Par Dessalines Ferdinand

Alors qu’Haïti fait souvent les manchettes ces dernières années pour les violences, la corruption et les catastrophes naturelles, les Grenadières viennent de redonner un vent de fraîcheur plein d’espoir et de joie à notre pays. Guerrières, courageuses et fières comme jamais, les valeureuses joueuses de l’Équipe nationale de football sont allées chercher avec les tripes une qualification historique pour la prochaine Coupe du Monde de football 2023 qui sera organisée conjointement par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Retour sur une épopée qui restera dans les annales et inspirera sans nul doute les générations futures.

Les Grenadières, des outsiders que personne n’a vues venir

La soirée du 22 février fut définitivement une soirée inoubliable pour la nation haïtienne ! Ce jour-là, notre équipe nationale de football féminin (soccer) a écrit une page d’histoire en battant le Chili 2-1 lors des éliminatoires pour la Coupe du Monde Féminine de la FIFA 2023. Les Grenadières, classées 55e, juste derrière les Sud-Africaines, ont offert une performance exceptionnelle contre les chiliennes qui occupent actuellement la 38e position au classement FIFA. Avant le match, personne ne misait gros sur nos valeureuses joueuses. Certains observateurs, qui connaissent mal Haïti il faut le dire, disaient même que c’était déjà un exploit que nos joueuses soient arrivées si loin dans ces éliminatoires, prédisant sans l’avouer, une défaite ‘logique’ contre les Chiliennes qui étaient archi-favorites. Il est vrai qu’en face, l’équipe chilienne, que l’on surnomme ‘la Roja feminina’, dispose d’un effectif particulièrement compétitif qui a affiché de bons résultats ces dernières années : finale de la Copa America 2018 et participation à la Coupe du Monde 2019. Autant dire que les Chiliennes abordaient le match contre Haïti avec une certaine confiance, se voyant déjà en Coupe du Monde 2023. Mais c’était mal connaître la combativité et la hargne des joueuses haïtiennes qui sont allées chercher cette qualification avec les dents.

Au début du match, les Haïtiennes ont affiché une certaine nervosité face à l’enjeu de la partie. Kethna Louis et Batcheba Louis récoltaient ainsi un carton jaune chacune à la 9’ et 28’. La défense subissait la pression sans jamais plier. Mieux, la capitaine Nérilia Mondesir, véritable métronome de l’équipe haïtienne, lançait des contre-attaques fulgurantes en compagnie de Melchie Daëlle Dumornay (19 ans) plus mieux connue sous le sobriquet de ‘Corventina’ et Roselord Borgella. Et c’est Dumornay, joueuse vedette de ce match, qui a délivré les Grenadières en inscrivant un doublé historique. Le premier but est intervenu dans le temps additionnel de la première mi-temps. Après une course incroyable, la joueuse a magnifiquement repris un centre de Borgella, laissant la gardienne chilienne sans voix. Surprises par le niveau affiché par les Grenadières, le capital confiance des Chiliennes s’érodait au fil des minutes. Étouffées dans tous les compartiments du jeu, les Sud-Américaines n’arrivaient pas à trouver la solution pour revenir au score. Le sentiment de supériorité qu’elles affichaient avant le début de la partie a laissé place au doute. Sur le terrain, cela s’est traduit par une multiplication des fautes et une inefficacité flagrante à l’approche des cages de Kerly Theus qui a sorti le match de sa vie pour préserver l’avance de son équipe. La nervosité a changé de camp, et c’est maintenant les Chiliennes qui commencent à commettre des fautes, récoltant 2 cartons jaunes au passage (42’, 88’).

Le deuxième but de Melchie Dumornay à la 98’ minute sur une passe millimétrée de Mondesir a permis de tuer le match et valider le ticket gagnant pour la prochaine Coupe du Monde. La réduction du score des Chiliennes par Maria Jose Rojas à la dernière seconde de la partie restait anecdotique et ne mettait aucunement en danger des Grenadières pleines de maîtrise qui tenaient fermement le résultat. Preuve de leur sérénité, le coach haïtien n’a effectué que 2 changements durant tout le match : un changement tactique à la 69’ lorsque Madeline Moryl a pris la place de Jeudy, puis un autre remplacement en fin de match pour gagner du temps et sauvegarder le score.

Au coup de sifflet final, les joueuses haïtiennes ont pleuré de joie, sachant que leur victoire sans précédent offrait un moment de répit à leur pays frappé par une série de crises. En effet, cette qualification pour la Coupe du Monde est une lueur d’espoir pour Haïti. Evoluant au poste de milieu de terrain, Danielle Etienne a déclaré avant les éliminatoires qu’il y avait beaucoup de mécontentement dans le pays et que le football était un moyen de retrouver de la joie.

Une victoire bienvenue en temps de crise

Le 22 février, les Haïtiens du monde entier étaient en liesse après la qualification historique de l’équipe féminine de football. C’est une victoire qui a transcendé les divisions et les difficultés du pays, offrant un moment de joie et d’unité pour tous les Haïtiens. Dans un pays où la violence, la crise économique et la corruption constituent depuis longtemps des problèmes chroniques, cette qualification est une bouffée d’oxygène pour les habitants d’Haïti, mais aussi pour les Haïtiens de la diaspora. Le football est un sport qui unit les gens et leur permet d’oublier leurs problèmes, même si ce n’est que pour un court instant.

Cette qualification n’a pas seulement touché les habitants d’Haïti, elle a aussi touché les Haïtiens de l’étranger qui ont également célébré cette victoire aux quatre coins du monde avec la même ferveur que ceux du pays. La victoire des Grenadières peut être interprétée comme un symbole de l’émancipation des femmes dans un pays où les femmes sont souvent victimes de discrimination et de violence. Les femmes haïtiennes ont désormais un modèle à suivre, une équipe qui a su surmonter toutes les difficultés pour atteindre le sommet de son sport.

Il est également important de souligner que la victoire d’Haïti face au Chili ne tient pas au hasard. C’est le fruit d’un travail de longue haleine qui commence à porter ses fruits. Depuis que la FHF est dirigée par un comité ad hoc présidé par Michaëlle Jean, le football haïtien connaît un nouvel essor et renaît de ses cendres. Il est loin le temps où nos filles étaient terrorisées par un Président de fédération prédateur. Hasard du calendrier, le Tribunal Arbitral du Sport, le TAS, vient d’annuler la suspension à vie de l’ancien Président de la FHF, Yves Jean-Bart, qui avait été banni par la FIFA pour des accusations de viol sur plusieurs jeunes joueuses. Si la FIFA va probablement faire appel de cette décision scandaleuse, les Grenadières ont également montré, à travers leur victoire, qu’elles ont décidé de prendre leur destin en main et de s’affranchir d’un passé à la fois douloureux et lourd à porter.

L’heure est désormais au renouveau. Le succès des Grenadières montre que lorsque vous mettez à la tête d’une fédération, ou d’un pays, un dirigeant compétent, les résultats ne tardent pas à suivre. Gageons que l’équipe masculine va elle aussi bientôt renouer avec la grande fête du football. Les chances pour se qualifier à la Coupe du Monde 2026 sont grandes au vu du niveau affiché ces dernières années par l’équipe masculine.

Les Grenadières ont les moyens de créer l’exploit lors de la prochaine Coupe du Monde

La victoire 2-1 d’Haïti sur le Chili et l’épilogue d’un parcours parfait lors de ces éliminatoires. Au tour précédent, nos joueuses avaient sèchement battu les Sénégalaises par 4 buts à zéro. Autant dire que les Grenadières ont fait le plein de confiance pour aborder la prochaine Coupe du Monde dans les meilleures conditions. Car il est certain que notre équipe nationale ne va pas y aller pour faire du tourisme, mais bien pour aller le plus loin possible dans le tournoi, et pourquoi pas le remporter. Il ne suffit pas d’avoir des rêves, il faut aussi y croire et tout faire pour les réaliser afin de ne pas avoir de regrets plus tard.

Haïti évoluera dans le groupe D aux côtés de l’Angleterre, de la Chine et du Danemark. Un groupe relevé certes, mais qui reste à portée de nos joueuses qui ne craignent pas de se mesurer aux grandes équipes.

Le premier match d’Haïti aura lieu le 22 juillet prochain contre l’Angleterre à Brisbane. S’en suivra un autre match contre la Chine le 28 juillet à Adélaïde, puis le 1 août à Perth contre le Danemark. Sur le papier, les Anglaises sont les favorites de ce groupe en leur qualité de championne d’Europe en titre (2022). Elles ont également à leur palmarès 5 participations à la Coupe du Monde avec pour meilleur résultat une 3e place décrochée en 2015. Les Anglaises occupent actuellement la 4e place au classement FIFA.

La Chine, 14e, sera également un adversaire redoutable dont il faudra se méfier. Avec 7 participations en Coupe du Monde, dont une finale perdue en 1999, les Chinoises ont derrière elles une longue expérience et un championnat local parmi les plus relevés au monde.

Enfin, le Danemark, classé 18e, risque d’être un adversaire coriace. Avec 5 participations en Coupe du Monde et une finale de Coupe d’Europe perdue en 2017, les danoises ont elles aussi des arguments à faire valoir.

Malgré cela, le football reste le football, c’est-à-dire imprévisible. Vous pouvez avoir le meilleur palmarès au monde, une fois sur le terrain, les compteurs se remettent à zéro. Il y a un adage qui dit que « sur le terrain, il n’y a pas de favoris ». Même avec un statut de grande nation, toute équipe peut perdre contre une supposée petite équipe. Aux Grenadières d’en profiter et de nous faire rêver pendant cette Coupe du Monde. Ce qui est sûr, c’est que nos vaillantes joueuses vont crânement défendre leur chance et tout donner sur le terrain.

Photo (Andrew Cornaga/AP)

 

 

 

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