Il y’a eu Jack Lafontant, Jean-Henry Céant, Jean-Michel Lapin (intérim), et voilà aujourd’hui Fritz-William Michel, nouveau Premier ministre fraîchement nommé par le Président de la République. 3 Premiers ministres en à peine 2 ans et demi, 4 si l’on compte Jean-Michel Lapin qui a échoué à son examen de passage dans les deux chambres, c’est du jamais vu dans l’histoire politique du pays. Les anciens Présidents nous avaient habitués à changer de Premier ministre tous les deux ans en moyenne. Moïse lui a battu tous les records en abaissant la durée de vie du chef de l’exécutif à 6 mois environ. Autant dire que chaque nouvel entrant n’a même pas le temps de chauffer son siège qu’il est déjà éjecté et remplacé par un autre. Cela va tellement vite que même le site officiel de la primature n’arrive pas à suivre le rythme. Les internautes qui consultent aujourd’hui le site primature.gouv.ht verront que c’est encore Jean Henry Céant qui est Premier ministre d’Haïti. À se demander s’il y’a quelqu’un qui gouverne vraiment ce pays.
Vu la situation désastreuse que vit Haïti en ce moment, la dernière chose dont notre nation a besoin est d’avoir à ses commandes un gouvernement fantôme avec aucune visibilité à court terme ni crédibilité populaire. Aussi bien M. Moïse que les deux chambres ont leur part de responsabilité dans cette paralysie qui affecte l’échiquier politique national. Le Président s’accroche coute que coute au pouvoir et n’envisage aucunement sa démission comme une possible solution au problème dont il fait partie. Les deux chambres quant à elles sont là pour montrer qu’elles ont les moyens de tout bloquer, même si ce n’est pas dans l’intérêt général. Car il faut bien comprendre que ceux qui trinquent et souffrent le plus de ce dialogue de sourds, ce sont bien les Haïtiens qui doivent en plus subir les effets pervers de l’inflation qui commence à affecter sérieusement leur pouvoir d’achat déjà famélique.
Alors, qu’attendre du nouveau Premier ministre Fritz-William Michel ? Certainement pas grand-chose ! Pas plus que ses prédécesseurs, M. Michel ne semble en effet avoir ni le bagage technique, ni l’expérience, ni même la latitude pour mener à bien son programme (si programme il y’a !). Depuis de nombreuses années, les observateurs ne cessent de marteler que le pays a besoin de changements de fond et non pas de simples remaniements cosmétiques. Parmi nos politiciens, les uns le comprennent, mais d’autres ne veulent pas comprendre, et d’autres enfin ne peuvent pas comprendre. Les scandales se suivent et se ressemblent dans le pays, et pourtant, cela ne semble nullement affecter nos dirigeants qui n’ont qu’une ambition, celui de perdurer.
Fritz-William Michel, 39 ans à peine, doit être le premier surpris par ce parachutage aussi inattendu qu’inespéré pour lui. Car à l’exception d’une courte expérience à la tête du ministère de la Planification et de la Coopération qui a duré 3 mois, le jeune nouveau Chef de l’Exécutif ne semble pas vraiment familier avec le pouvoir et ses rouages. Issu de l’institut national d’administration, de gestion et des hautes études internationales (INAGHEI) ainsi que de l’Institut des hautes études commerciales et économiques (IHECE), M. Fritz-William, marié et père d’un enfant, a étrenné sa carrière au ministère des Finances où il a commencé comme simple stagiaire.
En analysant à la loupe le pedigree du Premier ministre Fritz-William, on constate assez rapidement que la majeure partie de son parcours professionnel a été effectué en tant que comptable en chef ou directeur administratif et financier, que ça soit à l’inspection générale des impôts, au ministère de l’Agriculture ou encore au ministère de l’Économie et des Finances. Mis à part une courte parenthèse dans le secteur privé, M. Fritz-William a effectué l’essentiel de sa carrière dans le public. Son profil de technocrate peut être utile pour aider à assainir les finances de l’État par exemple, mais de là à gérer toute une équipe gouvernementale et fédérer l’ensemble de la classe politique autour d’un seul projet, c’est une autre paire de manches que le principal intéressé semble pourtant prêt à relever.
En nommant Mr Fritz-William, M. Moïse a une fois de plus choisi la voie de la facilité. Il a voulu installer un homme de consensus qui soit accepté par les deux chambres. C’est un pari qui va dans l’intérêt du Président de la République, mais certainement pas dans celui de la nation. La rue observe quant à elle avec attention tout ce remue-ménage, même si la majorité des Haïtiens ont l’impression qu’on les mène une fois de plus en bateau.
Pour le moment, le nouveau venu à la primature révise ses devoirs avec son cabinet restreint pour ne pas manquer son entrée en la matière. M. Moïse lui a déjà préparé le terrain puisqu’il a au préalable consulté les Présidents des deux chambres avant de le nommer Premier ministre afin d’être sûr qu’il ne sera pas recalé comme M. Lapin avant lui. Mais en Haïti, personne n’est sûr de rien lorsqu’il s’agit de politique. Les vieux briscards du milieu vous diront que vous devez toujours être sur vos gardes, car le coup vient souvent de là où vous vous y attendez le moins.
Dessalines Ferdinand