Comme nous le présagions lors de notre dernière édition, ce n’était qu’une question de jours avant qu’Haïti ne soit également touché par le Coronavirus (Covid-19). Au 30 mars, on dénombrait 15 cas confirmés. La course contre la montre a cette fois-ci bel et bien commencé. Le défi immédiat pour les autorités sanitaires est d’essayer de retrouver tous les contacts des personnes malades, les identifier et les dépister. Le but étant de gagner encore plus de temps afin que les établissements hospitaliers puissent se préparer au pire.
Bien gouverner, c’est bien prévoir
Les pouvoirs publics en Haïti obéissent aujourd’hui au doigt et à l’œil aux ordres de Jovenel, ce dernier s’étant arrogé les pleins pouvoirs depuis la mise au placard des deux chambres du parlem
ent bicaméral. Le Président concentre ainsi toutes les décisions stratégiques, avec tous les risques et dérapages que cela pourrait engendrer. Concernant la pandémie du Coronavirus qui vient de faire son entrée dans notre pays, le chef de l’État a intérêt à prendre les bonnes décisions, sous peine de rajouter un autre malheur à une population qui en a déjà vu des vertes et des pas mures au cours des derniers mois.
Jovenel a décrété il y’a quelques jours l’état d’urgence sanitaire et promis la mise en place de mesures pour ralentir la contagion virale. Cela passe tout d’abord par une réduction drastique des déplacements non essentiels, l’instauration d’un couvre-feu entre 8h du soir et 5h du matin, la fermeture des établissements d’enseignement, des lieux de culte et des usines, la limitation des rassemblements publics à 10 personnes maximum, la clôture des ports et aéroports du pays pour rendre nos frontières plus hermétiques…
Le Lockdown à la Haïtienne est officiellement promulgué. Les pouvoirs publics semblent donc privilégier le confinement pour maîtriser au mieux la pandémie. Beaucoup craignaient que le gouvernement ne soit tenté par une approche plus souple qui consiste à laisser le virus se propager afin que l’ensemble de la population s’auto-immunise. Des pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas qui ont voulu adopter cette solution ont fini par y renoncer, les scientifiques ayant averti que cela mettrait une pression ingérable sur leurs hôpitaux et engendrerait une mortalité beaucoup plus importante.
Haïti est classé dans la catégorie des pays à risques à cause de l’état délabré de son système de santé. C’est ce qui explique que les projections des épidémiologistes ne soient pas très rassurantes quant à l’évolution de la situation dans les prochaines semaines. Nos responsables politiques ont pourtant eu plus de temps que d’autres nations qui ont été prises de court. Malheureusement, les mesures proposées par le pouvoir en place semblent dérisoires pour faire face à une telle pandémie. Notre gouvernement a montré une fois de plus que la planification et l’anticipation ne sont pas son point fort. Si gouverner c’est prévoir, en Haïti comme bien souvent, c’est plutôt l’improvisation et le bidouillage qui prévalent.
La population livrée à elle-même face au Coronavirus
Les premières personnes contaminées identifiées sur le territoire national de Covid-19 sont des cas dits “importés”. Il s’agit d’un artiste de 32 ans, Roody Roodboy qui a ramené le virus de France où il avait récemment séjourné, ainsi que d’un citoyen belge de 63 ans qui dirige un orphelinat au niveau de la région de l’Artibonite et qui se trouvait lui aussi à l’étranger. Depuis, 13 autres personnes ont été signalées comme positives. Aucune tranche d’âge n’est épargnée, même si 60% des cas déclarés ont entre 20 et 40 ans. Immédiatement après la découverte des premiers cas, le gouvernement a déclenché le plan d’urgence articulé autour des séries de mesures citées précédemment.
Mais dans un pays qui traverse une très grave crise socio-politique depuis des mois, on voit mal comment le gouvernement compte mettre en place toutes ces mesures. La restriction des déplacements demandera un quadrillage du pays par les forces de l’ordre pour la faire respecter, notamment lors du couvre-feu. Or, nous savons tous que nos policiers manquent cruellement de moyens et ont déjà le plus grand mal à faire respecter la loi en temps normal. L’agglomération de Port-au-Prince, qui compte une population de 3 millions d’habitants, constituera à elle seule un défi majeur. La forte densité dans les quartiers populaires combinée au manque d’eau et à l’insalubrité fait craindre le pire. Le Covid-19 risque de s’y propager à une vitesse fulgurante et d’y faire des ravages. Difficile également d’empêcher les gens d’aller travailler, surtout ceux qui vivent au jour le jour et n’ont aucune source de revenus stable.
Sur le plan sanitaire, la situation est là aussi jugée très préoccupante. Notre pays compte seulement 124 lits de réanimation pour 11 millions d’habitants. Autant dire que ces lits seront tout juste suffisants pour l’élite politique et économique, et encore ! Nos hôpitaux manquent également de respirateurs, de scanners pour les écographies, de gants et masques de protections pour le personnel soignant, de tests de dépistage… Bref, ils manquent de tout. Si on en est arrivé là, c’est à cause des gouvernements successifs qui ont consacré à peine 4% de leur budget à la santé, sachant que 87% des dépenses sont résorbées par la masse salariale. Autant dire qu’il ne reste pas grand-chose pour investir dans les équipements.
Haïti ne pourra pas s’en sortir sans soutien extérieur
Comme toujours, les Haïtiens n’ont pas attendu que le gouvernement leur vienne en aide pour agir. La société civile dans son ensemble s’est mobilisée pour attirer l’attention de la population quant aux risques du Covid-19 et lui montrer les précautions à prendre. Médias, artistes et sportifs ont uni leurs forces et se sont relayés pour informer sur le danger sanitaire qui guette notre pays. Cette campagne porte progressivement ses fruits puisque les rues de la capitale et des autres grandes villes se vident de plus en plus. Les embouteillages et le brouhaha quotidien de l’activité humaine ont baissé d’un cran depuis quelques jours. Les effets de la sensibilisation commencent à faire germer une prise de conscience collective.
Le plus grand combat qui attend Haïti sera sur le plan sanitaire. À l’instar des autres pays, le défi des autorités consistera à lisser le pic de la courbe des contaminations pour ne pas engorger les services de réanimation. Face au manque de moyens et à la désorganisation totale de nos services, tous les regards sont dorénavant braqués sur l’étranger. La communauté internationale pour sa part, inquiète de voir Haïti se transformer en futur foyer de Covid-19, a promis d’apporter un soutien matériel et financier pour surmonter cette crise inattendue. Cuba a ainsi mobilisé 348 praticiens et infirmiers, alors que le FMI (Fonds monétaire international) a accordé une facilité de crédit rapide. Pour sa part, l’État haïtien a déjà lancé une première commande de 18 millions de dollars en équipements médicaux auprès de la Chine.
Après l’épidémie de choléra qui a fait plus de 10 000 morts, voilà que notre pays doit faire face au Coronavirus dont il est difficile pour l’instant de mesurer les dégâts potentiels. Ce qui est sûr, c’est que notre peuple a développé, bien malgré lui, une certaine résilience avec tous les défis qu’il a dû affronter au cours de ces dernières années. Aujourd’hui encore, il est appelé à agir de manière solidaire et responsable et de bien respecter les consignes. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourra sortir de cette nouvelle crise avec le moins de dommages possible.
Dessalines Ferdinand
LE FLORIDIEN