L’histoire récente d’Haïti nous montre qu’à chaque fois que notre pays est secoué par une crise humanitaire de grande ampleur, s’ensuivent des détournements d’argent d’envergure encore plus grande. En 2010, le terrible tremblement de terre a mobilisé la solidarité internationale. Des milliards de dollars ont ainsi été débloqués pour aider à la reconstruction de notre pays. Malheureusement, tout cet argent a été englouti par des forces ténébreuses avec une redoutable efficacité. Les Haïtiens n’ont vu émerger de terre ni hôpitaux, ni écoles, ni routes, ni logements. Nos dirigeants sont devenus des maîtres incontestés dans l’art du déroutage des fonds.

Avec le pétrole du Venezuela, bis repetita. On assiste là encore au même scénario. Dans un élan de générosité panaméricaine et dans le cadre de sa doctrine de solidarité entre les peuples, Chavez a “offert” à Haïti son or noir a un prix bradé. Le but étant d’aider notre pays à consacrer l’argent économisé à des projets socio-économiques. Les analystes estiment que le fond PetroCaribe a permis au gouvernement haïtien de dégager une somme de 3,8 milliards de dollars qui a été méthodiquement dilapidée par nos dirigeants. Là encore, le peuple n’a jamais vu la couleur de cet argent. À ce jour, les larrons derrière ce casse du siècle n’ont pas été inquiétés par la justice. D’où l’indignation de la population qui ne cesse de réclamer à ce que les responsables de ces détournements comparaissent devant les tribunaux. En vain!

Aujourd’hui, voilà que le Covid-19 menace à nouveau notre nation. Cette pandémie a provoqué une crise sanitaire majeure à travers le monde, une situation qu’on n’avait plus connue depuis un siècle. Haïti fait partie de ces nations dites vulnérables, puisqu’elles ne disposent pas de structures hospitalières adéquates pour faire face au Covid-19. Très tôt, l’OMS a averti qu’il faudrait aider sans plus attendre les pays comme Haïti, au risque de les voir se transformer en foyers incontrôlables. Le FMI, la Banque mondiale, mais aussi des pays amis comme les États-Unis ou Taiwan qui ont mis la main à la poche pour apporter un soutien logistique et financier à notre pays.

En combinant les dons et les prêts, on estime qu’Haïti disposera d’un capital qui se chiffre à des centaines de millions de dollars pour faire face au Covid-19. En voyant ces montants qui donnent le vertige, les vautours se sont déjà placés en ordre de bataille pour rafler la mise. D’où l’impérieuse nécessité d’être extrêmement attentifs et de redoubler de vigilance pour ne pas revivre un deuxième scandale PetroCaribe. Car il n’y a aucune raison que ceux qui ont dilapidé les fonds publics par le passé et qui n’ont pas été inquiétés par la justice ne recommencent pas leur forfaiture.

Les décideurs haïtiens savent comment monter des structures fantômes pour détourner les aides provenant de l’étranger. En multipliant les intermédiaires et en créant des projets bidon de toute pièce, ils arrivent à brouiller les pistes et à passer entre les mailles des filets. Lorsque les cabinets étrangers d’audit viennent vérifier le bon usage des fonds accordés à l’État haïtien, il leur est souvent difficile d’établir une traçabilité claire. L’argent finit d’une manière ou d’une autre par disparaître dans les dédales d’une administration pléthorique et largement corrompue, où chacun cherche à mettre un peu de beurre dans ses épinards en prenant une commission au passage. Même les auditeurs les plus chevronnés finissent par jeter l’éponge. Ils se rendent vite compte que la corruption en Haïti n’est pas que l’affaire de quelques individus isolés, mais celle d’un énorme bloc monolithique et immuable. Certains appellent cela “le système”, d’autres, plus poétiques, préfèrent parler de “culture”. Le mot le plus juste serait plutôt celui de maladie chronique qui ne peut être soignée qu’à travers une chimiothérapie de choc.

Plus que jamais, la société civile doit veiller à ce que l’argent destiné à lutter contre le Covid-19 ne soit une fois de plus détourné. La transparence doit primer sur l’opacité, et le gouvernement a la responsabilité et le devoir de rendre des comptes, et ce d’autant plus que Jovenel Moïse est seul maître à bord. Depuis la dissolution du parlement et la mise de côté de l’opposition, le Président a un boulevard devant lui. Certains redoutent qu’il se croit tout permis et gère les fonds d’aide comme bon lui semble. Jovenel traine quelques casseroles derrière lui, soupçonné notamment d’être impliqué dans des affaires comme PetroCaribe qui continuent de maculer son CV. En Haïti, la population craint le Covid-19 en tant que pandémie virale, mais aussi en tant que potentiel scandale financier à venir.

Stéphane Boudin

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