Si la violente protestation d’une faction de la PNH le 23 février dernier a autant surpris les observateurs, c’est surtout parce qu’il s’agit d’un des organes sur lequel le pouvoir exécutif s’appuie depuis le début de la crise pour maintenir un semblant de stabilité dans le pays. Plus que jamais, la barque du Président de la République prend de l’eau de toutes parts ces derniers mois. Maintenant que le parlement a été mis au congélateur et que le gouvernement provisoire gère tant bien que mal les affaires courantes, la responsabilité de Jovenel devient pleine et entière. Plus que jamais, il est exposé aux critiques puisqu’il est devenu le seul maître à bord.
Si Jovenel pensait avoir les coudées franches en se débarrassant de ses principaux opposants, il en oubliait presque que les attaques sur sa personne deviendraient plus virulentes. Dorénavant, le Président ne dispose plus de fusible qu’il pourrait sacrifier lorsque la population réclame sa tête. Une stratégie dont il a usé et abusé durant ses 3 années passées au sommet de l’État. Certains observateurs estiment même que cela tient du miracle que Jovenel ait réussi à se maintenir au pouvoir après tant de remous. Cela nous pousse à nous pencher sur les soutiens dont il dispose encore et sur lesquels il entend s’appuyer pour mener son mandat à terme.
On l’aurait compris, l’objectif ultime de Jovenel n’est pas de sortir Haïti de la crise. Son but avant tout est de rester au pouvoir jusqu’aux prochaines élections présidentielles. Par amour-propre, entêtement ou égoïsme, Jovenel ne veut sans doute pas entrer dans la liste des Présidents jetés à la porte par la population. Le natif de Trou-du-Nord a jonglé avec tous les subterfuges possibles et imaginables pour demeurer au sommet de l’État contre vents et marées. Mais cela n’aurait été réalisable sans l’appui de puissants alliés, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Sur le plan intérieur tout d’abord, le Président bénéficie du support du patronat haïtien qui voit en lui le meilleur défenseur de leurs intérêts, puisqu’il est lui-même issu du milieu des affaires et sait mieux que quiconque comment redonner le sourire à ses amis businessmans. Les puissants impliqués dans l’affaire Petro-Caribe sont eux aussi solidaires avec Jovenel, puisqu’ils savent que tant que leur protégé restera au pouvoir, les risques pour qu’ils soient jugés un jour sont minimes. Enfin, la PNH ainsi que les forces armées constituent la colonne vertébrale de la défense du Président sur le terrain, puisque c’est eux qui empêchent les opposants de s’adjuger le pouvoir en profitant du capharnaüm général. C’est la raison pour laquelle les protestations d’une partie du corps de police le 23 février dernier ont inquiété Jovenel à plus d’un titre. Voyant le mur de sécurité autour de lui se fissurer, et craignant une contagion rapide sur l’ensemble de la PNH, le Président a fait appel aux militaires tout en promettant monts et merveilles aux forces de l’ordre pour calmer leur mécontentement et regagner leur faveur.
Sur le plan extérieur, Jovenel peut pour l’instant compter sur l’appui de la communauté internationale. Les capitales occidentales continuent de soutenir Jovenel en mettant en avant le sacro-saint principe de la démocratie. Un Président élu par les urnes ne peut être éjecté que par les urnes. Depuis le début de la crise, le département d’État à Washington a toujours eu un discours neutre, invitant les différentes parties à dialoguer et à user de tous les moyens pacifiques pour sortir de cette situation conflictuelle. Il faut dire que l’administration américaine, alliée historique d’Haïti, se trouve dans une position délicate. Si elle poussait Jovenel vers la sortie, cela serait considéré comme de l’interventionnisme d’un autre âge et nous ramènerait à l’époque de la guerre froide où les États-Unis géraient l’Amérique Latine comme leur arrière-cour. D’un autre côté, ignorer la crise humanitaire et socio-politique que traverse Haïti serait tout aussi condamnable, en plus de mettre la Floride sous une possible pression migratoire, semblable à celle que connaît l’Europe face à l’afflux de réfugiés syriens.
En ce qui concerne les opposants au Président Jovenel, ils sont beaucoup plus nombreux. Si un sondage devait être mené, il ne serait pas exagéré de dire que plus 90% de la population est hostile à sa présidence. Depuis le célèbre tweet de Mirambeau qui a donné le coup d’envoi au mouvement PetroCaribe jusqu’aux manifestations récentes des policiers, le nombre d’anti-Jovenel n’a cessé de croitre, touchant presque tous les corps de métiers : artistes, médecins, commerçants, journalistes… Aujourd’hui, le pouvoir de Jovenel ne tient qu’à un mince fil qui peut rompre à n’importe quel moment. Entre temps, le principal intéressé planche déjà sur une modification de la constitution qui risque de faire couler beaucoup d’encre, puisque beaucoup le soupçonnent de vouloir noyer le pouvoir parlementaire. Ce qui est sûr, c’est qu’avec un tel Président, on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise surprise.
Stéphane Boudin