Ce n’est pas une série d’action populaire, mais c’est tout comme! Jeudi dernier (25 février), la prison civile de la Croix-des-Bouquet allait connaître une des évasions les plus spectaculaires de l’histoire du pays. À la suite d’une mutinerie sanglante, des centaines de prisonniers ont réussi à se faire la belle. Malheureusement, le bilan sur le plan humain est particulièrement lourd. Malgré un retour au calme au sein de cet établissement pénitencier qui n’en est pas à sa première évasion de masse, un certain nombre de questions demeurent!

La journée commence par une mutinerie sanglante

À leur réveil ce jeudi matin, les habitants de Croix-des-Bouquets dans la banlieue de Port-au-Prince étaient loin de se douter qu’ils allaient vivre une journée cauchemardesque. En effet, au sein de la prison civile à proximité qui compte 1542 détenus, la tension est palpable. Les matons sentent que quelque chose se trame parmi les prisonniers, et ils ne vont pas tarder à le découvrir, puisqu’une violente mutinerie armée va surprendre les gardes de la prison. Pourtant, ce centre pénitencier dont la construction fut financée par le Canada, est considéré comme le plus moderne et le plus sécurisé en Haïti!

Il n’a pas fallu beaucoup de temps aux détenus pour maitriser leurs geôliers. Lors de cette opération, le Directeur de la prison a été pris en otage et conduit vers l’armurerie où les prisonniers ont pu s’emparer de nouvelles armes, en plus des armes déjà confisquées aux gardiens. L’affrontement sanglant qui aura lieu par la suite engendrera 7 morts parmi les prisonniers, mais surtout, le décès du Directeur de prison, l’inspecteur Hector Paul Joseph, qui a été lâchement exécuté.

À l’extérieur de la prison, en entendant les coups de feu retentir, la population avoisinante sait que la prison Croix-des-Bouquets est en ébullition. Tout d’un coup, les passants effarés voient sortir d’un peu partout les premiers fugitifs. Certains citoyens bravent le danger et réussissent à prendre des photos et des vidéos avec leurs téléphones portables pour les poster sur les réseaux sociaux. On y voit des prisonniers qui sautent par-dessus les murs du centre pénitencier, alors que d’autres courent dans la rue, arme à la main. Des scènes ahurissantes qui laissent les habitants du coin sans voix. Rapidement, chacun se cache comme il peut de peur d’être pris pour cible. Mais déjà, les premiers corps commencent à joncher le sol suite à des tirs croisés entre les fuyards et les renforts de police qui viennent d’arriver.

La chasse à l’homme commence

Le centre pénitencier Croix-des-Bouquets hébergeait 1542 prisonniers, alors qu’il a été conçu pour n’en recevoir que 872 maximum. Parmi les évadés, le nom d’Arnel Joseph émerge rapidement. Connu pour être un puissant et dangereux chef de gang, il en est à sa troisième évasion après celle de 2010 et 2017. Cette fois, la fuite d’Arnel Joseph sonne comme une humiliation pour les autorités qui avaient déjà eu le plus grand mal à mettre la main sur lui en 2019. À l’époque, Arnel Joseph était même devenu l’homme le plus recherché en Haïti. Par ailleurs, d’après les premiers éléments de l’enquête, la mutinerie a éclaté dans l’aile où est logé Joseph, ce qui laisse à penser que celui-ci ne serait peut-être pas étranger à la planification de cette grande évasion.

Une fois le calme rétabli dans et autour de la prison grâce à l’intervention des forces de l’ordre, l’heure de faire un premier bilan a sonné. Cette tâche reviendra à Frantz Exantus, secrétaire d’État à la communication qui va se présenter devant les caméras, la mine déconfite. Les chiffres qu’il communique sont sidérants, puisque le bilan humain montre à 25 morts, dont la grande majorité est constituée d’innocents civils qui ont été tués en dehors de la prison. On déplore également de nombreux blessés par balles qui ont été conduits vers les hôpitaux les plus proches pour recevoir les premiers soins.

Quant aux évadés, on parle du chiffre faramineux de 400 fugitifs. Le nouveau secrétaire d’État a aussi tenu à préciser que des complices armés se trouvant à l’extérieur de la prison ont manifestement participé à cette évasion spectaculaire. Ce qui laisse à penser que cette opération a été minutieusement préparée, sûrement des semaines à l’avance. Bien que les faisceaux se dirigent vers Arnel Joseph, on attendra les conclusions de l’enquête officielle pour en savoir plus.

La responsabilité gouvernementale pointée du doigt

Les forces de police ont effectué une opération de ratissage pour retrouver les fugitifs. Comme a dit le ministre, certains portent des menottes et ne peuvent pas aller bien loin. Ainsi, 200 évadés ont regagné leurs cellules, alors que les 200 autres sont toujours dans la nature. Quant à Arnel Joseph, il a été abattu vendredi dernier à 120 km de la prison où il s’est évadé. Celui qui fut à un moment l’homme le plus recherché d’Haïti circulait à bord d’une moto lorsqu’il est tombé sur un barrage de contrôle. Fidèle à lui-même, le sanguinaire criminel a préféré s’attaquer à la patrouille de police plutôt que de se rendre. Les forces de l’ordre ont donc dû dégainer leurs armes pour maitriser Arnel Joseph qui fût tué sur le coup. Certaines rumeurs disent que la police s’est empressée de liquider Arnel Joseph car il avait des révélations compromettantes à faire lors de son procès. Il était de notoriété que l’ex-criminel avait des liens avec certains politiciens, et que son passage devant la cour de justice promettait d’être explosive. Étant mort, Arnel Joseph va emporter ses secrets avec lui dans sa tombe.

La neutralisation d’Arnel Joseph et la capture de 200 fugitifs ne suffisent pas à cacher la responsabilité, ou plutôt l’irresponsabilité du gouvernement dans cette évasion scandaleuse qui a coûté la vie à plusieurs innocents. Comme toujours, le gouvernement a agi de manière réactive et non proactive. En effet, comment expliquer par exemple qu’un dangereux criminel du calibre d’Arnel Joseph ne soit pas mis en isolement ou sous haute protection? Comment se fait-il qu’après deux évasions réussies, les autorités n’aient retenu aucune leçon? N’eût été la vigilance de la patrouille de police, Arnel Joseph serait en ce moment même en train de narguer le gouvernement à travers les réseaux sociaux, et de reconstituer son gang pour terroriser à nouveau la population. L’État haïtien dit qu’il veut mettre fin aux violences et aux enlèvements, mais il n’est même pas capable de garder en prison les criminels les plus dangereux que compte ce pays. Comme toujours, nous faisons un pas en avant et deux pas en arrière!

Dessalines Ferdinand
LE FLORIDIEN, 27 février 2021

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