Ariel Henry est conscient qu’il est un homme extrêmement chanceux. Il y a un an, il n’aurait jamais imaginé se retrouver à la tête de son pays. Maintenant qu’il y est, et selon la tradition bien établie par ses prédécesseurs, il va essayer de s’accrocher au pouvoir jusqu’à ce qu’on l’expulse de force. Pour cela, le Premier ministre entend faire profil bas et s’occuper des affaires courantes. En d’autres termes, il va tout faire pour faire perdurer le statuquo. Les gangs pourront ainsi continuer à gérer tranquillement leurs territoires, et les haïtiens essayer de survivre comme ils peuvent en ces temps de crise, une crise partie pour s’éterniser.

Sur le plan politique, là encore, tous les signes montrent qu’Ariel Henry joue la montre. Pourquoi ne le ferait-il pas puisqu’il est devenu le maître des horloges. Officiellement, le discours est bien rodé. Son gouvernement met tout en œuvre pour organiser des élections législatives et présidentielles au plus tôt. Mais dans les coulisses, tout le monde sait que l’organisation d’élections libres et transparentes n’est pas à l’ordre du jour. En effet, avec la violence qui sévit dans notre pays et des groupes criminels qui ont plus de pouvoir que le gouvernement central, comment peut-il en être autrement.

Ariel Henry s’accommode lui très bien de cette situation, tant qu’on le laisse tranquille et qu’on ne lui cherche pas des ennuis. Ainsi, ceux qui ont voulu s’attaquer à lui par le biais de son lien présumé avec les assassins du Président Jovenel Moïse en ont pris pour leur grade. Pour avoir ‘osé’ mettre en doute l’innocente du Premier ministre, un juge et son ministre de tutelle ont été relevés de leurs fonctions. Une pratique d’un autre temps qui prouve une fois de plus que le problème haïtien ne vient pas de la constitution comme certains voudraient nous faire croire, mais plutôt de la mentalité archaïque, pour ne pas dire médiévale, de ceux qui dirigent le pays.

Pour revenir à Ariel Henry, son mandat semble donc parti pour durer en profitant du chaos régnant sur le plan national, mais aussi international. En effet, le conflit ukrainien a été reçu par Henry comme du pain béni. Biden et son administration étant occupés par le cas Poutine, ils ont remis la crise haïtienne dans le tiroir des archives. Pour le moment, le statuquo semble être la meilleure option pour les Américains aussi.

Alors qu’il y a quelques mois, les élus du Congrès appelaient Biden à cesser de soutenir Ariel Henry, aujourd’hui, toute l’attention semble portée sur l’Europe et la nouvelle guerre qui s’y déroule. Cela laisse le champ libre à Ariel Henry pour étendre un peu plus sa toile d’araignée et placer les hommes de confiance dans les postes clés sans que cela n’offusque personne. Après avoir réussi à passer entre les gouttes, Ariel Henry prépare sereinement son avenir politique et espère bien consolider son pouvoir durant ces temps d’incertitude.

Allons-nous encore une fois nous retrouver avec un dirigeant sans légitimité pour nous gouverner durant de longues années? Sauf imprévu, la réponse semble être, oui! Pour cela, le Premier ministre va prendre à son compte les vieilles recettes, à savoir faire des promesses à tout-va pour calmer le peuple et gagner du temps. Ainsi, lorsqu’il s’agit de combattre l’insécurité, Ariel Henry est avide de superlatifs ‘’nous allons pourchasser les criminels où qu’ils soient’’, ‘’les gangs n’ont qu’à bien se tenir’’… Mais dans les faits, Ariel Henry n’est même pas capable de se déplacer librement sur le territoire national tant la mainmise des mafias sur certains quartiers est criante.

Qu’à cela ne tienne, notre Premier ministre pourra toujours voyager à l’étranger aux frais du contribuable pour faire un peu de tourisme. Quant au peuple haïtien, il ne semble plus se faire d’illusions. Ce n’est pas demain qu’il pourra élire un nouveau Président, et encore moins renouveler le parlement qui reste désespérément vide depuis que l’ancien Chef de l’État l’a fermé pour non-fonctionnalité. Pour gouverner, Ariel Henry pourrait toujours avoir recours aux décrets. Mais l’actuel Premier ministre sait, par expérience, qu’il ne pourra en abuser sous peine d’être taxé de dictateur. Henry ne compte pas reproduire les mêmes erreurs que son prédécesseur. Il fait beaucoup d’effort pour lisser son image à l’étranger afin de se présenter comme le seul interlocuteur viable avec qui il faut traiter. Et pour l’instant, cette politique de caméléon semble bien lui réussir.

Âgé de 72 ans, Henry a encore quelques années pour profiter du pouvoir et de ses fastes. Car après tout, c’est bien de cela qu’il s’agit. On sait tous que dans notre pays, celui qui a goûté au plaisir du pouvoir ne peut plus s’en passer. Ariel Henry ne fait pas exception à cette règle qui est la seule que nos politiciens suivent à la lettre.

Stéphane Boudin

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