La corruption fait des ravages en Haïti depuis des décennies. C’est à cause de la corruption que notre pays traine les pieds et n’arrive toujours pas à trouver un semblant de normalité. La corruption a atteint un tel niveau en Haïti que c’est même devenu ‘normal’, presque culturel. Soudoyer les agents de l’État est entré dans les mœurs et les habitudes des citoyens. Or, lorsqu’on parle de corruption, on accuse toujours ceux qui reçoivent l’argent, mais on oublie souvent ceux qui en donnent et qui sont tout aussi complices.
Donner un bakchich, un sport national
8h du matin à Port-au-Prince. Une file d’attente se forme devant l’agence étatique ‘Direction Immigration et Émigration’ qui délivre les documents officiels, notamment les passeports. En effet, depuis que Biden a assoupli sa politique migratoire en faveur des Haïtiens en leur accordant un quota annuel de 30.000 entrées, les citoyens se ruent vers les administrations pour faire (ou refaire) leur passeport, document indispensable pour entamer les démarches auprès des autorités américaines.
Alors que les gens attendent pendant des heures sous un soleil de plomb, un homme bien vêtu passe devant tout le monde avec un large sourire aux lèvres. Un vigile lui ouvre une porte dérobée pourtant réservée aux employés du bureau. Ce traitement VIP a une origine, le bakchich. Un passe-droit qui fait des ravages dans notre pays. Une pratique que tout le monde critique… et utilise. Et c’est justement cette double-hypocrisie qui fait que la corruption empire d’année en année : ‘faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais’.
Ainsi, alors que le passeport coûte normalement 8.000 gourdes, soit 54 $US, les Haïtiens le paient en réalité beaucoup plus cher. Et maintenant que la demande a explosé, les prix des bakchichs se sont eux aussi envolés. Plus vous êtes pressé, et plus vous allez devoir mettre la main à la poche pour obtenir votre document de voyage, sésame incontournable pour toute personne désireuse d’immigrer légalement aux États-Unis ou ailleurs. Si notre homme VIP de tout à l’heure a pu griller la file d’attente sans que personne ne s’en offusque, c’est aussi parceque la grande majorité de ce beau monde a prévu secrètement de faire la même chose. En scannant de plus près les gens qui font la queue, on s’aperçoit assez rapidement que presque tous ont également eu le réflexe de cacher un petit billet qu’ils s’empresseront de dégainer une fois arrivés devant l’agent qui s’occupe du renouvellement des passeports. Chacun à sa petite technique : donner directement en écrasant le billet dans la paume de la main du fonctionnaire, mettre l’argent à l’intérieur d’un document (de préférence à la première page pour que Mr l’agent n’ait pas à chercher trop longtemps), utiliser un coursier (agent de sécurité, secrétaire..) qui joue le rôle d’intermédiaire pour faire arriver le bakchich en toute sécurité à la bonne personne (moyennant une petite commission bien sûr), etc. Tout le monde s’entraîne aux bonnes pratiques pour être le plu fort!
Plus qu’un sport national, donner des pots-de-vin est devenu un art en Haïti. Le pire est qu’aussi bien les corrupteurs que les corrompus se donnent bonne conscience en trouvant des excuses à leurs gestes condamnables : ‘‘de toute façon tout le monde paie, donc moi aussi je vais payer pour ne pas rester dernier’’, ‘’mon salaire de fonctionnaire ne me permet pas de nourrir ma famille, au moins, avec les bakchichs que je reçois, je pourrais m’offrir un voyage aux Gonaïves’’.
Les pots-de-vin en Haïti : une histoire sans fin !
En Haïti, la corruption est un mal endémique qui a des conséquences désastreuses sur le développement économique et social du pays. Depuis des décennies, les Haïtiens ont été témoins de la détérioration de leurs institutions publiques, de l’érosion de leur confiance envers les dirigeants et de la paupérisation croissante de la population.
La corruption en Haïti prend de nombreuses formes, allant des pots-de-vin aux fonctionnaires publics pour obtenir des permis et des services, aux dessous-de-table aux élus pour obtenir des contrats et des projets de développement. Malheureusement, ces pratiques ont été tellement intégrées dans la culture haïtienne qu’elles sont souvent considérées comme “normales” ou “nécessaires” pour pouvoir naviguer dans le système et y survivre.
Et que dire des investisseurs étrangers qui fuient notre pays par peur de devoir pays cet ‘impôt’ illégal, sans parler de l’évasion fiscale et de la fraude qui sont les conséquences directes de la corruption. Et comme toujours, ce sont bien entendu les plus pauvres et les plus vulnérables qui paient la facture.
Les Haïtiens qui vivent à l’étranger et qui retournent régulièrement au pays constatent avec amertume et désolation comment la situation se détériore d’année en année. Dès l’aéroport, il faut préparer une enveloppe. Un policier vous arrête et fait de l’excès de zèle pour un parechoc mal fixé? Vous payez. Vous voulez investir en Haïti, mais les autorisations tardent à sortir des tiroirs de certains responsables? Vous payez. Vous voulez une attestation censée être gratuite? Vous payez.
Le problème est que chez nous, la lourdeur bureaucratique favorise le développement de la corruption. Nombreuses sont les attestations inutiles qui continuent à être demandées et qui engendrent autant de tracasseries et de frustrations : attestation de Bonne Vie et Mœurs, attestation de bonne moralité, certificat de nationalité (même si vous avez votre carte d’identité et votre passeport qui devraient suffire à prouver que vous êtes haïtien), attestation de résidence (que vous obtenez même si vous n’habitez pas à l’adresse indiquée).. la liste est longue.
Lutter contre la corruption, la grande priorité
Le nœud du problème haïtien, c’est sans aucun doute la corruption. Elle entrave la bonne marche du pays, l’organisation d’élections libres, l’attraction des investisseurs.. bref, le retour à la normale. Il est important de souligner que la lutte contre la corruption ne peut pas être menée uniquement par les autorités gouvernementales, mais doit être un effort collectif de la société haïtienne dans son ensemble. Les citoyens doivent certes être conscients de leurs droits de demander des comptes aux dirigeants et aux fonctionnaires publics, en signalant par exemple tout comportement suspect ou illégal. De même, les Haïtiens ne doivent pas céder au chantage des fonctionnaires qui refusent de faire leur travail s’ils ne sont pas payés. Ces fonctionnaires sont déjà payés avec l’argent du contribuable récolté à travers les innombrables taxes et impôts. Leur donner des pots-de-vin, c’est les encourager à perpétuer les mauvaises habitudes et à infliger une double-imposition au citoyen.
Dans le même sens, les entreprises et les organisations doivent adopter des pratiques éthiques et de bonne gouvernance pour éviter d’être complices de la corruption. Il est également crucial d’investir dans l’éducation et la sensibilisation pour inculquer les valeurs de l’intégrité et de la transparence à la prochaine génération. Un enfant qui voit son père distribuer des billets à droite à gauche pour obtenir des faveurs va lui aussi appliquer la même pratique une fois grand. L’être humain est ainsi fait, il adopte plus facilement les mauvaises habitudes que les bonnes habitudes.
Pour lutter contre la corruption, il nous faut également une justice qui soit efficace et indépendante. Il est important d’avoir des juges compétents et incorruptibles qui puissent garantir une application impartiale de la loi, sans influence extérieure. Malheureusement, il est fréquent que les juges soient eux-mêmes corrompus en Haïti, ce qui rend la lutte contre la corruption extrêmement difficile. Pour ainsi dire, le ver est déjà dans le fruit!
Nous savons tous ce qu’il nous reste à faire pour qu’Haïti redevienne un État de droit où tous les citoyens sont égaux vis-à-vis de la loi. Le chemin est long et difficile, mais c’est le prix à payer pour laisser à nos enfants un pays qui soit réellement démocratique où il fait bon vivre. Les Haïtiens doivent cesser de se dire que la corruption est un simple jeu. Car à ce jeu-là, personne ne gagne.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 31 janvier 2023