La situation est toujours aussi tendue et confuse en Haïti. Personne ne peut prédire avec certitude quand le mouvement de contestation prendra fin. Ce qui est sûr, c’est que tant que Jovenel Moise restera au pouvoir, on n’est pas prêt d’avoir une issue heureuse à cette crise. Le Chef de L’État agrège à lui tout seul la colère d’une grande frange de la population qui le juge inapte à gouverner. Vendredi dernier, de nouveaux affrontements ont eu lieu entre la police et les manifestants suite à la mort la veille du journaliste Néhémie Joseph dans des circonstances troublantes. Deux jours plus tard, soit le dimanche 13 octobre, ce sont les artistes qui se sont joints au mouvement lors d’un rassemblement pacifique gigantesque.

Les journalistes haïtiens travaillent au péril de leurs vies

Il ne fait pas bon aujourd’hui d’être journaliste en Haïti, puisque c’est devenu un métier à risque où vous pouvez être à tout moment pris à partie, voire même assassiné. Critiquer ceux qui ont le pouvoir, dénoncer ceux qui détournent les biens publics ou mettre sous les feux des projecteurs médiatiques des personnalités qui préfèrent rester dans l’ombre pour continuer leurs forfaitures macabres, c’est s’aventurer sur un chemin très dangereux.

Il est devenu difficile pour les journalistes d’écrire ou de dire les vérités qui dérangent sans s’exposer à une peine capitale.

C’est malheureusement le lourd prix qu’a payé notre confrère Néhémie Joseph, journaliste correspondant de Radio Mega à Mirebalais (bas Plateau, située à 55km au nord-est de la capitale), et qui avait déjà fait l’objet de menaces par le passé. La victime a été retrouvée morte jeudi 10 octobre dans son véhicule. Sur les réseaux sociaux, le défunt avait fait savoir qu’il recevait régulièrement des menaces de mort de la part de politiciens qui l’accusaient d’encourager les Haïtiens à sortir manifester. Apparemment, les auteurs de ces intimidations ont mis leurs menaces à exécution. Pire, l’épouse de la victime continue à recevoir des appels téléphoniques pour l’avertir et lui recommander de garder le silence sous peine de connaître le même sort que son mari. Des sources concordantes ont indiqué que la veuve serait en possession d’informations compromettantes concernant certaines personnalités.

Malheureusement, le cas Joseph n’est pas isolé puisque deux autres journalistes ont perdu la vie avant lui dans des circonstances similaires. Pétition Rospide tout d’abord, journaliste de Radio sans fin (RSF) qui a été liquidé alors qu’il se dirigeait vers son domicile en voiture. Puis Vladjimir Legagneur, un photo-journaliste qui s’est volatilisé un beau matin de mars 2018 sans que personne ne sache ce qu’il lui est arrivé.

Ces disparitions inquiétantes ont fait réagir l’ONG Reporters sans frontières (RSF) qui a condamné fermement ces assassinats et demandé aux autorités locales de prendre les mesures nécessaires pour que les journalistes puissent travailler dans de meilleures conditions. Il est en effet inadmissible et scandaleux qu’on puisse encore tuer, en 2019, un journaliste juste parce qu’il fait son travail. Mais cela ne semble pas être une priorité pour le gouvernement qui a d’autres chats à fouetter pour le moment.

Les artistes se mêlent à la danse !

Les membres du gouvernement à Port-au-Prince, Jovenel en tête, ont du souci à se faire. En effet, les artistes haïtiens de tous bords ont décidé de se joindre au mouvement de contestation qui secoue le pays depuis des mois et de soutenir les revendications légitimes du peuple. Lorsque l’on connaît la portée de leur voix et leur impact sur la population, on ne peut que comprendre l’inquiétude des autorités qui craignent un effet de contagion à travers la caisse de résonnance dont bénéficient les artistes. Dimanche 13 Octobre, Dj et musiciens connus ont donc joint leur voix à celle des manifestants pour une grande marche pacifique à Port-au-Prince.

Les rues de la capitale étaient noires de monde et l’atmosphère bon enfant malgré la gravité des enjeux. Les artistes ont poussé la chansonnette pour mobiliser les troupes, même si les paroles ne laissaient guère de doute quant à la détermination des protestataires. ‘’On en a marre de ce système, on en a marre de ce Président’’ disait ainsi un manifestant qui n’arrivait pas à cacher sa colère et son dégoût. À quelques pas de lui, on pouvait apercevoir le rappeur Izolan du groupe Barikad Crew qui haranguait les protestataires pour qu’ils ne se laissent pas faire.

Le fait que les artistes soient entrés dans la danse est d’une certaine façon une bonne chose. Cela permet d’avoir des gens d’influence qui peuvent guider et canaliser la colère populaire afin qu’elle ne dégénère pas en conflit armé. Pour preuve, la manifestation de dimanche n’a pas connu de débordements majeurs contrairement aux précédentes. Il faut dire aussi que la police est restée cette fois-ci à l’écart et n’a pas utilisé de gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
Selon le réseau national de défense des droits de l’homme en Haïti (RNDDH), il y’a eu 20 personnes tuées et 200 blessées lors des récents troubles qui ont secoué le pays. C’est un bilan assez lourd qui risque d’empirer si rien n’est fait pour satisfaire les demandes du peuple. Or ce dernier veut en premier lieu et avant toute chose la démission immédiate et sans condition de Jovenel Moise et de son gouvernement. La marche de dimanche a fait passer le message à travers des danses et des chants pour que l’oreille du Président puisse entendre une autre mélodie, mais avec les mêmes paroles.

Acculé et pressé de toutes parts, Jovenel va-t-il finir par lâcher prise?

La position de Jovenel Moïse est peu enviable, pour ne pas dire insoutenable. On se demande ce qui le retient encore à son poste alors qu’il voit clairement que plus personne ne veut de lui. Les violents troubles de la semaine dernière visaient d’ailleurs le palais présidentiel, puisque les manifestants ont cherché à encercler la demeure du Président pour y pénétrer, et pourquoi pas le déloger par la force. N’eût été la vigilance de la police et l’imposant dispositif sécuritaire mis en place, on aurait pu assister à un lynchage public comme celui de Kadhafi en Libye.

Mais on n’en est pas encore là. Ce qui est sûr, c’est que les deux ans qui restent à Jovenel pour terminer son mandat risquent d’être longs. Très très longs ! L’ensemble du pays est à l’arrêt. Les enfants ne vont plus à l’école, les voitures ne peuvent plus circuler faute de carburant, les gens ne peuvent plus s’alimenter convenablement à cause de la cherté de la vie combinée à la fermeture en cascade des magasins.

Que faire alors ?

Un seul homme ne peut ainsi tenir tête à des millions de personnes qui exigent sa démission. L’entêtement de Jovenel à s’agripper à son siège coûte que coûte va faire des dégâts dans les deux camps. Haïti est devenu comme une cocotte minute hermétique sur le point d’exploser. La seule soupape pour réduire la pression, c’est la résignation du Chef de l’État.

Les Haïtiens à l’intérieur comme à l’extérieur du pays en appellent au Président pour qu’il se comporte en bon Prince et céder sa place à quelqu’un d’autre. Les images de la manifestation du dimanche 13 octobre ont montré aux yeux du monde entier la détermination de tout un peuple à reprendre son destin en main. On a vu une marée humaine monolithique, impressionnante, pleine de vie et de détermination, qui n’aspire qu’à retrouver sa dignité et à améliorer son destin. Aujourd’hui ce sont les artistes qui ont décidé de franchir le pas pour faire bloc avec le peuple. Les soutiens au Président sont devenus une espèce en voie de disparition. Bientôt, Jovenel va peut-être vivre une situation difficile pour tout être humain : la solitude !

LE FLORIDIEN, 15 Octobre 2019

 

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