Par Dessalines Ferdinand
MIAMI — Il n’est pas un secret pour personne. Tout ce qui donne vie à la Communauté haïtienne en Floride du Sud est au point mort depuis plusieurs semaines. Les rues de Little Haïti et North Miami, deux grandes zones de référence de la communauté haïtienne, sont inhabituellement calmes. En fait, presque toutes les activités rassembleuses qui permettent des échanges sont devenues tout d’un coup illégales en raison de l’application des mesures strictes imposées par le gouvernement de l’État de Floride dans le but de circonscrire la propagation du COVID-19, le nouveau coronavirus qui continue de se propager à travers les États-Unis et le monde ayant déjà fait plusieurs milliers de morts depuis sa découverte en décembre dernier à Wuhan, capitale de la province chinoise de Hubei.
Les mesures de distanciation sociale et de confinement adoptées par le gouvernement de Floride, deuxième État le plus âgé des États-Unis, ont eu de sérieuses répercussions sur les entreprises de notre communauté. Les Jitney (autobus de trajets publics) très utilisés par les Haïtiens sont à l’arrêt. Les portes du ‘Caribbean Marketplace’, lieu symbolique du quartier commercial de la ‘Petite Haïti’, et celles de ‘Little Haiti Cultural Center’ sont fermées. Toute cette zone qui d’habitude grouille de monde est aujourd’hui complètement désertée par la population.
Si quelques véhicules circulent encore de temps à autre au niveau de la 2è avenue nord-est, de toute évidence, les activités commerciales habituelles sont au point mort. C’est comme si on vivait dans un rêve. Tout semble irréel. Quelques rares restaurants qui ont malgré tout décidé de maintenir leurs portes ouvertes ne peuvent plus accueillir de clients. Tout juste peuvent-ils proposer des plats à emporter. En conséquence, 80% des employés dans le secteur de la restauration se retrouvent au chômage partiel, en attendant des jours meilleurs.
« Ce n’est pas profitable pour le moment. Je perds de 50 à 75 % de mon chiffre d’affaires tous les jours. Je garde espoir que la crise prendra fin bientôt. Je suis un combattant et je ferai de mon mieux pour continuer de m’adapter à cette dure réalité. Tout dépend de la volonté des clients de continuer à consommer chez nous,» explique le propriétaire d’un restaurant à North Miami qui a requis l’anonymat.
Certaines plazas qui abritent de petits commerces haïtiens sont quasiment vides. Jean Clément, propriétaire à la fois d’un magasin de découpe de verre, de fabrication de vitrages et de miroirs, et d’un multi-service dans le quartier de Little Haïti, expliquait il y a deux semaines qu’il était forcé lui aussi de mettre à pied temporairement 80% de son personnel. Dans une autre plaza située juste face, la même problématique tracasse Leo, propriétaire d’une petite entreprise de nettoyage à sec (Dry Cleaning). « La majorité de mes clients sont des chauffeurs de taxi, des agents de sécurité, des gens qui travaillent dans les aéroports. Presque toutes ces activités-là sont affectées par la crise du Covid-19. Les gens n’ont pas d’argent pour venir prendre leurs vêtements. En fait, ils ne sont pas dans le besoin, car ils ne travaillent pas présentement, » a-t-il réagi.
Les salons de coiffure pour hommes et femmes classés parmi les entreprises non essentielles par le gouvernement de l’État de Floride ont aussi baissé leurs rideaux. Dans certains complexes résidentiels, on peut aisément lire sur le visage des habitants l’inquiétude que suscite le Coronavirus. Plus que la peur d’attraper la maladie, beaucoup appréhendent le moment où ils seront dans l’incapacité de payer leur loyer ou de tout simplement subvenir aux besoins les plus élémentaires de leur famille. Quant aux travailleurs essentiels, ils se rendent chaque matin à leur lieu de travail avec la boule au ventre. C’est grâce à leur sacrifice quotidien que la population peut encore manger et se faire soigner. Quant aux autres, tous ces gens qui habituellement sont très affairés avec des réunions, des dîners, et autres activités professionnelles, ils ont aujourd’hui le plus grand mal à trouver des alternatives pour meubler leur emploi du temps. Les mieux lotis restent ceux qui arrivent à travailler depuis leur domicile, ou encore ceux qui ont pu prendre des congés payés.
Si une partie de la communauté haïtienne peut compter sur l’argent épargné pour faire face à ce genre de situation, tel n’est pas le cas pour tout le monde malheureusement. C’est particulièrement vrai pour les travailleurs précaires comme les saisonniers, les ouvriers, les employés dans les hôtels et les restaurants qui ne savent pas quand ils pourront recommencer à travailler. Beaucoup n’ont aucune visibilité à moyen terme, ce qui ne fait qu’accentuer encore davantage leurs angoisses.
Le covid-19 a également provoqué le report ou l’annulation pure et simple de nombreux événements communautaires qui étaient prévus pour le mois de mars écoulé et ce mois d’avril. On se pose des questions par exemple sur le mois de l’Héritage culturel haïtien aux États-Unis qui se déroule traditionnellement au courant du mois de mai. Le sort de la 22è édition de ‘Haitian Compas Festival’ prévue également au mois de mai demeure incertain à ce stade, bien que le site internet officiel [ www.haitiancompasfestival.com ]de l’événement – consulté en date du mercredi 15 avril – maintient les mêmes dates. La vingtième édition du championnat de football amateur ‘Madame Gougousse Haiti Cup’ qui avait été lancée de fort belle façon pendant les deux premiers weekends au FIU NORTH Stadium a été reporté dans un premier temps avant d’être annulé.
Sur le plan sanitaire, les autorités affirment qu’elles soutiennent les nouvelles directives du ‘Center for Disease Control and Prevention’ qui recommande que tout le monde porte des masques ou des bavettes en tissu en public. Ces dispositifs de protection doivent couvrir la bouche et le nez afin de réduire la propagation du COVID-19. En cas d’impossibilité d’avoir un masque chirurgical, les citoyens sont invités à mettre des foulards ou toute autre barrière en tissu. “Chaque action individuelle compte. Les personnes qui portent un chiffon couvrant le visage dans les lieux publics comme l’épicerie ou la pharmacie aideront à aplanir la courbe en réduisant la propagation de COVID-19,” a déclaré le commissionnaire du District 2 du comté de Miami-Dade, l’Haïtien-Américain Jean Monestime. Il exhorte également les gens à continuer à respecter les distanciations sociales et à rester au moins six pieds les uns des autres.
Pour la majorité de la population, les journées se suivent et se ressemblent. La routine quotidienne tourne désormais autour du bricolage à domicile, de la préparation des repas, du visionnage de films, de la lecture ou encore de réunions virtuelles avec les amis ou les membres de sa famille. En toile de fond, le suivi de l’actualité sur le Coronavirus n’est jamais bien loin. Que ça soit en regardant la télévision ou en lisant les journaux, tout le monde scrute avec anxiété cette fameuse courbe morbide qui ne cesse de monter. D’ailleurs, difficile d’entamer une conversation avec un proche sans que le sujet du Covid-19 ne soit abordé. C’est aussi une façon d’évacuer le stress, l’ennui et l’angoisse accumulés par de longues journées de confinement. La dépression n’est jamais bien loin et guette les plus fragiles. Sur le plan social, les mariages sont reportés sine die. Même les enterrements se font dorénavant à distance.
Qui aurait imaginé un tel scénario ! Un jour, un Chinois mange un pangolin infecté par un virus microscopique, et à peine quelques mois après, la moitié de la planète se retrouve confinée. Cela sans parler des conséquences économiques et sanitaires qui seront évaluées ultérieurement. Cette situation nous fait tout de même drôlement penser à la métaphore d’Edward Lorenz qui disait qu’un “battement d’ailes d’un papillon au Brésil peut éventuellement provoquer une tornade au Texas”. Le COVID-19 prouve que malgré les avancées technologiques et le degré de connaissances atteint, l’être humain demeure vulnérable face aux éléments. Cette pandémie a eu au moins le mérite de remettre beaucoup de choses de la vie en perspective. Tout ce qui nous semblait acquis ne l’est peut-être pas. Avec tout le temps libre dont nous disposons aujourd’hui, nous pouvons en tout cas méditer sur la question.
Dessalines Ferdinand