Presque 3 mois après l’apparition des premiers cas de Covid-19 en Haïti, le bilan officiel ne cesse de s’alourdir. Au 15 juin, on dénombrait pas moins de 4309 cas confirmés pour 73 décès, dont 3 qui ont eu lieu au cours des dernières 24 heures. D’après ces chiffres, Haïti occupe désormais la 2ème place des pays des Caraïbes les plus affectés par la pandémie, derrière la République dominicaine voisine (23.000 cas confirmés et 542 décès) et devant Cuba (2248 cas confirmés et 84 décès). Certains disent qu’Haïti pourrait même être premier tant les chiffres communiqués par le gouvernement ne semblent pas fiables. Mais nous reviendrons plus tard sur le sujet.
Pour l’instant, attardons-nous sur la situation épidémiologique qui est de plus en plus inquiétante. Car faute de chiffres crédibles, les spécialistes craignent le pire et redoutent que le virus soit bien plus disséminé que les pires projections. Sur le terrain pourtant, les lits dans les hôpitaux dédiés aux soins du Covid-19 sont étrangement sous-occupés. Et cela n’est pas dû au manque de malades à soigner. L’explication est à trouver au niveau de différentes rumeurs qui circulent dans le pays concernant de prétendues injections mortelles que l’on administrerait dans les hôpitaux aux personnes affectées par le Covid-19. Pour l’anecdote, ces allégations sont devenues tellement virales qu’on parle même d’un médecin réputé qui aurait refusé d’aller se faire soigner, combien même il commençait à développer de sérieux symptômes liés au Coronavirus. Un praticien qui refuse de se faire traiter alors que sa situation empire de jour en jour montre l’état de psychose dans lequel est plongée la population. Il a fallu que plusieurs confrères viennent le convaincre pour qu’il se décide enfin à aller se faire soigner dans un hôpital. Depuis, on ne sait ce qu’il est devenu de ce médecin ni de l’évolution de sa maladie.
On ne peut que déplorer cette stigmatisation des hôpitaux et du système de santé en général qui rend la tâche des soignants encore plus difficile. Beaucoup de patients viennent malheureusement à l’hôpital quand il est déjà trop tard et qu’il ne reste plus grand-chose à faire. Des malades se présentent ainsi lorsque leur situation sanitaire est très dégradée, compromettant leurs chances de guérison. Une grande majorité termine dans le coma ou avec des complications irréversibles, avec au final un taux de mortalité assez élevé comparativement aux personnes qui se font soigner assez tôt. Ce retard dans la prise en charge des malades et la mortalité qu’il engendre ne fait qu’aggraver les rumeurs colportées sur la mort inéluctable qui vous attend dans les centres hospitaliers. Et c’est là que l’État devient complice de tels mensonges de par son silence. Devant une telle situation, le gouvernement doit lancer des campagnes de communication pour démentir ces allégations et sensibiliser la population sur le Covid-19 et les soins apportés dans les centres hospitaliers. Au lieu de cela, les pouvoirs publics n’informent que timidement les haïtiens, comme si ce statu quo les arrangeait. Pourtant, personne n’est à l’abri d’une contamination, même pas les membres du gouvernement. Le récent décès du Secrétaire d’État aux Affaires sociales, Emmanuel Cantave, vient rappeler que le Covid-19 ne fait pas de distinction entre un ministre et un vendeur de Ti Kawol. Certains pensent donc que le gouvernement laisse volontairement propager ces rumeurs pour fuir ses propres responsabilités. Ainsi, en cas d’échec fort envisageable dans la guerre contre le Covid-19, il pourra mettre cela sur le dos de la population qui a refusé de se faire soigner. Il n’y a malheureusement pas d’autres explications à donner pour justifier l’inaction du gouvernement face à des rumeurs aussi ravageuses que le virus lui-même.
Sur le plan des statistiques, les autorités reconnaissent elles-mêmes que les chiffres officiels ne sont pas représentatifs de la réalité, puisque le pays ne dispose que de 2 laboratoires pour effectuer des tests de dépistage. À leur décharge, peu de pays ont réussi à donner des chiffres qui soient proches de la réalité, car le monde entier a été pris de court par cette pandémie et n’a pas eu assez de temps pour y faire face. Mais cela ne donne pas carte blanche au gouvernement de Moise-Jouthe pour ne rien faire, et encore moins de dire que la situation est sous contrôle lorsqu’il n’y a aucun indicateur fiable pour le montrer. Les mensonges répétés du gouvernement expliquent peut-être la place de plus en plus importante que prennent les rumeurs comme source d’information chez les Haïtiens. Pour un analyste politique qui suit l’évolution du pays depuis de nombreuses années, ‘’ le baromètre de crédibilité de l’État n’a jamais atteint un niveau aussi bas. Alors forcément, lorsque les autorités disent que c’est bon, pour les Haïtiens, c’est que c’est forcément mauvais, et vis-versa’’.
Face aux incertitudes et aux défis sanitaires que représente le Covid-19, les experts redoutent qu’Haïti ne se transforme en un énorme foyer. Médecins sans Frontière (MSF) a déjà lancé l’alerte quant à la propagation du virus qui semble accélérer dans la région du plateau central, une zone pivot puisque c’est par là que passent les personnes revenant de la République dominicaine voisine et qui sont potentiellement porteuses de virus. Quant au gouvernement, il a tout intérêt à changer de stratégie de communication et jouer sur la transparence, car beaucoup de vies en dépendent.
Dessalines Ferdinand