Avec les troubles sociopolitiques qui secouent notre pays ces dernières années, on s’attendait à tout, sauf à ça! L’assassinat du Président de la République chez lui, devant sa femme et ses enfants. Si de son vivant, Jovenel Moïse était loin d’être populaire parmi les Haïtiens, l’attaque dont il a été victime a été unanimement condamnée par toutes les composantes de la société haïtienne, même ceux de l’opposition. Il faut dire qu’au-delà de l’homme, c’est le cœur du pouvoir et le symbole de la nation haïtienne qui fut visé aux premières heures du mercredi 7 juillet 2021.

Une attaque barbare menée par des mercenaires étrangers

Le soir du mardi 6 juillet, Jovenel Moïse se trouve dans sa résidence privée à Pèlerin 5, situé dans la banlieue de Port-au-Prince, avec sa femme et deux de ses trois enfants. Les membres de la petite famille présidentielle étaient loin de se douter que leurs vies aller basculer à jamais dans quelques heures. En effet, non loin de là, un commando composé principalement de mercenaires colombiens se prépare pour mener une attaque éclair contre le Président de la République.

Vers minuit, plusieurs véhicules tout-terrain s’approchent de la villa où se trouve le Président. Munis de mégaphones, les mercenaires déclarent en anglais qu’il s’agit d’une opération du DEA et enjoignent les habitants du quartier à rester cloitrés chez eux pour ne pas perturber l’opération. Quelques instants plus tard, les premiers coups de feu retentissent et vont se poursuivre pendant environ 2 heures. Les voisins de Jovenel Moïse comprennent alors qu’il s’agit d’une attaque contre lui, peut-être un coup d’État.

Tôt mercredi matin, c’est le Premier ministre a.i. sortant Claude Joseph qui allait annoncer la terrible nouvelle. Le Président de la République, Jovenel Moïse, a été tué dans d’horribles circonstances. On apprendra plus tard que Jovenel Moïse a été probablement torturé sous les yeux de sa femme avant d’être exécuté. L’autopsie révélera que le corps du Président a été atteint par 12 projectiles de 9mm, notamment au niveau du front, du thorax, de l’abdomen et du fémur qui a été fracturé. Les médecins légistes ont également noté que l’œil gauche du président a été crevé, que son bras a été cassé, qu’une partie du crâne a été fracturée par ce qui semble être le coup de grâce porté à Jovenel Moïse alors que celui-ci était déjà allongé sur le sol. Des photos de l’autopsie ont d’ailleurs fuité et ont été diffusées sur internet, ce qui n’a fait qu’accentuer l’indignation générale et le sentiment de dégoût.

Une police étonnamment efficace traque les commanditaires de l’attaque

Dès qu’elle a su que la résidence privée du Président était attaquée, les forces de l’ordre se sont immédiatement rendues sur place. Là, les policiers découvrent beaucoup de douilles de 5,56 mm et 7,62 mm jonchant le sol à l’entrée de la résidence. Ils trouveront le corps de Jovenel Moïse inanimé avec les habits maculés de sang. Sa femme a elle aussi été touchée par des projectiles au niveau du bras, de la jambe et de l’abdomen. Elle est immédiatement emmenée à l’hôpital, avant d’être transférée à Miami le surlendemain une fois que les médecins ont réussi à stabiliser son état. Lors de l’attaque, la fille du couple présidentielle, Jormalie Moïse, s’est réfugiée dans la chambre de son frère, alors que le bureau et la chambre du Président ont été saccagés par les assaillants qui ont pris soin d’emporter avec eux le carnet de chèques du couple présidentiel ainsi que les données des caméras de surveillance.

Dès lors, la police nationale commence la traque des mercenaires. Ils sont 28 au total, 26 combattants colombiens, et 2 haïtiano-américains qui disent être de simples traducteurs. La population, choquée par l’assassinat du Président, collabore avec les forces de l’ordre pour mettre la main sur les membres de ce commando. Et cela paie puisque quelques heures à peine après l’attaque, les premiers suspects sont arrêtés. 3 mercenaires qui ont résisté à leur arrestation ont été tués. Les autres ont cherché à trouver refuge au sein de la représentation diplomatique taïwanaise. Encerclés, ils ont fini par se rendre. Les télévisions du monde entier ont alors montré en boucle l’arrestation des mercenaires colombiens. Ces derniers ont été alignés sur le sol dans un immeuble de la police. Face à eux, la police a exposé à la presse les armes, les passeports, les téléphones et l’argent qu’ils portaient sur eux (on parle de plus de 40.000$).

Immédiatement, les autorités colombiennes ont offert leur aide via Interpol pour fournir toutes les informations sur ses ressortissants dont la plupart sont d’anciens militaires reconvertis en mercenaires. Les États-Unis aussi proposent leur soutien logistique et financier pour mener à bien l’enquête et remonter jusqu’aux instigateurs de cet assassinat, et ce d’autant plus que l’agence de sécurité qui a recruté les mercenaires est basée à Miami.

D’ailleurs, la police n’a pas mis longtemps avant d’attraper un des présumés organisateurs de l’assassinat du Président. Il s’agit de Christian Emmanuel Sanon, un haïtien installé en Floride depuis 20 ans et qui est revenu en Haïti au mois de juin en jet privé avec pour objectif affiché de déloger Jovenel du pouvoir. Loin d’éclaircir les mystères entourant l’assassinat du Président, l’arrestation de Sanon accentue encore plus la confusion puisque le profil de Sanon ne colle pas avec plusieurs éléments fournis par l’enquête policière.

De nombreuses zones d’ombre persistent

Plus les jours passent, et plus des interrogations émergent sur les réels commanditaires de l’assassinat du Président de la République. Comment certains mercenaires qui vivaient depuis plusieurs mois en Haïti et percevaient 3000$ par mois pouvaient être payés par Sanon, alors que ce dernier a déclaré faillite il n’y a pas si longtemps et qu’il n’avait pas le droit d’exercer la médecine en Floride. Cela montre que Sanon n’est qu’un homme de paille étant donné qu’il n’a pas les moyens financiers pour mener une opération d’une telle envergure. Ceux qui l’ont côtoyé parlent aussi d’un homme un peu fou qui a la tête dans les nuages. Les véritables instigateurs de l’assassinat de Jovenel Moïse pourraient l’avoir manipulé, surtout qu’il a le profil du coupable idéal.

Il y a aussi le cas intrigant de tous ces mercenaires. La plupart disent qu’ils étaient là d’abord pour ‘’assurer la sécurité’’ de Mr Sanon, puis que leur mission a changé au dernier moment. Aussi, certains d’entre eux déclarent que lorsqu’ils sont arrivés pour arrêter le Président, celui-ci était déjà mort. La Première dame ayant été un témoin clé, elle pourra corroborer ou démentir cette version et dire qui a vraiment tué son mari.

L’autre question qui se pose, c’est pourquoi les mercenaires ne se sont pas enfuis de la capitale après avoir commis leur méfait? N’avaient-ils pas un plan de sortie? Même l’ambassadeur américain avait estimé après-coup que le commando était probablement déjà reparti à l’étranger au lendemain de l’attaque, car c’est le mode opératoire logique des mercenaires. Mais ce ne fut pas le cas!

Mais ce qui intrigue le plus, c’est clairement la passivité de la sécurité rapprochée du Président ce soir-là. En effet, à part Jovenel Moïse et sa femme, il n’y a eu aucun autre blessé. Surtout, les mercenaires n’ont pas eu à tirer le moindre coup de feu pour entrer dans la résidence, comme si des complices leur ont ouvert les portes. Ces incohérences n’ont pas échappé au commissaire du gouvernement haïtien, Mr Bed-Fort Claude, qui a demandé la liste complète des policiers en poste cette nuit-là. Une liste qui se fait toujours attendre et qui montre que les responsables de la sécurité du Président ont certainement des choses à se reprocher. Au mieux ils n’ont pas bien fait leur travail, au pire ils sont complices.

Par ailleurs, le Directeur général de la police colombienne, le Général Jorge Luis Vargas, émet de réels doutes sur l’intégrité de Dimitri Hérard, commissaire responsable de l’Unité de sécurité générale du Palais national. D’après le Général Vargas, Mr Hérard s’est déplacé 7 fois cette année en Colombie, en Équateur et au Panama. Pourquoi faire? Aussi, la société de sécurité privée que détient Dimitri Hérard aurait des liens avec la firme CTU Security LLC basée à Miami et qui a recruté les mercenaires colombiens. Cela sans oublier que Dimitri Hérard fait l’objet d’une enquête pour trafic d’armes. Autant d’éléments qui jettent de sérieux doutes sur ce deuxième personnage clé et qui pourraient nous mener vers le ou les architectes de cette attaque qui a choqué non les Haïtiens, mais le monde entier.

D. Ferdinand/LE FLORIDIEN
15 Juillet 2021

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