Par Dessalines Ferdinand
L’équipe haïtienne masculine de football a une fois de plus réalisé un énorme exploit en éjectant le Canada de la Gold Cup édition 2019. Les Grenadiers étaient pourtant menés 2-0 à la pause et semblaient se diriger tout droit vers l’élimination. C’était sans compter sur la détermination et le courage des poulains de l’entraîneur français Marc Collat qui ont sorti une fin de match époustouflante. Retour sur une “Remontada” historique qui restera dans les annales de notre équipe nationale.
Début de match compliqué pour les Grenadiers
Depuis quelques mois déjà, on sentait cette équipe haïtienne capable d’aller loin dans les tournois majeurs et réaliser de grandes performances. Le premier tour de la Gold Cup édition 2019 venait confirmer les prévisions des spécialistes du ballon rond avec un carton plein sur trois matchs : 2-1 contre les Bermudes, 2-0 contre le Nicaragua, et surtout, une belle victoire 2-1 contre le Costa Rica, premier adversaire sérieux du tournoi qui avait notamment participé à la dernière Coupe du Monde en Russie.
Les Grenadiers ont terminé premiers de leur groupe B, avec un total de 9 points sur 9 possibles. Cerise sur le gâteau, ils n’ont encaissé que 2 buts durant cette phase préliminaire, raflant par la même occasion le titre de deuxième meilleure défense derrière les Etats-Unis. C’est donc avec une confiance gonflée à bloc que la formation haïtienne allait aborder les quarts de final. Sur son chemin, elle allait croiser le fer avec le Canada. Une équipe qui ne réussit pas beaucoup aux Haïtiens puisqu’en 9 confrontations, Haïti n’a gagné qu’une fois. C’était en …. 1973. C’est dire si la tâche allait être ardue.
Et les premières minutes de la rencontre confirmaient malheureusement la froide réalité des statistiques. Dès l’entame du match, les Canadiens mettaient en effet d’emblée la pression sur le gardien haïtien Placide qui a dû sortir quelques belles parades pour garder ses cages inviolées. Mais à la 18e, le portier de 31 ans qui évoluait l’an dernier à Oldham en Angleterre (actuellement sans club) n’a rien pu faire face au puissant tir de Jonathan David. Un but qui aurait pu être évité si la défense haïtienne n’avait pas baissé sa garde sur son côté gauche en laissant l’attaquant canadien d’origine haïtienne esseulé dans la surface de réparation à la suite d’un coup franc rapidement joué.
En voyant les Haïtiens sonnés par ce premier but marqué assez tôt dans la rencontre, les Canadiens vont continuer à aller de l’avant pour essayer de donner l’estocade et plier le match. À la 24e minute, un coup franc plein axe du Canadien Davies a failli faire mouche en venant s’écraser sur l’équerre du gardien de but haïtien. Cet avertissement sans frais n’a pas pour autant réveillé les Haïtiens de leur torpeur. Et ils allaient le payer cash 3 minutes plus tard avec une nouvelle action canadienne qui a su déjouer le piège du hors-jeu de la ligne de défense haïtienne. Cavallini se retrouvait ainsi seul face au gardien Placide après une passe en profondeur de son coéquipier Arfield. L’attaquant canadien se débarrassait facilement du dernier rempart et n’avait plus qu’à glisser le cuir dans des cages vides. Avec un score de 2 buts à 0 au tableau d’affichage et une équipe haïtienne pas très inspirée, la messe était dite. Surtout que la chance semblait elle aussi avoir choisi son camp puisqu’une demi-volée d’anthologie de Donald Guerrier à la 38e minute de jeu était repoussée par le gardien de but canadien Borjan qui s’illustrait avec un beau plongeon.
Lorsque l’arbitre de la rencontre Mr Marrufo siffla la fin de la première période, les deux équipes regagnaient les vestiaires avec d’un côté, des Haïtiens abattus et démoralisés, et de l’autre, des Canadiens tout sourire qui avaient déjà la tête au prochain match. Haïti a certes réussi à renverser la vapeur contre le Costa Rica quelques jours plus tôt, mais cette fois-ci, il fallait remonter 2 buts d’écarts face à une équipe canadienne qu’ils n’ont plus battue depuis plus de quatre décennies. Pour beaucoup, c’était tout bonnement mission impossible. Sauf que…!
Une deuxième mi-temps historique !
Les 70 000 spectateurs présents ce samedi 29 juin au NRG Stadium à Houston ne savaient pas qu’ils étaient sur le point de vivre un retournement de situation improbable qui fait la beauté de ce jeu qu’est le football. Dès le retour des vestiaires, les Grenadiers montrent un nouveau visage et ont l’air complètement métamorphosés. Ils exercent désormais un pressing assez haut sur l’adversaire pour le pousser à l’erreur. Et cette stratégie va vite se révéler payante puisqu’à la 50 minutes, l’infatigable Nazon profite d’une molle remise du défenseur Marcus Godinho vers son gardien pour lui chiper le ballon et le mettre au fond. Le score évolue à 2-1et le public sent que le vent commence à tourner.
Signe qui ne trompe, au lieu de manifester sa joie suite à son but, Nazon est allé lui-même chercher le ballon au fond des filets pour le replacer dans le rond central afin de ne pas perdre de temps. Les Grenadiers sont de retour, ils ont faim et ils le font savoir ! En face, les remontrances du gardien canadien envers son défenseur laissent entrevoir un début de panique chez les Canucks. Sur le banc de touche, le coach Marc Collat a lui aussi senti une certaine nervosité gagner ses adversaires du jour. C’est à ce moment-là du match qu’il décide d’injecter du sang neuf en faisant entrer Étienne à la place de Pierrot. Un remplacement poste pour poste censé donner encore plus d’élan à la révolte haïtienne et plus de latitude à Nazon à l’avant.
À la 67e minute, le défenseur canadien Marcus Godinho, toujours lui, va une nouvelle fois s’illustrer avec un tacle assassin qui va tout arracher sur son passage : jambes, pelouse et crampons. L’arbitre siffle un pénalty sans hésiter. La faute est si flagrante qu’aucun joueur canadien ne prend la peine de protester. Bazile se charge d’exécuter la sentence. Sans trembler, il prend le gardien canadien à contre-pied et met par la même occasion les deux équipes à égalité parfaite. 2-2.
Tout est à refaire pour les Canadiens qui ont pris un sacré coup sur la tête. Les Haïtiens eux sont sur un nuage et vont montrer qu’ils n’ont pas atteint ce stade de la compétition par hasard. Ils réussissent tout ce qu’ils entreprennent. À la 76e minute, Guerrier, qui n’a jamais aussi bien porté son nom, va marquer un but de classe mondiale à la suite d’un joli mouvement collectif. Au départ de l’action, c’est Nazon qui va étaler tous ses talents de dribbleur en éliminant avec une facilité déconcertante deux défenseurs canadiens. Il va continuer son festival en adressant un bijou de centre dans le dos de la défense vers son coéquipier Guerrier. Ce dernier va enchainer avec un jongle de génie qui va mystifier le gardien canadien avant de mettre le ballon au fond de ses cages. 3-2. Le banc de touche des Grenadiers exulte. Le public lui n’en revient pas face à un scénario hitchcockien. Tout le monde scande le nom d’Haïti dans les gradins avec ferveur.
À la 83e minute, les Canadiens ont cru un court instant revenir au score à la suite d’un but de Hutchinson, un but finalement non accordé pour un hors-jeu signalé juste avant par le juge de ligne qui avait levé son drapeau. Le coach des Grenadiers a continué de son côté à faire tourner l’effectif pour tenir le score jusqu’à la fin. Herivaux et Bissainthe ont ainsi fait leur entrée à la place de Guerrier et Sabat. À l’issue du temps réglementaire, les remplaçants et le staff des Grenadiers ne tenaient plus en place. Ils attendaient avec impatience le coup de sifflet final de l’arbitre, synonyme de délivrance et de qualification pour les demi-finales. C’était chose faite après 3 interminables minutes de temps supplémentaire. Ça y est ! Ils l’ont fait ! Les Haïtiens envahissent le terrain et laissent éclater leur joie. Ils ont rendu l’impossible possible au terme d’un match inoubliable. Quelques milliers de kilomètres plus loin, en Haïti, les irréductibles fans de l’équipe nationale sont au septième ciel et envahissent les rues du pays pour exprimer leur bonheur.
Les Grenadiers sont déjà les grands gagnants du tournoi
Le prochain adversaire de l’équipe nationale en demi-finale sera le Mexique. Un poids lourd du ballon rond, habitué aux grandes compétitions mondiales et qui a déjà un riche palmarès à l’échelle continentale. Quel que soit le résultat du prochain match, on peut d’ores et déjà dire que les Grenadiers sont les premiers grands gagnants de ce tournoi. Ils ont réalisé un exploit inédit dans l’histoire du pays en réussissant à atteindre le dernier carré de la Gold Cup. En plus de déjouer tous les pronostics, la bande à Nazon nous a aussi émerveillés par la qualité de son jeu et impressionnés par sa force de caractère et sa foi inébranlable en ses capacités. L’exploit des Grenadiers tombe à pic et vient redonner un peu d’espoir et de gaieté à une population lassée par les crises à répétitions qui secouent le pays et qui est confrontée à un quotidien difficile. L’équipe nationale nous a donné, à l’issue de son match face au Canada, une bonne leçon de morale : même lorsque vous êtes au plus bas, il ne faut jamais renoncer. Mille mercis les Grenadiers de continuer à nous faire rêver. On vous doit déjà beaucoup.