Le 5 Octobre dernier, Joe Biden a effectué une visite éclair à Little Haïti pour remobiliser l’électorat d’origine haïtienne. Le moins que l’on puisse dire est que l’ancien Vice-Président des États-Unis n’est pas venu les mains vides puisqu’il a fait une série d’annonces qui devraient réjouir la communauté haïtiano américaine. À un peu plus de deux semaines du clap de fin d’une des élections présidentielles les plus palpitantes de l’histoire moderne des États-Unis, Joe Biden s’engage dans la dernière ligne droite et fait tout pour convaincre les indécis.

Les démocrates essaient de se rattraper auprès de la communauté haïtienne

Sur fond de musique et de danse haïtienne, Joe Biden affichait un sourire des grands jours que l’on pouvait aisément deviner derrière son masque. Il faut dire qu’en visitant Little Haïti le 5 octobre dernier, Biden était en terrain conquis.. ou presque. ‘Presque’, car en politique, tout le monde sait que rien n’est jamais acquis d’avance. C’est la raison pour laquelle l’ancien bras droit d’Obama n’entend pas baisser la garde, quand bien même la majorité des sondages le donnent vainqueur avec 10 points d’avance sur son adversaire au niveau national. La surprenante défaite d’Hillary Clinton il y’a 4 ans hante encore les esprits du côté des démocrates. Il n’est donc pas question de refaire la même erreur cette année. Biden a ainsi tenu à se déplacer en personne à Little Haïti pour dire tout ce qu’il comptait faire pour la communauté haïtienne de Floride s’il était élu comme futur 46ème Président des États-Unis.

Le candidat originaire de Pennsylvanie a donc débarqué, accompagné de son épouse Jill, au centre culturel haïtien de Miami, entouré par un imposant dispositif de sécurité. Il a prononcé un discours d’environ 9 minutes, suffisamment pour étaler son programme, mais surtout pour galvaniser ses troupes. Au public restreint présent sur place, il a tenu à rappeler combien chaque vote comptait. Cette visite tombe à pic, car la communauté haïtienne se plaignait dernièrement d’être négligée par l’équipe de campagne de Biden au détriment notamment d’autres communautés jugées plus influentes comme les Hispaniques. Or, cela aurait été une grosse erreur que de tourner le dos aux haïtiano-Américains qui comptent un réservoir important de voix en Floride (les estimations varient entre 115.000 et 300.00). Une force de frappe conséquente qui peut faire pencher la balance d’un côté comme de l’autre.

Rappelons qu’au lendemain de sa nomination en tant que colistière, Kamala Harris n’avait pas rencontré les représentants de la communauté haïtiano-américaine de Floride lors d’une table ronde avec les dirigeants noirs organisée à la Florida Memorial University. Un ‘oubli’ qui est mal passé auprès de l’électorat haïtien qui n’a pas manqué de le faire savoir. Ainsi, des figures comme Dotie Joseph (députée de Floride), Alix Desulme (vice-maire de North Miami), ou encore Vanessa Jospeh, secrétaire municipale de North Miami, n’ont jamais été invités par l’équipe Biden pour débattre et leur permettre de faire remonter les préoccupations de leurs administrés. Selon Djenane Gourgue, vice-présidente de la Chambre de commerce haïtiano-Américaine à Broward, les démocrates devraient être vigilants, car ils sont en train de refaire la même erreur qu’avec Hillary Clinton. Surtout que l’équipe de Trump l’a bien senti et essaie tant bien que mal d’en profiter.

Biden promet la prolongation de la TPS et l’arrêt des déportations inhumaines

Pour réparer cette énorme erreur de stratégie, Biden a fait le déplacement en personne à Little Haïti, emmenant dans ses bagages un paquet de promesses en cas de victoire le 3 novembre prochain. Parmi les mesures phares annoncées, on citera la prolongation du statut de protection temporaire (TPS) dont bénéficient beaucoup d’Haïtiens établis aux États-Unis (on estime leur nombre à 50.000). Tout l’inverse de Trump qui non seulement cherche à mettre fin au programme TPS, mais aurait qualifié également les pays comme Haïti de «pays de merde». Un langage outrancier qui risque de lui couter cher puisque les Haïtiens ne peuvent pardonner ce genre d’écarts infamants.

Toujours sur le plan de l’immigration, Biden a promis de mettre fin aux expulsions arbitraires des sans-papiers haïtiens qui vivent et travaillent aux États-Unis depuis de nombreuses années. Une politique qui va dans le sens de la régularisation des Dreamers initiée par l’administration Obama et qui a permis de sortir 700 000 de l’illégalité. Là encore, ces mesures vont à contresens de la politique de Trump qui veut au contraire accélérer la politique de déportation par vols charters. Des expulsions qui, souvenons-nous, ont touché de nombreux Haïtiens, et ce malgré la pandémie de Covid-19 et les protestations des associations de défense de droits de l’homme.

Mieux, Biden estime que les bénéficiaires de longue date du programme TPS peuvent même prétendre à la nationalité américaine. Il faut toutefois pour cela réformer la législation de l’immigration afin d’établir de nouveaux critères de sélection. Ce qui est sûr, c’est que les propositions de Biden redonnent de l’espoir à de nombreuses familles haïtiennes qui ont vu leur futur s’assombrir à cause des politiques migratoires impitoyables de Trump. Il est en effet difficile d’accepter qu’on soit déporté du jour au lendemain, après des années à travailler dur, à payer ses taxes et à participer à l’épanouissement économique du pays.

Tous ces assouplissements sur la politique migratoire annoncés par Biden risquent d’être décisifs le jour du vote, sachant que nombreux sont les Haïtiens qui ont des connaissances ou des membres de leur famille qui cherchent à régulariser leur situation. D’ailleurs, ce travail de sape de l’équipe Biden commence à payer puisque les premiers résultats des votes anticipés donnent une plus large mobilisation chez les démocrates qui ont été nombreux à voter.

Biden veut accélérer le retour à la stabilité politique en Haïti

Vous ne pouvez vous adresser à l’électorat haïtiano-américain sans évoquer leur pays d’origine : Haïti. Or, depuis l’arrivée de Jovenel Moise au pouvoir, la situation géopolitique n’a cessé de se détériorer. À tel point qu’Haïti se trouve aujourd’hui au fond du trou, traversant une des pires crises sociopolitiques de son histoire. Tout est à l’arrêt ou presque. Le gouvernement haïtien en est rendu à demander l’aide internationale pour que le pays continue à survivre. La grande majorité de la diaspora haïtienne de Floride tient l’administration Jovenel pour responsable de l’inertie qui persévère en Haïti. Trump aussi n’est pas exempt de tout reproche puisqu’il continue à soutenir mordicus le Chef de l’État haïtien malgré son impopularité croissante.

De l’autre côté, Biden lui ne voit pas les choses de la même manière. En fin stratège de la diplomatie internationale, et contrairement à un Trump qui a toujours du mal à contrôler ses émotions lorsqu’il parle, Biden a pris soin de n’offenser aucun camp politique haïtien. Aussi bien les pro-Jovenel (même s’ils sont de plus en plus minoritaires) que les anti-Jovenel y trouvent finalement leur compte. Biden veut que les États-Unis redeviennent un partenaire régional fiable sur lequel compter en temps de crise. Il a ainsi formulé son désir d’aider Haïti sans ingérence politique (ou tout du moins officiellement). C’est d’ailleurs la doléance qui a été faite par la communauté haïtienne à Mme Pelosi lors de sa récente visite en Floride. Cette dernière avait promis de tout faire pour que la voix des Haïtiens de Floride qui veulent véritablement soutenir leur pays d’origine soit plus entendue à Washington. On peut donc penser que le message est arrivé aux oreilles de Biden, puisque celui-ci entend mobiliser la communauté internationale pour pousser les autorités haïtiennes à organiser des élections libres le plus tôt possible. Il désire également renforcer les contrôles sur les financements pour la reconstruction d’Haïti, afin que l’argent ne soit plus détourné et qu’elle bénéficie directement aux populations touchées par la crise.

On peut dire que l’intervention de Biden en Floride pour expliquer ce qu’il compte faire au profit de la communauté haïtienne vient à point nommé puisque le vote anticipé dans cet État a commencé il y’a quelques jours à peine. Et les premières tendances des votes donnent une réelle mobilisation dans le camp démocrate comparativement à 2016. Cela étant, rien n’est encore joué, d’autant plus que les analystes prédisent un retour à l’équilibre entre les deux candidats à l’approche du 3 novembre. Ce qui est sûr, c’est que la Floride risque d’être une fois de plus l’État qui décidera du nom du futur Président. C’est pourquoi les Haïtiens sont appelés à aller voter pour choisir en leur âme et conscience celui qu’ils estiment être le mieux placé pour défendre leurs intérêts.

LE FLORIDIEN, 15 Octobre 2020

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Contact Us

error: