Le 7 juillet 2021, l’impensable se produisait avec l’attaque de mercenaires étrangers contre le Président Jovenel Moise dans sa résidence privée à Pèlerin. Depuis, si les exécuteurs composés essentiellement d’anciens militaires colombiens ont été tués ou arrêtés dans la grande majorité, la justice haïtienne n’arrive toujours pas à mettre la main sur les principaux instigateurs de ce lâche assassinat. Or, depuis quelques semaines, un nom revient avec insistance pour son éventuelle implication dans l’assassinat de Jovenel Moise, il ne s’agit ni plus ni moins que de l’actuel Premier ministre, Ariel Henry.
Felix Badio, la clé de l’énigme
Personne n’aurait pu imaginer que l’ancien Président haïtien, Jovenel Moise, allait finir son mandat le corps criblé par 12 balles d’armes automatiques. Mais ce qui intrigue le plus les enquêteurs, c’est la passivité des services de sécurité ce jour-là qui n’ont pas bougé le petit doigt pour défendre l’homme censé être le mieux protégé du pays. Il devenait clair dès lors que la garde présidentielle était de mèche avec les instigateurs de ce funeste projet. Assez vite, les regards se sont tournés vers un homme clé : Joseph Felix Badio. Cet ancien responsable anticorruption, actuellement en fuite, fait partie des hommes les plus recherchés du pays.
Problème, il semble également bénéficier de la protection de l’actuel Premier ministre, Ariel Henry, qui l’aurait rencontré au moins 2 fois en personne depuis l’assassinat de Jovenel Moise. Qu’est-ce-qu’Ariel Henry fait avec l’homme le plus recherché du pays? Pourquoi ne le dénonce-t-il pas aux forces de l’ordre qui le cherchent depuis des mois sans succès? Les enquêteurs sont tellement sûrs que les deux hommes sont proches l’un de l’autre qu’ils ont veillé sur la maison du Premier ministre un soir, après qu’un informateur ait indiqué une probable rencontre entre les deux hommes. Une rencontre qui fut finalement annulée, sans doute qu’Ariel Henry avait eu vent de la présence policière autour de sa résidence.
Ce qui est sûr, c’est qu’Ariel Henry agit en coulisse pour éloigner autant que possible Badio de la justice. Ce qui laisse à penser que ce dernier aurait pas mal de choses à raconter, scellant par la même occasion la carrière politique d’Ariel Henry qui connaît actuellement son heure de gloire puisqu’il dirige le pays en tant que Premier ministre, alors que rien ne le prédestinait au départ à ce poste.
Les agissements suspects d’Ariel Henry sèment le doute
Après qu’il ait accédé au poste de Premier ministre, Ariel Henry a continué à agir d’une manière suspecte pour un homme qui se dit innocent. D’un côté, il dit n’avoir aucun lien avec les évènements du 7 juillet, mais de l’autre, ses agissements montrent qu’il a des choses à cacher. Autrement, pourquoi a-t-il mis à la porte le juge qui l’a convoqué pour éclaircir certaines zones d’ombres? La justice n’est-elle pas censée être indépendante de l’exécutif? Pourquoi Ariel Henry fait tout pour entraver l’enquête en cours, allant jusqu’à protéger Badio dans sa fuite? Publiquement, Ariel Henry clame haut et fort à qui veut l’entendre qu’il fera tout pour rendre justice à Moïse, mais dans les faits, il fait tout pour bloquer cette même justice. Une contradiction entre les paroles et les actes qui laisse perplexes les observateurs qui y voient des indices dans l’implication potentielle du Premier ministre dans l’assassinat de l’ancien Chef de l’État.
Du côté des juges chargés de mener l’enquête, les choses sont claires : Ariel Henry n’est pas coopératif et fait tout pour entraver le processus d’investigation. Ainsi, le juge Garry Orélien qui supervisait l’affaire a révélé, en off, qu’Ariel Henry avait un lien d’amitié avec le cerveau de l’assassinat, et qu’il y avait de fortes chances que les deux comparses aient planifié l’attaque ensembles. Or, lorsque Moïse a été tué, Ariel Henry n’avait pas encore été officiellement investi en tant que Premier ministre. Un ‘accident de parcours’ qui sera vite réparé par la communauté internationale qui va s’empresser d’adouber Ariel Henry comme le nouvel homme fort du pays, écartant par la même occasion Claude Joseph qui lorgnait lui aussi le poste de Premier ministre, mais qui a fini par abdiquer pour éviter toute confrontation délétère qui aurait plongé le pays dans le chaos.
Mais alors, comment se fait-il que les pays comme les États-Unis, la France ou la Grande-Bretagne aient soutenu un homme qui n’est pas exempt de reproches? Leurs services de renseignement n’étaient-ils pas au courant de ce qui se tramait? Ainsi, la société de sécurité chargée de recruter les mercenaires colombiens étant basée en Floride, on a du mal à croire que les Américains n’aient pas eu vent du plan machiavélique qui se tramait en coulisses.
Les arguments d’Ariel Henry ne passent pas
Revenons un peu au soir du 7 juillet. On sait que l’attaque a eu lieu vers 1 heure du matin. Or, le premier juge qui a été chargé d’enquêter sur cette affaire, Bed-Ford Claude, a dévoilé l’existence de plusieurs appels téléphoniques avec Joseph Félix Badio deux heures après l’assassinat, soit entre 4h et 4h20 du matin. Pour se défendre, Ariel Henry dit ‘ne pas se souvenir’ de ces appels. Une réponse qui ne semble pas convaincre. Pire, elle renforce la thèse de ceux qui incriminent Ariel Henry pour son éventuelle implication dans l’assassinat. Voyons que la justice n’allait pas lâcher l’affaire et que les indices commençaient à se diriger vers lui, Ariel Henry a changé son fusil d’épaule. Il a ainsi décidé de contre-attaquer en virant à la fois le juge, Bed-Ford Claude, ainsi que son ministre de tutelle, Rockefeller Vincent.
Pour Henry, tout ce cirque est politique. Il se pose ainsi en victime de personnes qui veulent créer le chaos et le désordre dans le pays. Dans une récente interview accordée au journal Miami Herald, le Premier ministre a même franchi un pas en déclarant être prêt à remettre les suspects de l’assassinat aux États-Unis pour qu’ils y soient jugés. Une manière de dire qu’il n’a nullement confiance en la justice de son propre pays. Mais alors, si cette même justice américaine le convoquait pour s’expliquer sur les appels téléphoniques suspects du 7 juillet, répondrait-il favorablement à cette convocation? Rien n’est moins sûr. Pour l’instant, les agents du FBI américains se sont contentés de se rendre en Haïti pour interroger certains suspects, notamment James Solages, un haïtien du comté de Broward (Floride qui est également poursuivi par le tribunal fédéral de Miami.
Ce qui est sûr, c’est qu’Ariel Henry est en train de bafouer une nouvelle fois la justice et la souveraineté de notre pays en voulant remettre les principaux suspects de l’assassinat de notre Président à un pays étranger.
Dessalines Ferdinand, LE FLORIDIEN, 15 février 2022