La situation en Haïti est devenue intenable. Chaque jour, les citoyens voient leurs conditions de vie s’aggraver sur le plan sécuritaire au point d’atteindre un niveau jamais connu auparavant. Cela a conduit les Nations Unies à appeler à un déploiement d’une force de soutien spéciale pour freiner la plongée du pays dans la violence extrême. Un seul chiffre pour illustrer la détérioration de la situation : 3 mois à peine depuis le début de l’année, on déplore déjà 530 meurtres rien qu’à Port-au-Prince.

Des chiffres dignes d’un pays en guerre
Les affrontements entre gangs sont de plus en plus violents et fréquents, a averti dernièrement la porte-parole du bureau des droits de l’homme de l’ONU, exprimant une “grave préoccupation” quant à la situation sécuritaire qui échappe à tout contrôle. Selon l’agence de l’ONU, la capitale haïtienne connaît, à l’instar du reste du pays, une augmentation sensible de la criminalité liée aux gangs. En à peine quelques semaines, le nombre de personnes tuées se compte par centaines, sans parler des enlèvements et des citoyens blessés.

Pire, la plupart des victimes ne sont pas ciblées expressément par les gangs, mais sont tout simplement des victimes collatérales de balles perdues. En somme, beaucoup de personnes se trouvaient là au mauvais moment, au mauvais endroit. Or, actuellement, en Haïti, pas un quartier n’échappe à la criminalité. Même les secteurs riches sont la cible d’attaques de gangs qui espèrent toujours mettre la main sur des citoyens fortunés pour leur extorquer de l’argent. Un couple d’Haïtiens vivant en Floride en a malheureusement fait les frais dernièrement, et ce malgré les avertissements répétés de la famille qui essayait de dissuader Jean-Dickens Toussaint et son épouse Abigail Toussaint d’entreprendre leur voyage vers leur terre natale tant que la situation n’était pas stable. À l’heure où nous écrivons ces lignes, leurs ravisseurs exigent le paiement d’une rançon de 100 000 $, alors qu’ils demandaient au départ 6000 $, une somme qu’ils ont déjà reçue.
Bien que la violence soit devenue endémique en Haïti depuis de nombreuses années, elle s’est intensifiée au lendemain de l’assassinat de Jovenel Moïse en juillet 2021 dans sa résidence privée à Pétion-Ville. À un moment donné, les médias parlaient de chaos total, de troubles, de guerre civile, avant d’employer des mots plus forts comme génocide, voyant que les groupes armés semblent plus que jamais déterminés à détruire de manière méthodique les Haïtiens innocents. Il n’y a qu’à voir les chiffres pour s’en convaincre, puisque le nombre de morts donne le tournis et dépasse même certains pays en guerre.

L’hypocrisie des grandes puissances étalée au grand jour

La crise en Ukraine et la confrontation entre la Russie et l’Occident ont attiré une grande attention internationale. Les pays occidentaux ont rapidement réagi en apportant une aide militaire et humanitaire à l’Ukraine. Cependant, le même niveau d’attention et d’aide n’a pas été accordé à Haïti, qui fait face à une crise humanitaire et sécuritaire depuis des années. Un deux poids deux mesures qui interroge. La vie d’un haïtien vaut-elle donc moins que celle d’un Ukrainien, d’un Irakien ou d’un Afghan? Comment se fait-il que les États-Unis et le Canada envoient des aides d’urgence dans des pays lointains, alors qu’un pays ‘proche et ami’ demande de l’aide depuis des lustres sans être véritablement entendu.
Lors de sa récente visite au Canada, le Président américain Joe Biden a discuté avec son homologue Justin Trudeau afin d’essayer de le convaincre de diriger une intervention de sécurité visant à stabiliser Haïti. Sauf que le Premier ministre canadien ne semble pas non plus très motivé à s’aventurer dans une crise à l’issue très incertaine.
Les yeux se tournent également vers Lula, le Président socialiste brésilien nouvellement élu et qui est connu pour sa politique altermondialiste. De plus, le Brésil a été un grand contributeur de la mission de maintien de la paix (MINUSTAH) entre 2004 et 2017. Les militaires brésiliens disposent d’une certaine expérience du terrain, surtout que le Brésil est un des rares pays à maîtriser la guérilla urbaine puisqu’il est confronté lui aussi aux gangs et aux groupes armés qui sévissent dans les favelas. Mais là encore, le ministre des Affaires étrangères brésilien a douché tous les espoirs en excluant toute possibilité que le Brésil puisse envoyer dans un futur proche un nouveau contingent vers Haïti pour l’aider à faire face aux gangs. Et de préciser : “Je pense que nous devons chercher d’autres solutions – je ne sais pas si l’envoi de troupes ou d’une opération de maintien de la paix est la solution…Et je pense que d’autres pays pourraient également participer”.
En clair, tous les pays se renvoient la balle, laissant Haïti seul face à ses démons. Haïti ne peut pas compter non plus sur la Chine, une grande puissance en devenir qui aurait pu peser en sa faveur lors des débats internationaux, mais qui s’en abstiendra sans doute puisque Haïti fait partie des rares pays au monde à avoir des relations diplomatiques avec Taïwan, le grand rival politique de la Chine.
Voyant qu’aucun pays ne prenait les devants, l’ONU a décidé de lancer une énième fois un avertissement à la communauté internationale sur le risque de glissement définitif d’Haïti. Si on n’agit pas maintenant, il sera alors très difficile et beaucoup plus coûteux de rétablir l’ordre et la sécurité. Et ce d’autant plus que les gangs sont dorénavant politiquement connectés et contrôlent plus de la moitié de la capitale, alors que la police est aux abonnés absents et manque cruellement de ressources pour faire face.

Inaction aujourd’hui… boats people demain

Aujourd’hui, tout le monde sait que la situation en Haïti est intenable pour la population locale. Lors d’une visite dans notre pays le mois dernier, Volker Türk, haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, a averti qu’on risquait d’atteindre un point de rupture, qualifiant la situation d’enfer vivant, surtout que pas moins de 20 000 personnes se trouvent dans une situation de famine chronique.
Or, l’insécurité et la violence empêchent toute aider humanitaire d’arriver aux populations qui en ont grandement besoin. Ce qui oblige les Haïtiens à quitter leurs maisons, voire leur pays. Rien qu’à Port-au-Prince, on estime à 96 000 les personnes qui ont dû quitter leur domicile pour fuir ‘’les combats’’. Or, n’ayant nulle part où aller, beaucoup voient les États-Unis comme le dernier refuge où ils pourront vivre sereinement.
La violence généralisée a créé un climat de peur et d’instabilité, menant à une crise humanitaire sans précédent. Si les États-Unis n’interviennent pas pour aider à résoudre cette situation, il y a un risque réel d’un afflux important de réfugiés haïtiens cherchant à fuir la violence et la pauvreté extrême. L’histoire nous a montré que les crises humanitaires, les conflits et les instabilités politiques ont souvent été suivis par des vagues migratoires importantes. Le gouvernement américain devrait en être conscient, lui qui a vu par le passé l’afflux massif de Cubains et de Vietnamiens par exemple.
Les conditions de vie en Haïti sont déjà extrêmement difficiles, avec un taux de pauvreté élevé, des ressources limitées et une infrastructure médiocre. Une crise migratoire ne ferait qu’aggraver la situation, à la fois pour les Haïtiens eux-mêmes et pour les pays voisins qui pourraient être submergés par l’afflux de réfugiés. Ne soyons pas étonnés si dans un futur proche, nous voyons apparaître des boats people, c’est-à-dire des migrants prenant des risques considérables pour tenter de fuir leur pays à bord de bateaux de fortune, avec toutes les conséquences que cela pourrait engendrer.
Il est plus que jamais que les États-Unis, sous l’égide de l’ONU, prennent des mesures en leur qualité de superpuissance régionale et mondiale pour aider à résoudre la crise en Haïti. Idéalement, il faudra que les Américains travaillent avec les autorités locales crédibles et représentant la population pour stabiliser la situation sécuritaire et fournir une aide humanitaire aux populations touchées. Autrement, Haïti risque de s’enfoncer dans une crise sans fin dont tout le monde sortira perdant.

Dessalines Ferdinand
Le Floridien 29 mars 2023

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