vient de la Corée du Sud. Ce dragon asiatique a voulu faire de la musique un nouveau levier pour soigner son image à l’échelle internationale. On se souvient tous du tube à succès planétaire Gangnam Style dont la danse du cheval a été reprise dans le monde entier, aussi bien par les enfants que par les Présidents de nombreux pays. C’est ainsi que la K-pop est née, vulgarisée par des groupes de musique Pop adulés dans les quatre continents. À tel point qu’on voit aujourd’hui de petits français apprendre le coréen à l’école par amour pour la culture de ce pays.

Pourquoi pas dès lors imaginer des allemands ou des russes apprendre le créole haïtien? Certains pourraient trouver cette idée farfelue ou irréaliste. Mais c’est mal connaître le pouvoir de la culture et de la musique en particulier, surtout avec l’arrivée d’internet qui facilite l’échange et l’interaction à la vitesse de la lumière. Car, sur le plan musical, Haïti a des arguments solides à faire valoir. Le premier d’entre eux est le kompa.

Il n’y a qu’à voir l’engouement du public pour cette musique pour comprendre tout son potentiel qui reste malheureusement inexploité. Lorsque nos groupes se produisent à l’étranger, ils reçoivent toujours un retour positif du public. Malheureusement, nos artistes et les promoteurs de la musique kompa en général ne capitalisent pas sur cet acquis pour aller plus loin. Une fois l’argent du concert empoché, ils rentrent à la maison dépenser les gains, sans penser au lendemain.

Or, la relation entre les artistes et le public, ça se travaille dans le temps. Garder le contact avec ce public, l’entretenir, lui faire découvrir les autres facettes de notre musique, tout cela est nécessaire pour agrandir l’audience et percer de nouveaux marchés. Certains pensent que cela est coûteux, et c’est là qu’ils se trompent, car il ne faut pas considérer cela comme un coût, mais plutôt comme un investissement qui tôt ou tard sera rentabilisé. L’industrie de la musique haïtienne n’a malheureusement pas une vision stratégique de la chose et se borne à des actions limitées sur le court terme. Il faut dire que le ministère de la culture, faute de budget et de vision, n’assume pas son rôle pour faire rayonner la musique haïtienne en dehors de nos frontières. Nos dirigeants n’ont pas compris que la musique pouvait avoir un impact encore plus puissant que la diplomatie, pour peu qu’on sache exploiter ce filon.

Prenons un exemple tout simple. Lors du dernier séisme qui a secoué notre pays, le gouvernement haïtien n’a eu de cesse de demander une aide d’urgence pour assister les populations sinistrées. L’appel du gouvernement est resté lettre morte et n’a eu que peu d’échos.

Imaginez que des groupes comme T-Vice, Zenglen ou Djakout #1 aient la même notoriété que les groupes populaires de la K-Pop à l’échelle internationale. S’ils organisaient des concerts de levée de fonds pour Haïti, ils réussiraient à réunir en une nuit ce que le gouvernement n’arriverait même pas à faire en un mois.

C’est pour dire à quel point la musique haïtienne peut jouer un rôle non seulement dans le rayonnement de notre pays dans le monde, mais aussi pour que sa parole ait plus de poids. Le soft power engendré par la musique peut être source de curiosité envers notre pays, voire de sympathie et d’admiration, des sentiments sur lesquels nous pouvons capitaliser pour développer notre économie. Encore faut-il que nos dirigeants, mais aussi nos artistes, le comprennent. Ce qui n’est pas gagné d’avance!

Stéphane Boudin

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