C’est le cœur plein d’espoir que les Haïtiens ont accueilli la victoire de Joe Biden sur Donald Trump. Il faut dire que le candidat démocrate a enchaîné les promesses séduisantes lorsqu’il a visité Little Haïti à Miami avec son épouse pour essayer de ‘retourner’ l’élection qui commençait à lui échapper. Bien que Biden n’ait au final pas eu besoin de la Floride pour remporter l’élection 2020, la communauté haïtienne a tout de même voté en masse pour lui. En somme, le contrat a été rempli du côté des électeurs d’origine haïtienne qui ont tenu parole. On ne peut pas en dire autant du côté de Biden qui leur a vite tourné le dos une fois installé au Bureau ovale.
Souvenez-vous, Biden critiquait Trump pour sa politique haïtienne, accusant ce dernier d’abandonner Haïti à son sort. Mais depuis qu’il a accédé au pouvoir, Biden n’a pas fait mieux. On pourrait même dire qu’il a fait pire, notamment en matière d’immigration, puisqu’il a continué à utiliser la loi de santé publique, tout comme son prédécesseur, pour expulser manu militari les migrants haïtiens par familles entières. Ironie du sort, les expulsions sous l’ère Biden ont été plus fréquentes, plus inhumaines, plus radicales. La morale de cette histoire, c’est que la politique est froide et cruelle. Elle ne fait pas dans les sentiments. En vieux routard de la politique américaine, Biden connaît les rouages. Il sait comment convaincre pour être élu, quitte à s’agenouiller en plein Little Haïti pour quémander les votes de citoyens qui ne demandaient qu’à le croire.
Sauf qu’il y a un facteur que Biden ne peut contrôler, celui du temps. Les élections de mi-mandat approchent, et il lui sera difficile de sortir les mêmes arguments pour convaincre une nouvelle fois les électeurs d’origine haïtienne. Sans parler des prochaines élections présidentielles de 2024 où il pourrait être à nouveau confronté à son pire ennemi, Donald Trump, sauf si ce dernier est ennuyé entre-temps par la justice qui l’a en ligne de mire depuis l’invasion du Capitol par ses partisans, mais aussi pour la comptabilité douteuse de ses entreprises. Toujours est-il, Biden devrait savoir, en vieux briscard qu’il est, que la politique ne pardonne pas. La politique est une jungle où tous les coups sont permis. D’ailleurs, Aristote ne disait-il pas que l’Homme était naturellement un animal politique?
Si Biden ne tient pas ses promesses, pas la peine de venir à nouveau quémander des voix en 2024, car il risque de se voir refouler de Little Haïti tout comme les migrants ont été refoulés par les gardes-frontières américains postés au sud du Texas. Alors qu’Haïti traverse la pire crise socio-politique de son histoire, il est en effet insupportable de constater que l’administration Biden a déporté pas moins de 17 000 Haïtiens, dont un grand nombre sont des femmes et des enfants qui ont eu pour seul tort de fuir les violences et la précarité dans leur pays d’origine.
Aujourd’hui, lorsque l’administration Biden parle d’Haïti, elle n’avance aucune proposition ni aucun plan concret pour sortir notre pays de l’impasse. Au-delà des formulations diplomatiques crachées à chaque réunion internationale organisée pour parler d’Haïti, le contenu reste vide de sens. Cela montre un manque de volonté flagrant de la part de celui qui se veut être le porte-drapeau des nations en difficulté. De même, les Haïtiens voient d’un mauvais œil le deux poids deux mesures de la diplomatie américaine, qui s’empresse de venir à la rescousse de l’Ukraine pour faire face à la Russie, alors qu’elle ne bouge pas le petit doit pour aider la population haïtienne à faire face aux gangs violents et aux politiciens corrompus et véreux.
Sauf que la nature, par essence, n’aime ni l’injustice ni les déséquilibres. De Lavoisier disait : ‘Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme’. Or, ce qui s’applique pour la chimie peut aussi être transposé à la géopolitique mondiale. Et décidément, les Américains n’ont pas appris de leurs erreurs passées. Ils ont joué avec le diable en soutenant la création d’Al-Qaïda, avant que cette dernière ne se retourne contre eux avec les dégâts que l’on connaît. Ils ont envahi l’Irak pour de fausses raisons, ce qui a engendré le chaos et facilité l’installation de groupes terroristes sanguinaires tels que Daech. Aujourd’hui, ils abandonnent Haïti à son sort, sans se préoccuper des répercussions futures. Or, on commence déjà à entrevoir les conséquences de cette politique d’abandon délibéré. Pas une semaine ne passe sans que l’on apprenne l’arrivée de bateaux de fortune où s’entassent des migrants prêts à tout pour atteindre le sol américain. Bientôt, les gangs qui sévissent en Haïti vont utiliser le même mode de transport pour exporter de la drogue issue d’Amérique du Sud, ce qui fera d’Haïti une plaque tournante pour les cartels. D’ailleurs, ces derniers semblent mieux cerner les enjeux de la géopolitique régionale que le Département d’État.
Si Biden consultait le célèbre trafiquant El Chapo actuellement détenu à New York, ce dernier pourrait lui distiller quelques précieux conseils. Le premier serait de ne pas abandonner Haïti, car cela aura à terme un impact négatif sur Haïti, mais aussi sur les États-Unis. À bon entendeur!
Stéphane Boudin