Depuis la fin de la dictature, notre pays vit dans une sorte d’instabilité permanente. Il faut dire que la dynastie des Duvaliers a durablement détruit notre pays, pas seulement sur le plan économique, mais aussi politique et social. Alors que les Haïtiens formaient un peuple uni et solidaire face à l’adversité, devenant même le premier pays noir indépendant du Nouveau Monde après l’expulsion du colonisateur français, nous voilà, en 2022, de retour au point de départ. Il n’est pas trop tard pour reconstruire notre pays, mais il faut faire vite, car plus on attend, plus il sera difficile de réparer l’irréparable.
Mettre fin à l’ingérence étrangère et à la mainmise des élites
Tous les Haïtiens sont unanimes pour dire que notre pays a besoin de changements. Pas que des changements cosmétiques, mais de vrais changements, ceux qui modifient le fonctionnement des institutions en profondeur. Et cela passe forcément par l’instauration d’une vraie démocratie qui respecte les choix du peuple à travers des élections libres et transparentes. Aussi, il est également important que les élus qui se présentent soient irréprochables et compétents pour défendre les intérêts du pays, et pas leurs propres intérêts comme c’est le cas actuellement.
Sauf que beaucoup refusent à Haïti le droit de bâtir une démocratie solide et pérenne. Et cela ne date pas d’aujourd’hui. À une certaine époque, alors que notre pays venait d’accéder à l’indépendance, nos voisins américains ont eu du mal à reconnaître le droit aux Haïtiens de disposer d’eux-mêmes, craignant une contagion de leurs revendications de liberté et d’émancipation. Résultat, les grandes puissances ont tout fait pour encourager l’émergence d’une élite haïtienne pour venir mater les aspirations de développement du peuple. Certains diront que c’est là où est né le fameux ‘système’ tant décrié, notamment par feu le Président Jovenel Moïse.
Chaque fois qu’Haïti essaie de se relever, il y a toujours une pression étrangère pour venir tuer la révolte dans l’œuf. On se souvient tous comment Aristide a été délogé lorsqu’il a essayé de relever le salaire minimum des travailleurs, mettant ainsi en péril les bénéfices de grands groupes qui avaient à disposition une main-d’œuvre pas chère et corvéable à merci. Les petits Américains pouvaient continuer à s’habiller en vêtements pas chers venus tout droit des ateliers clandestins qui font travailler des milliers de personnes dans des conditions s’apparentant à de l’esclavage moderne.
Et que dire de la fuite de Duvalier dans un avion de l’armée américaine, et qui fut accueilli comme il se doit en France, avec des millions de dollars volés au peuple et placés dans un compte en Suisse. N’est-ce pas là une preuve claire et nette du soutien des grandes puissances envers les corrompus qui nous gouvernent? En effet, du moment que les Duvaliers ou tout autre dirigeant défend les intérêts des puissances étrangères, alors celles-ci vont tout faire pour le garder en place, notamment en l’aidant à mâter le peuple pour qu’il ne revendique pas ses droits.
En somme, on serait tentés de dire que les Haïtiens sont soumis à une colonisation déguisée dans la mesure où ils n’ont pas le dernier mot pour décider de leur avenir et prendre leur destin en main.
La constitution doit être changée, mais surtout respectée
L’autre problème majeur qui empêche notre pays de retrouver une relative stabilité politique, c’est l’inadéquation de sa constitution avec la réalité et la culture locale. L’ensemble des textes qui définissent les institutions de notre État ont été pour la plupart importés. Cette solution clé en main s’inspirant du modèle français et américain est malvenue et ne saurait être calquée à Haïti. Depuis quand on fait du copier-coller des textes fondamentaux d’une nation?
Jovenel Moïse avait bien compris que la constitution haïtienne adoptée en 1987 et amendée en 2011 sous l’ère Martelly n’était pas adaptée aux besoins de notre pays. Moïse avait d’ailleurs assez maladroitement entrepris ce lourd chantier qu’est l’adoption d’une nouvelle constitution, essayant de faire passer son nouveau texte par la force, sans concertation ni débat avec la société civile ou l’opposition. Or, comme on dit, mieux vaut un mauvais accord qu’un bon procès. Un texte aussi important que la constitution doit rassembler et non diviser. Si avant même son adoption, la constitution proposée par Moïse a fait couler beaucoup d’encre, cela voulait dire que les Haïtiens n’étaient pas prêts pour son adoption, quand bien même elle serait meilleure que l’ancienne.
Il faut dire que Moïse a voulu faire passer une constitution ambitieuse à un moment où le peuple haïtien avait perdu toute confiance en sa classe dirigeante. Or sans confiance, difficile d’aller de l’avant, et encore moins de gouverner. Il aurait donc fallu au préalable rétablir la confiance avec l’ensemble des Haïtiens avant de leur proposer une nouvelle constitution, surtout que celle-ci donne plus de pouvoir au Président de la République. Or, vous ne pouvez être juge et partie et inciter les gens à voter pour des textes qui sont en votre faveur. Il y avait là un conflit d’intérêts flagrant qui n’a fait qu’accentuer la méfiance et la défiance des Haïtiens envers les changements proposés par Moïse. D’ailleurs, on connaît la suite. Non seulement la nouvelle constitution n’a jamais vu le jour, mais en plus de cela, son principal défenseur a été exécuté par ces forces obscures qui contrôlent le pays.
Une gouvernance inclusive qui ne laisse personne sur le bord de la route
Il fut un temps où Haïti était la colonie la plus prospère des Caraïbes. Aujourd’hui, notre pays est le plus pauvre de l’hémisphère occidental avec une pauvreté endémique et un revenu par habitant particulièrement bas. Les causes derrière cela sont nombreuses et se sont amoncelées au cours des années : interventions étrangères, poids de la dette, instabilité politique, mais aussi succession de catastrophes naturelles particulièrement destructrices, à l’image du séisme de 2010 qui fut un des plus meurtriers dans l’histoire de l’humanité.
Aujourd’hui, plus que jamais, l’avenir du pays est entre nos mains. Notre meilleur capital, c’est cette jeunesse qui ne demande qu’à éclore et à s’épanouir. Les Haïtiens de tous bords, de toutes les classes sociales, qu’ils vivent en Haïti ou à l’étranger, sont invités à unir leurs forces et mettre leurs rivalités de côté pour reconstruire le pays sur de nouvelles bases. D’autres pays dans le monde ont montré que cela était possible. C’est notamment le cas de la Côte-d’Ivoire par exemple qui, suite à une guerre meurtrière, a su renaître de ses cendres tel un phénix. Ou encore l’Angola, qui aidé par la manne pétrolière, a pu devenir en quelques années un véritable dragon économique.
Les Américains ont aussi leur rôle à jouer dans la reconstruction d’Haïti, ne serait-ce que pour réparer les erreurs commises par le passé. Les États-Unis ont une dette envers Haïti, non pas monétaire, mais historique. Aussi, l’administration Biden doit comprendre qu’il est dans son intérêt d’avoir un voisin prospère et stable. Comme dit l’ancien proverbe : ‘Bien en sa maison qui de ses voisins est aimé’.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 15 décembre 2022