“La critique est aisée, mais l’art est difficile”. Quand on a été éjecté du pouvoir en Haïti – quelques fois par les urnes, le plus souvent par la force – les langues ont tendance à se délier comme par enchantement. On devient tout d’un coup un éminent érudit de la politique, un détenteur de la vérité, authentique puits de science et du savoir. Ces nouveaux pourfendeurs du gouvernement actuel se transforment soudain en de grands humanistes, se découvrant par la même occasion des talents de dirigeants pleins de sagesse et de compétences. Des qualités que bizarrement, ils n’avaient pas quand ils dirigeaient le pays.

L’amour du pouvoir n’est certes pas une marque propre au politicien haïtien. Mais là où nos anciens gouvernants pêchent en comparaison avec leurs collègues étrangers, c’est que dès qu’ils se retrouvent avec un poste à responsabilité (président, Premier ministre ou ministre), toute leur bonne philosophie de la chose publique s’évapore. Les mots développement, empathie, probité et sérieux ne font tout d’un coup plus partie de leur vocabulaire.

Cela dit, nos anciens responsables politiques méritent tout de même du respect, car ils ne manquent pas de culot ni de courage d’essayer de revenir ainsi au-devant de la scène et de critiquer les choix de leurs adversaires du jour. Non contents d’avoir dilapidé les caisses de l’État et d’avoir pris en otage l’avenir d’Haïti pour assouvir leurs ambitions personnelles, ils osent étaler leur turpitude au grand jour, sans aucune gêne. À les entendre, Haïti leur doit beaucoup !

Dernièrement, la vidéo d’un forum public a circulé. On y voit notamment l’ancien Premier ministre provisoire, Enex Jean-Charles, en tant qu’invité spécial, faire des révélations fracassantes sur le mode de fonctionnement du système politique en Haïti et les manigances qui s’y trament.

Se basant sur ses expériences vécues durant son règne à la tête de la Primature, l’ancien PM a déclaré que le pays ne va nulle part si les Haïtiens – tous secteurs inclus –  n’arrivent pas à s’unir pour appréhender de manière plus sérieuse les problèmes structurels et profonds auxquels fait face la mère patrie.

M Jean-Charles, sans langue de bois, a laissé entendre – sans toutefois rentrer dans les détails – qu’on lui avait offert le poste de président en remplacement de son collaborateur-président d’alors, JocelermePrivert. Proposition qu’il avait dû refuser afin de rester fidèle à son devoir de citoyen. Car, dit-il, en tant que Premier ministre d’un gouvernement provisoire, son travail consistait à organiser des élections libres et honnêtes. L’ex-Premier a d’ailleurs tenu à confirmer haut et fort : c’est l’actuel Président Jovenel Moise qui est le gagnant des élections présidentielles de novembre 2016 et cette conclusion ne souffre d’aucune contestation. Et de souligner que le gouvernement provisoire avait tout fait pour ne pas influencer les résultats de ces élections.

Jean Charles a aussi révélé qu’en tant que Premier ministre, il recevait des pressions de toutes sortes pouvant aller jusqu’à des menaces de mort. Cela ne l’a pas empêché de refuser d’emprunter la direction souhaitée par certains réseaux mafieux (de l’intérieur comme de l’extérieur). Il a tenu à indiquer que c’est ce genre de pressions qui font obstacle au développement d’Haïti et continuent de tirer le pays vers le bas.

  1. Jean Charles a aussi révélé – ce que bon nombre de citoyens savaient déjà – qu’il existe un petit groupe de personnes qui refuse qu’Haïti aille sur la voie du progrès et du développement, car la cacophonie et le désordre qui y règnent leur permet de continuer dans leurs petites magouilles sans être inquiétés. Ils sont ainsi prêts à tout pour bloquer les démarches libérales du président et de son Premier ministre, puisque ces derniers ne semblent pas vouloir marcher dans leur logique : à savoir s’enrichir au maximum au détriment de la masse.
  2. Jean Charles a aussi, de ses propres vœux, souhaité la fin de la politique de mesquinerie en Haïti. Pour lui, il n’est pas question d’offrir des postes-clés à des proches des parlementaires comme conditions sine qua non pour garantir l’approbation des projets de loi au parlement.
  3. Jean Charles n’est pas le premier à raconter de tels détails. L’ancien Président Michel Martelly avait lui aussi rapporté en de nombreuses occasions les dysfonctionnements qui gangrènent notre vie politique. Il avait d’ailleurs eu le mérite de dévoiler au grand jour la main basse de quelques familles oligarques sur les richesses du pays. Mais la proximité entre certains parlementaires et la bourgeoisie qui détient le monopole de l’économie étant ce qu’elle est, l’exécutif se retrouve bien souvent avec les mains liées. Il doit en effet effectuer des «deals politiques» et faire quelquefois un pacte avec le diable s’il veut espérer voir certains de ses programmes se concrétiser. Il en va de même pour chaque projet de loi qu’il souhaite abroger, entériner ou amender au niveau des deux chambres, puisqu’un jeu d’équilibrisme est souvent nécessaire pour ne fâcher aucune partie.

Tout cela nous pousse à nous poser certaines questions : quand est-ce que le pays aura enfin des hommes de caractère à sa tête, des personnages qui seront capables d’agir en toute responsabilité, même au péril de leur vie ? Tous les anciens présidents et anciens Premier-Ministre ont toujours des histoires inutiles à raconter une fois qu’ils ne sont plus au pouvoir pour cacher leur incompétence, ou du moins leur manque de courage et de volonté. Combien d’entre eux ont démissionné pour dénoncer le chaos qui domine les plus hautes sphères du pouvoir ? Combien ont décidé de crever l’abcès durant leur mandat, quitte à se faire chasser par la mafia qui dirige le pays en sous-main ? Au moins, la nation aurait retenu d’eux qu’ils ont eu le courage d’aller jusqu’au bout de leur lutte et de leurs convictions, ou tout du moins qu’ils ont eu le mérite de dévoiler cet état de fait qui mine et empoisonne Haïti de l’intérieur.

Jean Bertrand Aristide, René Préval, Gérard Latortue, Michel Martelly, Laurent Lamothe, Evans Paul nous ont tous racontés des histoires une fois redevenus simples citoyens, comme pour mieux cacher leurs carences et leur manque de courage quand ils étaient en poste. À croire que ce jeu de repentance post-mandat est en train de se transformer en une tradition politique dans le pays. Tous ces dirigeants avaient pour ainsi dire l’occasion d’aider Haïti de sortir de sa détresse. Mais au lieu de cela, ils l’ont tout au mieux maintenue dans sa torpeur.

Et c’est ces mêmes anciens responsables qui reviennent aujourd’hui sur le devant de la scène pour nous donner quelques leçons de morale, espérant ainsi nous amadouer pour mieux nous achever une deuxième fois. Certains sont devenus experts en la matière. Feu le président René Préval et le président Aristide ont tous les deux eu l’occasion de diriger Haïti à deux reprises. Et pourtant, on n’a pas l’impression qu’ils ont laissé le pays mieux qu’ils ne l’ont trouvé. À croire que nos dirigeants sont devenus des experts en momification. Rien ne doit bouger, rien ne doit changer, rien ne doit évoluer. Ce statu quo sournois fait les affaires d’une minorité au détriment de la grande majorité.

Ceux qui pensent que cette époque est révolue ne doivent pas crier victoire trop vite, car aux dernières nouvelles, l’ancien président Michel Martelly et son acolyte Laurent Lamothe seraient déjà en train de préparer le terrain pour un éventuel retour. Selon plusieurs sources concordantes, ils remueraient ciel et terre pour s’afficher au-devant de la scène en espérant pouvoir succéder à l’actuel président Jovenel Moïse !

Jugez-moi par mes actes et non par mes paroles. Tel devrait être le crédo d’un politicien qui aime son peuple, le respecte et le sert. Or chez nous malheureusement, “bien dire et faire sont deux”. Les dirigeants qui ont eu des postes de premier plan et n’ont rien fait pour leur pays sont légion. En attendant des jours meilleurs, il nous revient à nous, peuple d’Haïti, de redoubler de vigilance et de ne pas nous laisser séduire par de beaux discours qui n’engagent que ceux qui les … écoutent.

 

LE FLORIDIEN, 28 AVRIL 2018

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