PORT-AU-PRINCE — À chaque saison des pluies, les Haïtiens revivent le même calvaire. Des torrents de détritus traversent les rues et mettent à nue la vétusté des infrastructures d’évacuation des eaux, mais surtout la mauvaise gestion des déchets par les pouvoirs publics. Il faut dire qu’Haïti fait office de mauvais élève du continent américain lorsqu’il s’agit de collecter les déchets solides, puisqu’il arrive bon dernier avec un pourcentage de collecte qui avoisine les 12%. Même certains pays africains comme le Ghana ou le Mali font beaucoup mieux avec respectivement 85% et 40% de taux de collecte.

La situation désastreuse que nous vivons actuellement est le fruit d’un laisser-aller des différents gouvernements successifs. Aujourd’hui, nous commençons à en payer le prix et à ressentir les effets néfastes de cette négligence collective. Et ce n’est qu’un début, car les prévisions pour les prochaines années sont très alarmistes.

Gestion des déchets, que fait le gouvernement?

Nous avons tous en mémoire les images retransmises en boucle par les chaînes de télévision montrant des rues de Port-au-Prince submergées par des torrents de déchets en tout genre : bouteilles et sacs en plastique, assiettes et gobelets en polystyrène (PSE ou Styrofam), emballages, canettes … À chaque fois que la pluviométrie augmente, les rues de la capitale sont parfois le théâtre de scènes surréalistes. Il faut dire que feu le Service métropolitain de collecte de Résidus solides (SMCRS), transformé récemment en Service National de Gestion de Résidus Solides (SNGRS), est depuis longtemps dépassé par l’ampleur de la tâche, faute de moyens humains et matériels.

Rien que la région métropolitaine de Port-au-Prince doit faire face chaque jour à 7000 tonnes de déchets en moyenne. Or, les autorités locales ne sont pas assez outillées pour traiter ce flux de manière optimale. Aussi bien le ramassage des ordures que leur traitement restent bien en deçà des normes internationales. Dans certaines régions du pays, comme Cité Planteau à Ouanaminthe, c’est la débrouille et le système D qui prévalent. Les habitants vivent entourés de décharges à ciel ouvert. Les moustiques, les rats, les mauvaises odeurs et les porcelets qui se gavent de restes font dorénavant partie du décor. On ne compte plus les problèmes de santé liés à cette insalubrité malsaine. Les cas des maladies dermatologiques et intestinales ont augmenté de façon dramatique ces dernières années, surtout chez les enfants et les personnes âgées qui sont les plus vulnérables. La contamination de l’air et des sols est devenue une vraie préoccupation de santé publique. Plusieurs associations qui viennent en aide aux plus démunis dans les quartiers défavorisés tirent la sonnette d’alarme et prédisent une crise humanitaire à grande échelle si rien n’est fait dans les plus brefs délais.

Les pouvoirs publics eux font la sourde oreille et ne semblent pas pressés d’appréhender le problème à bras le corps. Aussi bien le président Moïse que son prédécesseur Martely s’enferment dans des promesses sans lendemain. Au mieux, enjoignent-ils les municipalités à procéder à un curage des ravines et des canaux de drainages à l’approche des élections.

Un danger pour le futur de nos enfants

Pour avoir une idée sur la situation qui prévaut en ce moment en Haïti concernant la gestion des déchets, il suffit d’imaginer un locataire qui stocke tous ses détritus dans un placard sans se préoccuper de l’avenir. C’est se voiler la face que de croire que le fait de cacher notre rebut du regard va le faire disparaître comme par enchantement. Malheureusement, la réalité sur le terrain est sensiblement ressemblante. Dans certains coins de la capitale, les camions à benne ramassent les ordures pour les jeter dans d’autres quartiers quelques kilomètres plus loin.

Les citoyens eux se plaignent du manque de bennes de collecte pour y mettre leurs déchets. Il n’est pas rare de voir une benne à ordure totalement ensevelie sous les détritus, ne pouvant couvrir les besoins des populations environnantes. Parallèlement à cela, il manque clairement des camions de ramassage. Les rotations demeurent insuffisantes pour couvrir l’ensemble du territoire, et ce même lorsque les balayeurs des municipalités apportent leur aide pour faciliter leurs passages.

L’autre problème concerne le manque de volonté des pouvoirs publics qui tardent à mettre en place une véritable politique de recyclage. Si les détritus organiques peuvent facilement être utilisés comme composte pour l’agriculture, les déchets non biodégradables constituent eux une réelle menace pour l’environnement. Ainsi, les composants toxiques des différents déchets solides n’ayant pas subi de traitements adaptés peuvent s’infiltrer dans les sols pour se retrouver en bout de chaîne dans nos assiettes.

La gestion des déchets est un problème auquel doivent faire face tous les pays du monde. Beaucoup n’ont pas attendu le point de non-retour pour prendre des mesures volontaristes. Il ne suffit pas de voter des lois, mais il faut surtout les faire appliquer. Depuis 2012, les sacs en plastique et les emballages en polystyrène sont par exemple interdits en Haïti. Le Premier ministre de l’époque, Laurent Lamothe, voulait ainsi protéger le littoral national et préserver son écosystème naturel. Pourtant, on continue à en trouver aujourd’hui encore dans les marchés, et ce d’autant plus que les rares opérations coup de poing organisées par le gouvernement contre les sacs en polyéthylène ne semblent pas être assez dissuasives.

La société civile se mobilise malgré des moyens limités

C’est aux pouvoirs publics de trouver une solution contre l’insalubrité qui touche nos villes. Des investissements conséquents doivent être effectués pour doter les municipalités de moyens adéquats afin qu’elles puissent mieux faire face aux défis auxquels elles sont confrontées. Surtout que le tonnage des déchets ne cesse de croitre d’année en année. Il est également primordial d’avoir une vision sur le long terme en privilégiant notamment le recyclage.

En parallèle, des campagnes de sensibilisation doivent être tenues périodiquement afin d’éduquer la population sur la nécessité de recycler leurs déchets. Souvent parties prenantes dans ce genre d’initiatives, la société civile joue un rôle central pour éduquer la population et lui montrer les bons gestes à adopter, notamment quand il s’agit de trier les différents composants. Lorsque l’on sait qu’une simple bouteille en plastique met 400 ans à se dégrader, ou qu’un emballage en polystyrène met 1000 ans, on prend mieux conscience de la faramineuse dette écologique que nous sommes en train de laisser à nos enfants.

Le Floridien, 15 avril 2019

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