Depuis quelques semaines déjà, les démocrates ont entamé les primaires pour savoir qui les représentera aux prochaines élections présidentielles américaines prévues le 3 novembre 2020. Les ténors du parti, à leur tête la Nancy Pelosi, sillonnent le pays à la chasse aux voix. C’est dans ce cadre que la présidente de la Chambre des représentants a tenu une rencontre avec la communauté haïtienne de Floride.
Une rencontre pour parler des problèmes en Haïti… mais pas que !
Officiellement, Nancy Pelosi s’est déplacée à Miami pour discuter avec la communauté haïtienne de la situation critique que vit Haïti en ce moment. Mais officieusement, tout le monde a compris que c’est les votes des Haïtiens de Floride qu’elle est venue chercher. Le timing de cette visite ne laisse pas beaucoup de place au doute, puisque cela fait des semaines que la machine électorale démocrate est lancée. Qu’à cela ne tienne, les personnalités publiques haïtiennes de Floride ont répondu présentes à cette invitation. C’était là une occasion pour eux de jauger les dispositions que le parti démocrate compte mettre en place pour aider Haïti à sortir de sa conjoncture critique.
Dans la salle, Mme Pelosi était accompagnée par la représentante de Floride, Mme Frederica Wilson et son indéboulonnable chapeau flamboyant. Autour d’eux, plusieurs intervenants ont pu exposer leurs points de vue sur la situation que traverse leur pays d’origine. Si la plupart souhaitent que les États-Unis et les autres puissances étrangères s’impliquent davantage en venant en aide au peuple haïtien, ils ne veulent en aucun cas que cela se traduise par une ingérence dans les affaires internes d’Haïti. Le temps où les pays occidentaux remplaçaient un dictateur par un autre selon leur bon vouloir est bel et bien révolu. Il est hors de question que des nations étrangères nous dictent ce que nous devons faire ou nous envoient des troupes sur place pour soi-disant sécuriser le pays. N’oublions pas que Haïti a été marqué par une occupation américaine de 1915 à 1934 qui s’est soldée par le massacre de milliers de personnes, même si les livres d’histoire essaient d’étouffer ce sombre épisode de notre passé.
La militante Carline Paul, présente au centre communautaire Père Gérard Jean-Juste où s’est tenue la rencontre, a bien résumé les aspirations des Haïtiens dans leur ensemble, parlant aux deux représentantes de manière directe et sans détour : ‘’le peuple haïtien ne veut pas d’ingérence … ni de soutien au Président Jovenel en tant que Président d’Haïti’’. Elle a profité de l’occasion pour exprimer son inquiétude également par rapport au TPS (Termporary Protected Status) abrogé par Trump et qui mettra des milliers d’Haïtiens sous le coup d’une déportation injuste et inhumaine, surtout lorsqu’on voit la situation que traverse leur pays d’origine actuellement. Il est à souligner par ailleurs que cette réunion était initialement prévue pour parler des préoccupations et attentes de la communauté haïtienne vivant en Floride. L’évolution des derniers événements en Haïti a bouleversé l’ordre du jour de la rencontre puisque la crise en Haïti a occulté les autres sujets.
Nancy Pelosi, troisième personnage d’État après le Président et le vice-président, a tenu à souligner son attachement pour Haïti, un pays qu’elle a visité à plusieurs reprises, notamment après le séisme dévastateur de 2010. Là voilà donc au courant des ressentiments de la population envers le pouvoir haïtien qui est en grande partie responsable du blocage actuel. La balle est dans le camp de Mme Pelosi qui doit faire remonter l’information à Washington afin que les choses puissent enfin bouger dans le bon sens.
Historique des relations entre le Parti démocrate et les Haïtiens de Floride
Entre le parti démocrate et les Américano-Haïtiens, c’est une longue histoire d’amour et de fidélité qui ne date pas d’hier. Les électeurs haïtiens votent en majorité pour les candidats démocrates, avec quelques fluctuations mineures qui ont pu toutefois faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre lorsque le scrutin était serré. On a tous encore en mémoire le combat homérique entre Al Gore et Bush en 2000 qui s’est soldé par la victoire de ce dernier avec à peine quelques centaines de voix de différence. Cela montre que chaque vote compte, surtout dans les États clés comme la Floride qui fait partie des ‘swing States’.
Ce qui est sûr, c’est que la politique menée actuellement par Trump risque de faire basculer le choix des Haïtiens à une écrasante majorité vers le futur candidat démocrate. En cause, une politique jugée agressive envers les minorités ethniques et les immigrés. Contrairement à un Jimmy Carter qui a accordé des milliers de ‘Green Card’ aux nouveaux arrivants haïtiens juste avant son départ, Trump lui prend le chemin inverse, puisqu’il entend refouler tous les Haïtiens qui vivent sous le statut TPS. Celui qui avait promis d’être ‘le plus grand champion’’ des Américains d’origine haïtienne lorsqu’il courtisait leurs voix en 2016 semble avoir retourné sa veste.
Pourtant, il avait suscité un grand espoir chez la communauté haïtienne puisqu’il a été le premier candidat nominé dans l’histoire à lui rendre visite. À l’époque, il avait dit en substance qu’il était venu pour ‘’écouter et apprendre’’. Il a peut-être écouté, mais visiblement, il n’a rien appris. Voyons s’il aura le cran de revenir répéter le même serment cette fois-ci !
Toujours est-il, le corps électoral des Américano-Haïtiens aura son mot à dire lors de la prochaine élection, et plus qu’on ne pense. Le bureau du recensement estime à 400 000 les électeurs d’origine haïtienne vivant en Floride, surtout dans les comtés de Broward, Palm Beach et Miami-Dade. Parmi eux, 106 000 naturalisés sont enregistrés pour voter, sans parler des descendants d’Haïtiens qui sont nés aux États-Unis et qui ne sont donc pas comptabilisés. Si 20% de ces électeurs ont voté pour Trump la dernière fois, ce chiffre risque de fondre comme neige au soleil. L’avenir nous dira si cela sera déterminant lors du décompte final.
Quelles sont les revendications et les attentes de la diaspora haïtienne en Floride ?
Quelle que soit l’appartenance politique du futur Président américain, l’essentiel est qu’il soit à l’écoute de la population et de ses besoins. La diaspora haïtienne fait partie des minorités ethniques les mieux intégrées dans la société américaine. Nos sœurs et frères sont présents dans presque tous les milieux socioprofessionnels où ils font un travail remarquable et vivent le rêve américain au quotidien.
Par ailleurs, les attentes de la diaspora, particulièrement celle vivant en Floride, ne diffèrent pas beaucoup de celles du reste de la population. Les électeurs veulent un marché de l’emploi plus dynamique, une éducation plus performante et accessible, un système de santé qui n’exclut pas les plus pauvres ainsi qu’un meilleur accès au logement… La communauté haïtienne est par ailleurs préoccupée par l’amendement du TPS qui risque de faire basculer des milliers de nos compatriotes dans la clandestinité, avec toutes les répercussions négatives que cela aura sur leurs vies. Certes, l’administration Trump a accordé un sursis supplémentaire de 6 mois qui arrivera à échéance en janvier prochain. Mais faire vivre des familles entières avec cette épée de Damoclès sur la tête est cruel. Gageons qu’à l’approche des élections, Trump fera miroiter un rétablissement de la TPS pour les Haïtiens en échange de sa réélection. C’est là une marque de fabrique du Président actuel qui a pris pour habitude de mêler chantage et séduction lorsqu’il veut arriver à ses fins. Il n’est pas dit que cela fonctionnera cette fois-ci avec nos concitoyens, dont beaucoup sont très en colère et remontés contre l’actuel locataire de la Maison-Blanche.
Pour revenir à la réunion du jeudi 3 octobre avec Mme Pelosi, il est tout de même intéressant de noter que les intervenants haïtiens présents sur place ont mis de côté leurs propres revendications pour se focaliser sur les besoins de leurs frères et sœurs restés au pays. Cela montre l’attachement de la diaspora pour la mère patrie et prouve à ceux qui en doutent encore que le cordon ombilical entre les Haïtiens de Floride et Haïti n’a jamais été, et ne sera jamais rompu. Les dirigeants à Port-au-Prince eux continuent à considérer les Haïtiens de l’étranger comme une simple cash-machine bonne à faire rentrer les devises.
C’est durant les moments difficiles qu’on reconnaît les vrais patriotes. Les Haïtiens de Floride ont montré le lien indéfectible qui les lie à Haïti en continuant à chercher par tous les moyens des solutions pour sortir le pays de son marasme. Quel que soit le nom du prochain président américain, Biden, Warren ou Trump, ce qui est sûr, c’est que le vote de notre communauté ne peut être considéré comme acquis s’il n’y a pas en contrepartie des mesures claires et concrètes qui répondent à ses aspirations.
Dessalines Ferdinand / Le Floridien