Le “maréchal” Mobutu Sese Seko était un dictateur africain qui régna sans partage sur le Zaïre pendant 31 ans (actuelle République démocratique du Congo). En plus du népotisme, son pays était surtout connu pour être l’un des plus corrompus au monde. On estimait même à une certaine époque que la fortune personnelle du tyran dépassait la dette extérieure de son pays. Les grandes puissances occidentales fermaient les yeux face à de telles ignominies pour ne pas perdre un allié stratégique en pleine guerre froide, d’autant plus que le sous-sol du pays regorge d’immenses richesses minières. Le système de détournements au sein du régime était bien rodé et tout le monde se servait au passage. Ainsi, lorsque Mobutu voulait partir en voyage par exemple, s’il demandait 1 million de dollars à son proche collaborateur, ce dernier transmettait le message en demandant 2 millions au chef du gouvernement, qui en demandait 3 au ministre des Finances, qui en demandait 4 au directeur de la Banque Centrale, qui lui-même en sortait 5 du coffre-fort. Presque 20 ans après la fin du Mobutisme, le pays n’a toujours pas pu se relever de cette mise à sac à grande échelle. Aujourd’hui encore, la République démocratique du Congo est plongée dans une guerre civile sans fin et la population continue à payer le prix fort de plusieurs décennies de pillage sans scrupule. Or, le rapprochement avec Haïti est saisissant, puisque le total des sommes dilapidées dans l’affaire PetroCaribe (3.8 milliards de dollars) représente presque le double de la dette externe du pays (2.1 milliards de dollars). Et si on n’agit pas vite pour récupérer tout cet argent, ce sont nos pauvres enfants qui devront payer l’ardoise pendant plusieurs décennies.
En parallèle, il est indispensable de nettoyer le pays de tous les corrompus en commençant par le haut de l’échelle (Présidents, ministres, directeurs). Cela permettra de donner l’exemple et de montrer que nul n’est au-dessus de la loi. Et dans ce domaine, l’expérience de Singapour pourrait être très utile à Haïti. Durant les années 60, cette cité-État insulaire était au même niveau que le Zaïre et était considérée comme un pays pauvre. Aujourd’hui, c’est un des pays les plus riches au monde, en grande partie grâce à un assainissement par en haut qui a débarrassé cette nation prospère de la majorité des parasites corrompus. Pour la petite histoire, un jour, un ministre singapourien a été invité à passer ses vacances dans un pays étranger. Juste des “vacances”, sans dessous de table. Et pourtant, à son retour, le ministre a été mis aux arrêts, jugé et emprisonné. Depuis, plus aucun haut responsable n’accepte de “cadeau” afin d’éviter tout conflit d’intérêt ou pression extérieure. Le pouvoir a lancé à travers le cas de ce ministre un signal fort au reste de la population. La morale de cette histoire, c’est que lorsqu’il s’agit de probité, l’exemple doit venir d’en haut.
En Haïti, la lutte contre la corruption doit plus que jamais être placée au sommet des priorités, et ce afin que les richesses soient mieux réparties et pour que les populations profitent d’un développement plus juste et équitable. La corruption a toujours eu un très mauvais impact sur les pauvres et les plus vulnérables, car elle augmente les coûts de la vie et réduit l’accès à certains services comme la santé, l’éducation ou la justice. Plusieurs études ont ainsi montré que ce sont les personnes dans le besoin qui sont obligées de verser un pourcentage élevé de leur revenu en pots-de-vin, ce qui ne fait qu’accentuer les inégalités et exacerber le sentiment d’injustice.
Il est urgent de mettre en œuvre un mécanisme efficace et indépendant de lutte contre la corruption en Haïti avant qu’il ne soit trop tard. Les pouvoirs publics disposent aujourd’hui de plusieurs leviers qu’ils peuvent utiliser pour atteindre ce but. En premier lieu, il est indispensable de réhabiliter la crédibilité de la justice qui doit toujours rester impartiale, quitte à augmenter la rémunération des magistrats pour qu’ils puissent exercer leurs tâches dans de bonnes conditions. Les sanctions contre les dirigeants corrompus doivent être exemplaires et les lois contre les pots-de-vin et le blanchiment d’argent appliquées avec vigueur pour dissuader toute récidive. La population aussi doit être sensibilisée dès le plus jeune âge, à l’école, pour qu’elle ne cède pas au chantage et puisse mieux défendre ses droits tout en prenant conscience de ses obligations. Sur le plan administratif, réduire le nombre de formalités et d’intermédiaires ne peut qu’être bénéfique. Aujourd’hui, les nouvelles technologies offrent un grand choix de possibilités qui permettent d’atteindre aisément cet objectif à moindre coût.
Le boulet de la corruption que traine Haïti depuis l’ère Duvalier a toujours empêché son économie de décoller sur des bases saines. Dans le classement de l’indice de perception de la corruption par pays élaboré par l’organisation Transparency International, Haïti se retrouve constamment en bas du tableau. Et cela impacte négativement la création d’emplois puisque les investisseurs étrangers ne viendront jamais placer leurs capitaux dans un pays qui n’offre pas de solides garanties. Justice, police, santé, éducation, la corruption est malheureusement généralisée et touche tous les secteurs. Le dernier rapport sur le scandale PetroCaribe incrimine 4 présidents et 6 gouvernements. Autant dire qu’on a encore beaucoup de pain sur la planche pour laver tout ce linge sale en famille.
D. Ferdinand / LE FLORIDIEN