Ces dernières années, les bandes criminelles sévissant dans notre pays paralysent la vie économique et empêchent la population de vivre normalement. Mais depuis quelques semaines, la violence a redoublé d’intensité, à tel point que certains n’hésitent pas à dire qu’Haïti a plongé dans la guerre civile. Le chaos actuel est tel, que plus personne ne sait qui contrôle quoi et qui se bat contre qui. L’État central est inexistant et la population est livrée à elle-même, ou plutôt à des gangs qui contrôlent de larges territoires qu’ils administrent comme s’il s’agissait d’un État dans l’État. Et la situation est de plus en plus tendue sur place, faisant craindre un embrasement généralisé, ou comme disent les experts, une somalisation du conflit.
Une violence inouïe et quotidienne
Ces derniers temps, les gangs redoublent d’imagination lorsqu’il s’agit de commettre des crimes et des atrocités. Une sorte de compétition tacite s’est instaurée pour celui qui se montrera le plus brutal, le plus inhumain, le plus violent. Chaque semaine, on sort du rationnel pour plonger dans une sauvagerie sans nom. Bien entendu, les premiers à payer le prix fort de cette horrible ‘compétition’ entre gangs sont les haïtiens, quels que soient leur âge, sexe ou milieu socio-professionnel.
Récemment, on n’assiste pas seulement à des confrontations entre les gangs et la police, mais aussi à des confrontations entre les gangs désireux d’agrandir leur territoire. Quelques chiffres édifiants montrent à quel point la violence a franchi un nouveau cap. Début juillet, en à peine 1 semaine, on a dénombré pas moins de 200 morts selon des chiffres publiés par l’ONU. En 10 jours, le chiffre est monté à 470. Et on parle ici seulement des victimes recensées, car beaucoup d’autres ne sont pas répertoriées. Certaines associations de défense des droits de l’homme estiment que ce chiffre devrait être multiplié par 2 ou 3 pour s’approcher de la vérité sur le terrain. Au-delà des chiffres, ce qui inquiète le plus, c’est qu’on est entré dans une sorte de banalisation de la violence. En somme, le citoyen haïtien semble plus que jamais résigné et impuissant face à une situation qui le dépasse.
En ce mois de juillet, les combats entre gangs ont redoublé d’intensité. Pire, alors qu’ils étaient cantonnés aux quartiers chauds de la capitale comme Cité Soleil, les combats se sont propagés au centre-ville. Les hommes des gangs G9 et G-Pèp se sont livrés à des batailles rangées d’une violence inouïe. La police, complètement dépassée par la puissance de feu des différents protagonistes, ne pouvait faire grand-chose. Mal équipée, en sous nombre, démotivée, la Police Nationale d’Haïti (PNH) ne sert plus à grand-chose.
Aux dernières nouvelles, le gang de G9 cherche à étendre son territoire, notamment au niveau de Bel-Air. Sauf que le gang rival, le G-pèp, ne semble pas disposé à se laisser faire, d’où les confrontations sanguinaires qui ont débordé sur les autres quartiers de la capitale. Dans ce chaos général, on déplore également des évasions d’une prison située à proximité. Des évadés qui retrouvent le chemin de la liberté et qui viendront agrandir le rang des criminels, comme s’il y’en avait pas déjà assez!
Les gangs n’ont plus peur de personne
Au-delà de la mainmise des gangs sur notre pays, ce qui inquiète le plus, c’est l’écroulement total des forces de l’ordre. Les revers se succèdent et se ressemblent. Certes, le chef actuel de la PNH, Franz Elbe, tient un discours qui se veut rassurant. Mais les faits ne lui donnent pas raison. Loin de là!
Dernièrement, il a changé de discours. Il reconnaît enfin que la police nationale n’a pas les moyens pour défendre la population : ‘’on fait ce qu’on peut’’ a-t-il lancé à un journaliste étranger qui l’interrogeait sur les moyens déployés par les forces de l’ordre pour endiguer la criminalité. Et de renchérir : “Les gangs changent leur façon de se battre. Avant c’était avec des couteaux, et maintenant c’est avec de grosses armes. La police doit être bien équipée. Avec le peu qu’on a, on fera ce qu’on peut pour combattre le gang membres ».
En face, les gangs s’équipent de mieux en mieux, notamment des armes de guerre. Lorsqu’ils arrosent le quartier en balles gros calibre, difficile pour la police de réagir. Tout ce qu’il lui reste alors à faire est de se cacher dans des véhicules blindés lorsqu’elle en dispose, en attendant que la tempête passe. Ce scénario est devenu presque routinier, d’où le fatalisme de la population qui n’y croit plus vraiment.
Et pour ne pas arranger les choses, le trafic d’armes accentue le déséquilibre de rapport de forces. On voit donc mal comment la PNH pourrait, dans un avenir proche en tout cas, renverser une situation qui semble compromise.
Un futur sombre faute de vision et d’implication pour sauver le pays
Le constat face à cette guerre civile qui ne dit pas son nom, c’est une impuissance générale ressentie par l’ensemble des forces vives du pays. Il faudrait une mobilisation de toutes les composantes de notre société pour espérer venir à bout du problème de la violence. Si chacun agit seul dans son périmètre sans coordination ni soutien avec d’autres parties, alors son action sera certainement vouée à l’échec. Car le défi en Haïti est énorme, pour ne pas dire gigantesque. Il semble d’ailleurs de plus en plus clair qu’un soutien international est indispensable, notamment sur le plan matériel et humain. La Police Nationale d’Haïti (PNH) a besoin d’appui logistique pour espérer combattre les gangs à armes égales. Elle a aussi besoin de formateurs pour mieux s’initier aux combats de rues et à la guérilla urbaine qui s’est installée dans nos agglomérations. On pourrait ainsi très bien envisager une coopération avec la police brésilienne de type BOPE, qui a fait ses preuves et qui arrive tant bien que mal à endiguer, ou tout du moins épisodiquement, les violences dans les favelas.
Mais pour arriver à tout cela, encore faut-il une réelle volonté politique. Et c’est justement là que se trouve le talon d’Achille de notre pays. Nos dirigeants ont démissionné depuis bien longtemps. Ariel Henry ne fait que perpétuer la tradition, celle d’un gouvernement qui ne gouverne pas. D’ailleurs, l’actuel Premier ministre est même devenu le triste symbole de l’absence d’État en Haïti. Ariel Henry ne peut en effet pas faire une sortie sans que sa vie ne soit menacée. Au final, il passe le plus clair de son temps enfermé dans son palais qui s’est transformé pour l’occasion en une cage dorée. Quant au citoyen haïtien, il continue d’aller chaque jour au travail, lorsqu’il en a, avec la peur au ventre d’être fauché par une balle perdu ou enlevé par des kidnappeurs. Un scénario cauchemardesque qui s’éternise et plonge notre pays dans l’abîme.
Dessalines Ferdinand
Le Floridien, 30 Août 2022